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Les libérations successives de l'artiste Ai Weiwei et du dissident Hu Jia (photo) témoignent-elles d'une volonté d'ouverture de la part des autorités de Pékin ? Rien n'est moins sûr, répondent les observateurs de la vie politique chinoise.

C’est la seconde libération d’un dissident chinois en quelques jours. Après avoir relâché, le mercredi 22 juin, l’artiste Ai Weiwei, détenu au secret durant trois mois, le gouvernement chinois a libéré ce dimanche l’un des plus virulents contempteurs du régime communiste Hu Jia, emprisonné depuis 2008 pour "incitation à la subversion".

Ces deux libérations successives interviennent dans un climat particulièrement tendu en Chine. Depuis le début des premières révolutions arabes en février, le régime de Pékin a procédé à l'arrestation et à la mise sous surveillance d’une centaine de personnes. Un tour de vis répressif sans précédent depuis l'écrasement du mouvement démocratique de Tiananmen en 1989.

"Libérations à la chinoise"

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"Ces libérations servent l'image de la Chine"
La libération de deux dissidents chinois suscite des interrogations

Comment expliquer alors ces deux libérations ? Selon Jean-Luc Domenach, directeur de recherche au Centre d'études et de recherches internationales (Ceri), elles sont avant tout le signe d’une reprise de confiance de Pékin. "Aujourd’hui, le régime chinois a un peu moins peur des révoltes arabes. Il réalise que l’onde de choc du Moyen-Orient ne l’a pas atteint et n’a pas déstabilisé le pouvoir en place", analyse-t-il, en refusant toutefois de percevoir dans ces libérations une quelconque ouverture démocratique. "Ce sont des libérations à la chinoise dans le sens où Hu Jia et Ai Weiwei sont déchus de leurs droits civiques et politiques et ne peuvent s’adresser à la presse. Difficile dans ces conditions de parler de liberté. Cantonnons-nous à parler d’une sortie de prison. Rien ne dit d'ailleurs que le régime ne renverra pas Hu Jia dans ses geôles. Ce militant n’est en effet pas n’importe quel contestataire. Il est un authentique humaniste, un véritable Robin des Bois qui peut faire du tort au régime."

Un point due vue que ne partage pas Marie Holzman, sinologue et présidente de l’association Solidarité Chine. Selon elle, la véritable explication est ailleurs : "affirmer que la Chine n’a plus peur des révoltes arabes est une réponse un peu facile. Au même titre que celle apportée par les organisations humanitaires, qui voient dans ces libérations le résultat de pressions internationales. Rappelons quand même que Liu Xiaobo, [le Nobel de la paix, condamné à 11 ans de prison en décembre 2009, ndlr] est toujours emprisonné malgré la mobilisation mondiale."

"La main tendue et la main de fer"

Selon la spécialiste, ces élargissements sont liés à un contexte de politique intérieure. À un an du XVIIIe Congrès du Parti communiste chinois (PCC) qui renouvellera les instances dirigeantes du pays (en 2012, sauf surprise, le président, Hu Jintao, et son Premier ministre, Wen Jiabao, laisseront respectivement leur place à Xi Jinping et Li Keqiang), le régime chinois est en proie aux dissensions. "Certains prônent, même s’ils sont minoritaires, plus de réformes politiques et démocratiques, explique la sinologue. Libérer Weiwei et Jia est révélateur de ces rivalités. De plus en plus de voix dissonantes estiment que le tout répressif n’est peut-être pas une façon d’assurer la stabilité du pays."

Une stabilité d’autant plus menacée que les disparités économiques chinoises sont de plus en plus criantes. "Les dirigeants sentent bien que l’agitation sociale est grandissante et qu'elle menace d'exploser à tout moment", avance Marie Holzman. Si, pour celle-ci, la libération de deux dissidents reste "un fait mineur", elle n’en reste pas moins un acte singulier : "Les élites chinoises savent désormais qu’il leur faudra, peut-être dans un avenir proche, jongler entre une politique de la main tendue et une politique de la main de fer."