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"L’abolition de l’état d’urgence ne mettra pas fin aux manifestations"

Bachar al-Assad vient de satisfaire la principale demande des manifestants en abolissant la loi d’urgence syrienne. Cette petite révolution n’est qu’un premier pas selon Khaled Issa, un opposant et juriste syrien à Paris, interrogé par FRANCE 24.

Photographie : capture d'écran du site Internet de la télévision d'État syrienne, annonçant la levée de l'état d'urgence.

Elle régissait la vie juridique, administrative et personnelle des Syriens depuis 1963, restreignant considérablement les libertés publiques (interdiction de se réunir ou de quitter le territoire sans autorisation, possibilité d’écoutes téléphoniques, d'arrêter quiconque "menaçant la sécurité"…). "La loi d’urgence, c’était l’arbitraire total", selon Khaled Issa, un juriste syrien joint par FRANCE 24 : "mon frère a été arrêté trois fois en Syrie en vertu de cette loi, il a fait presque 12 ans de prison et n’a jamais été jugé". 

Mais l'abolition de l'état d'urgence, officialisé par un décret du président Bachar al-Assad ce jeudi, ne signifie ni que la Syrie s’engage vers des réformes démocratiques, ni que le large mouvement de protestation qui menace le pouvoir baasiste depuis le 15 mars va s’arrêter, d’après ce juriste proche du mouvement de contestation.

Les apparatchiks du parti Baas et de l’armée opposés à la fin de l’état d’urgence

"Assad aurait pu l’annuler directement et rapidement, mais il a préféré gagner du temps sur les manifestants en faisant miroiter la levée de l’état d’urgence", poursuit Khaled Issa. Le gouvernement avait donné son accord mardi à la levée de l’état d’urgence, mais "la Constitution syrienne donne le droit au président Al-Assad d’y mettre fin sans demander l’avis du gouvernement ni du Parlement", confirme Aymane Abdel Nour, un membre du parti Baas (au pouvoir), progressiste et favorable à des réformes politiques. En 2003, cet ingénieur de formation avait lancé le premier site Internet d’information du web syrien, "Tous pour la Syrie".

Cependant, gagner du temps pour quelle raison ? "Pour donner des gages à ceux qui ne veulent pas de réformes ni de levée de l’état d’urgence : les conservateurs du parti Baas, et les hauts gradés de l’armée syrienne, qui profitent du système sécuritaire et n’ont aucun intérêt à voir les choses changer", précise Khaled Issa.

"Nous voulons des réformes démocratiques en profondeur !"

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Le parcours de Bachar al-Assad à la tête de la Syrie
"L’abolition de l’état d’urgence ne mettra pas fin aux manifestations"

Pour ce juriste syrien, ce décret n’est qu’un premier et petit pas vers la démocratisation. "On attend plus, il n'y a pas que la loi d'urgence. Regardez la Constitution syrienne, avec tout ce préambule sur les objectifs socialistes du baasisme… c’est d’un autre âge ! Al-Assad devrait convoquer une constituante pour réellement démocratiser la vie politique syrienne, proclamer l’amnistie des prisonniers politiques, abolir l'article 8 de la constitution, qui donne la primauté au parti Baas".

La fin de l’état d’urgence était la principale mesure exigée par les manifestants, la plus symbolique aussi dans un pays qui vit sous le régime de cette loi militaire depuis 1963. Son abolition peut-elle essouffler le mouvement de protestation ? "Cette mesure ne mettra pas fin aux manifestations" pronostique Khaled Issa, "il y a encore beaucoup de choses à faire, nous voulons des réformes démocratiques en profondeur !". En pensant lâcher du lest, Bachar al-Assad n’aura peut-être fait que renforcer la détermination de ses opposants.