L'intervention militaire en Libye n'en est sans doute qu'à ses prémices. Les troupes rebelles piétienent, et le rôle de l'Otan est loin d'être acquis. Ankara s'oppose aux bombardements, et pose comme préalable à tout accord la fin des opérations.
Au moment où les frappes aériennes se poursuivent en Libye, c’est une toute autre guerre – des chefs celle-là – qui embarrasse les rangs de la coalition, avec pour principale question : qui doit prendre le commandement de l’opération militaire baptisée "Aube de l’odyssée" ?
Ce type de débat intervient habituellement avant une opération
militaire internationale, et pas au beau milieu de son déroulement. Au cœur des divergences diplomatiques : l’opportunité de voir les opérations contre la Libye de Kadhafi placées sous le commandement de l'Otan.
Trois missions possibles pour l'Otan
Depuis une semaine, les ambassadeurs des 28 pays membres de l’organisation se réunissent au siège de l’institution, à Bruxelles, pour discuter de la mise en œuvre - ou non - de trois missions précises. Une seule a été décidée pour le moment : la surveillance de l’embargo sur les armes imposé par l’ONU à la Libye, le 26 février. La deuxième mission porterait sur un aspect humanitaire, mais elle est pour le moment en suspens. La troisième concernerait l’application de la zone d’exclusion aérienne et reste le point le plus épineux des discussions.
Au-delà des conditions de l’intervention militaire alliée, d'aucuns s'interrogent : comment envisager un changement de régime que chacun juge difficile, dans un pays qui n’a connu que Kadhafi depuis 42 ans ?
Certes, les alliés s’accordent pour laisser les insurgés libyens faire le sale boulot : se débarrasser du colonel Kadhafi. Mais s’il n’y parviennent pas, les scénarios envisagés sont peu encourageants. Les exemple de l'Irak en 1991-1992 et de la Bosnie en 1993 ne sont pas néxcessairement de nature à rassurer.
En Irak, il s’ést écoulé plus de dix ans entre l’instauration de la zone d’exclusion aérienne et la chute de Saddam Hussein, en 2003. Quant à la Bosnie, il a fallu attendre les frappes aériennes de l’Otan au printemps 1999 pour que Slobodan Milosevic, alors président de la République fédérale de Yougoslavie, accepte de s’asseoir à la table des négociations.
Bref, à peine a-t-elle débuté que l’opération “Aube de l’odyssée” porte déjà un peu trop bien son nom : la coalition n’en est peut-être qu’au tout début de son aventure libyenne.
itOtan, ou pas
C’est mardi 22 mars que le front uni s’est publiquement fissuré, lorsque Barack Obama a annoncé la volonté américaine de voir les opérations en Libye chapeautées par l’Otan. Impossible, a alors répondu Paris : la réputation de l’Otan est exécrable parmi les pays arabes. Ceux-ci, indispensables à la légitimation de l’intervention en Libye, ne voudront pas se voir associés à une campagne de frappes sous son commandement.
Des pays arabes, justement, qui malgré un accord de principe sur l’opération “Aube de l’odyssée” par la Ligue arabe, sont divisés sur l’attitude à adopter, comme en témoigne la récente volte-face éclair d’Amr Moussa, le secrétaire général de la Ligue.
Mardi, les Emirats arabes unis ont ainsi annoncé que leur rôle en Libye serait strictement limité à l’assistance humanitaire, tandis que l’Arabie saoudite reste réticente à s’engager contre Kadhafi. Le Qatar est finalement le seul pays arabe à participer aux opérations en Libye (trois avions qataris sont engagés), mais, précise-t-il, "seulement pour protéger les civils".
Un scénario de sortie de crise en cours de définition
"Tout le problème consiste à savoir jusqu’où cette intervention ira, avec quels objectifs, et pour quelles issues possibles", confirme à FRANCE 24 Robert Malley, directeur de l’antenne Afrique du Nord et Moyen-Orient à l’International Crisis Group (ICG). "Mais ces questions, poursuit-il, que les militaires se sont posées au début, ils se les posent toujours et ce n'est pas fini".
Le scénario idéal pour la coalition : protégée par la zone d'exclusion aérienne, l'opposition armée marche sur Tripoli et fait chuter Kadhafi.
Pourtant, malgré la mise en place de la zone d’exclusion aérienne, les mouvements des troupes rebelles sur le terrain sont assez peu encourageants. Comme le note Christopher Dickey, spécialiste du Moyen-Orient et chef du bureau parisien du magazine Newsweek, les insurgés peinent à gagner du terrain et n’ont toujours pas réussi à reprendre les villes d’Ajdabiya et de Misrata.
"Les signes, ces dernières 24 ou 48 heures, ne sont pas de bon augure. Rien à voir avec l’énergie dont disposait la rébellion dans les première semaines, lorsqu’elle prenait ville après ville et que des diplomates et des militaires libyens faisaient défection".
Qui sont les alliés libyens de l’opération militaire ?
"Ce ne sont pas des soldats, ce sont des manifestants", décrypte M. Dickey. "Ils ont vu les évènements tunisiens et égyptiens comme une promesse, ils ont vu ces jeunes activistes, issus de classes éduquées, et ils se sont dits qu’il pouvaient accomplir la même chose. Mais contrairement à Ben Ali et Moubarak, Kadhafi leur a envoyé l’armée, et les choses ont tourné au vinaigre".
Qu’on les appelle "rebelles libyens", "insurgés" ou plus communément "opposition", ceux qui se battent contre le régime demeurent largement inconnus. Ils forment un pêle-mêle au sein duquel on trouve des proches du colonel Kadhafi, des militaires qui ont rejoint l’insurrection, et aussi des élites – médecins, avocats, enseignants – qui ont pris les armes pour défendre la cause de l’opposition.
Mais le dénouement de la crise libyenne pourrait aussi être celui de la partition, avec une zone orientale contrôlée par l’opposition, et une zone occidentale sous l’influence du régime. un scénario qui n'est pas sans rappeler le cas de l'Irak dans les années 1990, au temps des sanctions et de la zone d'exclusion aérienne, quand le pays était divisé entre un nord kurde, un centre sunnite et un sud chiite.