
Depuis le tsunami du 11 mars, des milliers de travailleurs se relaient à la centrale de Fukushima pour tenter de déblayer les débris radioactifs et de sécuriser le site. Ils viennent des quatre coins du pays et n’ont souvent aucune expérience du nucléaire. Rencontre avec des travailleurs pas comme les autres.
Dans le microcosme des journalistes de Tokyo, on nous avait prévenus qu’il serait difficile de rencontrer des travailleurs de Fukushima. Certains pourraient éventuellement nous parler, mais pas à visage découvert. Tepco, l’opérateur de la centrale accidentée, a été le premier à doucher nos projets en refusant chacune de nos demandes. Et pour cause : Tepco et ses sous-traitants interdisent strictement aux travailleurs de parler aux médias.
C’est une Japonaise, qui est devenue par la suite notre interprète, qui débloque le reportage. Chrétienne, elle a fait du volontariat auprès des sinistrés du tsunami à Iwaki, ville-dortoir des travailleurs située à 40 kilomètres au sud de la centrale. Par le biais d’un centre religieux, elle connaît un travailleur qui accepte de nous rencontrer. Il s’agit de Yukio, un personnage haut en couleur qui souhaite rétablir la vérité sur les employés de la centrale. "Oui, c’est un travail dur. Mais non, nous ne sommes pas des esclaves", déclare-t-il en substance.
Le reste est une histoire de chance… et de bluff. Nous nous rendons directement à "J-Village", le quartier général des travailleurs de la centrale, situé au bord de la zone interdite des 20 kilomètres autour de la centrale. La première fois, nous sommes accompagnés par Sanai Yamauchi, un élu de la ville de Naraha dans la zone interdite. Mais ses contacts ne suffisent pas à nous faire rencontrer des travailleurs. Nous retournons pour interviewer des travailleurs au hasard à la sortie de "J-Village". Théoriquement, nous n’avons pas le droit d’être là. La plupart des travailleurs le savent et nous répondent par un salut plus ou moins poli. Mais quelques uns nous disent quelques mots. Petit à petit, on comprend pourquoi ils sont là, d’où ils viennent et ce qu’ils font à la centrale. Pas facile pour l’opérateur de la centrale de contrôler la communication de milliers d’hommes, surtout quand le turnover est impressionnant. Les ouvriers doivent partir avant d’atteindre leur plafond de dose radioactive.
Mais nous ne pouvions pas nous contenter de témoignages volés. Après plusieurs tentatives infructueuses, le gérant d’un hôtel proche de "J-Village" nous ouvre les portes de son établissement, couvert de photos de footballeurs. Mieux, il nous présente des travailleurs et nous fait visiter leurs chambres où ils s’entassent à deux ou à trois. Mais l’endroit est propre et dispose de bains chauds agréables, un must pour les ouvriers. Minoru, l’hôtelier, a refusé en bloc les journalistes japonais et il accepte plus facilement d’aider des étrangers. C’est moins compromettant. C’est peut-être cela qui nous aura le plus aidé.