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Alors que Nicolas Sarkozy doit rencontrer mardi Silvio Berlusconi lors d'un sommet à Rome sur la question migratoire, des centaines d’exilés tunisiens sont laissés à l’abandon depuis plusieurs semaines dans un parc parisien. Reportage.

Les billets de 50 euros pleuvent dans le petit parc parisien. En moins de trois minutes, la scène vire à l’émeute. Tous les démunis des environs affluent pour être aussi rapidement éconduits. "Ce n’est que pour les Tunisiens !", crie rageusement un jeune réfugié à un groupe de Roms, avant de se ruer sur le bienfaiteur venu distribuer ses largesses en signe de solidarité.

Installés depuis plusieurs mois dans un petit parc du XIXe arrondissement de Paris, 200 à 300 Tunisiens clandestins, d’une vingtaine d’années en moyenne, ont fui la Tunisie après la chute de l'ex-président Ben Ali pour rejoindre la France, via l'île italienne de Lampedusa.

"Je passe mes journées ici et je ne peux rien faire"

A 17 ans seulement, Atef, originaire du sud de la Tunisie, vit dans ce parc depuis trois mois. "Parfois, je ne mange pas pendant deux jours. On boit l’eau à la fontaine du parc, je dors dans un carton sous le périphérique. Je voulais venir en France pour envoyer de l’argent à ma mère, parce que mon père est mort. Mais, en fait, je passe mes journées ici et je ne peux rien faire", raconte le jeune homme en engouffrant le billet orange dans sa poche.

Sans ressource et laissés à l’abandon par l'État français, ce groupe de réfugiés vit au rythme des distributions de repas prodigués par des Tunisiens résidant à Paris ou en proche banlieue.

"Ils sont les oubliés du monde", vitupère Mouldi Miladi, installé en France depuis 25 ans. Tous les jours, il vient distribuer jeans et tee-shirts propres, nécessaires de toilette ou nourriture, et accompagner les jeunes aux douches publiques du quartier.

"Ici, on ne fait pas de politique, on s’occupe de l’urgence. La France a deux solutions : soit elle les laisse entrer sur le territoire mais on les loge dignement, soit on les fait rentrer au pays", continue-t-il.

Les stigmates de la Révolution

Jamel, chef d’entreprise tunisien venu distribuer quelques billets à ses jeunes compatriotes exilés, est persuadé qu’ils devraient rentrer au pays - malgré les difficultés économiques rencontrées par la Tunisie depuis la Révolution.

"Il y a des idées pour développer le pays et redémarrer l’économie. On n’a pas intérêt à aller travailler ailleurs. Avec une bonne réflexion, on peut embaucher tout le monde. Le marché est demandeur, explique-t-il. Par ailleurs, il faut partager la terre avec les jeunes. Après la Révolution, c’est leur droit", explique Jamel, qui repart dans son 4x4 climatisé une fois son portefeuille vide.

Pour l’instant, les défis économiques et politiques de la "Tunisie nouvelle" restent loin des préoccupations des centaines de réfugiés tunisiens dont la seule priorité est de manger. Pour eux, l’urgence est humanitaire - elle est aux portes de Paris.

Les migrants victimes des divergences franco-italiennes

Samia Maktouf, avocate franco-tunisienne, s’est engagée bénévolement dans la défense de dizaines de réfugiés tunisiens. Ce jour-là, elle est venue relever les noms, l'âge et la profession des jeunes hommes du camp pour tenter de leur obtenir un permis de séjour.

"Il est permis de rêver au lendemain d’une révolution. Ils ont rêvé d’une France de la révolution, de la liberté, de l'égalité. Ils ont dégommé une dictature à mains nues et pacifiquement", s’indigne l’avocate, qui estime que la solution doit être européenne.

"C’est à l’Europe de réagir et d’arrêter de faire le ping-pong entre la France et l’Italie. Paris et Rome doivent laisser un peu de répit à ces jeunes réfugiés et procéder à des régularisations au cas par cas", ajoute Samia Maktouf.

L'arrivée controversée en France, via l'Italie, de milliers de migrants d'Afrique du Nord sera au coeur d'un sommet mardi dans la capitale italienne entre le chef du gouvernement italien Silvio Berlusconi et le président français Nicolas Sarkozy.