La Chine serait-elle passée, aux yeux des économies européennes, du statut de menace à celui de messie providentiel ? Pékin a, en tout cas, tout intérêt à ce que la zone euro se stabilise. Explications.
La rumeur avait contribué à calmer quelque peu les marchés financiers européens. Dans son édition du 13 septembre, le quotidien économique Financial Times affirmait que l’Italie avait demandé à la Chine de lui prêter de l’argent et d'investir dans son économie plombée par la dette. Le lendemain, Giulio Tremonti, le ministre italien des Finances, confirmait bien avoir rencontré une délégation chinoise la semaine précédente. Sans toutefois préciser la teneur des discussions.
Pourtant, peu après, les Bourses européennes repartaient à la baisse, prises de panique par la contre-rumeur selon laquelle Pékin n’avait pas l’intention d’aider financièrement Rome. Lorsque l’Italie a décidé, ensuite, d’émettre une nouvelle tournée d’obligations à cinq ans, elle a dû supporter des taux d’intérêt sans précédent de 5,60 %. Plus personne sur les marchés ne semblait croire à l’arrivée opportune de la cavalerie chinoise.
Cette extrême sensibilité des marchés financiers témoigne du statut de sauveur providentiel de la zone euro que les Bourses prêtent à Pékin. Il y a à peine trois ans, pourtant, le même Giulio Tremonti mettait en garde, dans son livre "Peurs et espoirs", contre "une colonisation à l’envers" de la Chine en Europe. Aujourd’hui, il n’hésiterait donc pas à faire entrer le loup chinois dans la bergerie européenne.
Besoin d’une Europe forte
"La diabolisation de la Chine a toujours été très exagérée", juge Mary-Françoise Renard, directrice de l’Institut de recherche sur l’économie chinoise (Idrec), interrogée par France24.com. "Elle n’a pas une approche agressive mais plutôt responsable et pragmatique à l’égard de la zone euro, se déclarant même plusieurs fois prête à l’aider en cas de problème", surenchérit Thomas Vendryès, chercheur en économie.
Pour ces économistes, il ne faut pas se méprendre sur les ambitions chinoises. "Il n’y a pas d’agenda caché et de désir de coloniser l’Europe, Pékin agira avant tout en fonction de ses propres intérêts", assure Mary-Françoise Renard. Actuellement, l’ex-empire du Milieu a besoin d’une Europe forte. "L’Union européenne est le premier marché d’exportations pour la Chine, devant les États-Unis, et l’industrie chinoise serait touchée par un effondrement de la demande européenne", explique à France24.com Françoise Lemoine, spécialiste de l’économie chinoise au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii).
Pékin n’a aucune envie de revivre une crise comme en 2008. "À l’époque, la chute de la demande mondiale avait entraîné la perte de millions d’emplois dans les entreprises exportatrices", rappelle Thomas Vendryès.
Bonnes affaires
Une dépendance qui n’est pas seulement liée au commerce. La Chine a déjà acheté de la dette grecque, portugaise, espagnole, irlandaise. La stabilité de la zone euro lui tient donc à cœur. "On ne connaît pas précisément la composition des réserves de la Chine, mais on estime qu’elle détient environ 700 milliards d’euros, soit 10 % de la dette européenne", confirme Françoise Lemoine.
Cela ne signifie pas pour autant que Pékin va se priver de faire de bonnes affaires. "La Chine se place actuellement en Europe, ses investissements directs en Europe sont encore très faibles et elle compte les augmenter", confirme Mary-Françoise Renard. En 2009 et 2010, elle avait déjà investi dans le port du Pirée en Grèce. Les autorités chinoises se tournent maintenant vers l’Italie. Selon Françoise Lemoine, elles ont envoyé il y a deux semaines des représentants de son principal fonds pour les investissements à l’étranger, la China Investment Corporation, à Rome pour étudier les possibilités de placer de l’argent dans les entreprises publiques italiennes.
Cette main tendue en direction du Vieux Continent est également une opération de communication. En se présentant comme un recours potentiel "la Chine conforte aux yeux du monde son statut de puissance mondiale de premier plan et pas seulement au niveau économique", estime Marie-Françoise Renard. Une manière de rappeler à l’Europe qu’il n’y a pas que les États-Unis qui comptent.