Surnommé "le boucher des Balkans", Ratko Mladic a été inculpé de génocide et de crimes contre l'humanité, notamment pour son rôle dans le massacre de Srebrenica. Mais beaucoup de Serbes continuent à voir en lui le défenseur de la nation. À Belgrade et dans la région où il a été arrêté, nos reporters ont rencontré une population divisée.
Une bande de jeunes lycéens font un barbecue autour d'un drapeau serbe. Alors que nous les abordons, ils nous proposent un verre. Ambiance bon enfant, des chants autour d'un feu. Mais notre guide fait la moue. "C'est des chants de la guerre, c'est horrible. - Mais ça dit quoi? - Qu'on doit jeter les cadavres de centaines de musulmans dans la rivière".
Des appels au meurtre, mais nos jeunes n'y voient pas de mal. "Moi je donnerai ma vie pour ma patrie !", affirme l'un d'entre eux. Mais la guerre est loin derrière. Au présent, il vient d'avoir son bac et rêve de devenir architecte.
Le soir même, nous les retrouvons à une manifestation contre l'arrestation de Ratko Mladic, l’ancien chef militaire des Serbes de Bosnie. Ils sont déçus, pas assez de monde à leur goût. Pas assez pour crier avec eux. La maigre foule - 5000 personnes tout de même - scande. "Qu’est ce qu’il disent ? - Ah, non ça c'est affreux !, répond notre guide... Ils parlent de Srebrenica, de fil, de couteau… Le fil pour étrangler, le couteau pour égorger". Ils sont prêts à recommencer, ils le crient en tout cas.
Le crieur en chef passe devant nous. Un jeune homme en tee-shirt noir qui lance les slogans en les chuchotant au premier rang. Mladen a une vingtaine d'années. Il fait partie d'un groupuscule qui s'est donné pour mission de "défendre l'honneur de la Serbie ". C'est aussi un jeune papa. Sa femme, qu'il a rencontrée au sein du groupe, a accouché il y a deux jours. "Un jeune c.. de plus ", lâche notre guide. Elle en a assez de voir défiler les journalistes étrangers et de leur montrer ce visage de la Serbie, celui d'une haine qui dure depuis plus de quinze ans et qui se transmet de génération en génération.
Des Serbes qui crient ensemble leur admiration pour Ratko Mladic, nous en avons rencontrés beaucoup au cours de notre reportage. Agréables, courtois, même sympathiques parfois. L'horreur n'a pas de visage et c'est bien cela le plus effrayant.
Victimes et bourreaux vivent toujours côte à côte sous une apparente banalité. Côte à côte et pourtant irrémédiablement séparés par une rivière de sang, la Drina qui sépare désormais la Serbie de la Bosnie Herzégovine et qui comme dans la chanson des lycéens, charriait des corps dans les années 1990. Le passé maudit de l'ex-Yougoslavie.