
Intronisé Premier ministre ce mardi, Yoshihiko Noda prend les rênes d'un pays très endetté. Objectif du nouveau chef de gouvernement : redresser l'économie nippone, selon Claude Meyer, professeur à Sciences-Po.
Exit "Kan l’irritable", bienvenue Yoshihiko Noda. L'actuel ministre des Finances, élu lundi à la tête du Parti démocrate face à quatre autres candidats, a été officiellement investi par le Parlement au poste de Premier ministre ce mardi, en remplacement de Naoto Kan. Son prédecesseur avait annoncé sa démission le 26 août en raison notamment des nombreuses critiques sur sa gestion du séisme et du tsunami de mars dernier qui avaient entraîné la catastrophe de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi.
Perçu comme un financier pragmatique et conservateur, Noda - qui se définit lui-même comme "un homme ordinaire, sans grandes ressources financières" - s’apprête à prendre les rênes d’un pays lourdement endetté et toujours endeuillé par la tragédie du 11 mars.
Quels sont les grands chantiers qui attendent cet ancien gardien des deniers publics nippons ? Comment la nomination de ce sixième Premier ministre depuis 2006 peut-elle être perçue par les marchés financiers ? Éléments de réponse avec Claude Meyer, spécialiste du Japon et professeur d'économie internationale à Sciences-Po Paris.
Question politique étrangère, l'arrivée de Noda, pourrait s'accompagner de quelques frictions avec la Chine. Le nouveau Premier ministre a en effet répété à plusieurs reprises que les dirigeants nippons du temps de la Seconde Guerre mondiale, n'étaient pas des "criminels de guerre" au regard du droit nippon. De fait, le nouveau Premier ministre ne condamne donc pas non plus les déplacements de personnalités politiques au sanctuaire de Yasukuni à Tokyo où reposent, entre autres, ces dits criminels de guerre.
FRANCE 24 : Avant le vote de lundi, Banri Kaieda, ministre du Commerce, était donné favori pour succéder à Naoto Kan… Pourquoi ce revirement de situation ?
Claude Meyer : Si Kaieda était donné favori, Noda ne faisait pas non plus figure d’outsider. Il a toujours été perçu comme un candidat sérieux et crédible ; il a une réputation de Faucon sur le plan fiscal. Seulement, en face de lui, son adversaire Kaieda avait reçu le soutien d’Ichiro Ozawa, un homme très influent au sein du parti, un vétéran de la politique japonaise - même si la stature de cette personnalité est également controversée [Ozawa a été inculpé cette année dans une affaire de financement occulte, NDLR]. Quoi qu’il en soit, ce soutien de poids a permis à Kaieda de prendre la tête de la course au premier tour.
Au second tour, Noda a réussi à renverser la situation grâce à son alliance avec le candidat Seiji Maehara, ancien ministre des Affaires étrangères. Le report de voix de ce postulant, arrivé en troisième position, a suffi à creuser l’écart et a permis à Noda de remporter la victoire [215 votes contre 177 pour Kaieda, NDLR].
FRANCE 24 : Pourquoi sa nomination rassure-t-elle les marchés financiers ?
C. M. : Noda est un homme rigoureux qui ose prendre le problème de la dette japonaise abyssale à bras-le-corps. Depuis l’ère Jonichiro Koizumi (2001-2006), aucun politique n’avait abordé le problème du déficit frontalement. Au cours des cinq dernières années, les changements fréquents à la tête du Japon, son instabilité politique, ont empêché le gouvernement de mettre en oeuvre des stratégies économiques et fiscales de long terme.
Yoshihiko Noda se veut réaliste, prêt à mener une politique budgétaire rigoureuse pour assainir les finances publiques - une nécessité quand on sait que l'agence de notation Moody's a baissé d'un cran la note de la dette japonaise. Le futur Premier ministre sait que le seul moyen de s’en sortir, ce sera de conduire une vaste réforme fiscale qui inclura notamment une hausse des impôts.
FRANCE 24 : Quels sont les défis politiques et économiques qui attendent Noda ?
C.M. : Outre ses promesses de réformes fiscales, Noda hérite d'un yen fort, ce qui est défavorable aux exportations et ce qui sabote la compétitivité des entreprises nippones. Il devra donc s’atteler à affaiblir la monnaie nationale pour relancer la croissance, encore convalescente après le séisme du 11 mars.
Noda devra également jeter les bases d'une nouvelle politique énergétique tout en continuant de faire face à la crise nucléaire dans la région de Fukushima. La reconstruction du Nord du pays ne fait que commencer et la centrale de Fukushima-Daiichi n'est toujours pas mise hors d'état de nuire.
Malgré ces nombreux défis, il ne faut pas non plus noircir le tableau plus que de raison. Le Japon reste un pays puissant dont l'avance technologique reste incontestée. Le pays produit presque autant que son immense voisin chinois, soit l’équivalent de 8,5 % du PIB mondial. Ce simple rappel donne la mesure du poids de ce pays qui dispose toujours d’atouts considérables, même s’il doit faire face à de lourds défis structurels.
*Chine ou Japon : quel leader pour l'Asie ?, de Claude Meyer, Presses de Sciences Po, 2010.