Qu'il s'agisse de refrains traditionnels ou de récents titres de rap, la musique a su fédérer les foules égyptiennes et tunisiennes en quête de démocratie et de liberté. Petit tour d'horizon des chants des partisans.
Les chants révolutionnaires en Tunisie, et plus récemment en Égypte, peuvent dérouter : "Je peux m’énerver contre toi, te bouder, oui. Mais te quitter, jamais". Cette chanson de la star libanaise Nancy Ajram a beaucoup circulé ces dernières semaines sur le Web et sur Facebook entre jeunes arabes aspirant au changement politique. Le Tunisien Zine el-Abidine Ben Ali et l'Égyptien Hosni Moubarak prenant la place du vilain amant...
Autre refrain particulièrement en vogue dans tout le monde arabe, celui de la chanteuse égyptienne Najat Essaghira implorant son amant : "Je te demande de me laisser partir". La ritournelle a été reprise comme une revendication lancée aux autorités en place : "Je te demande de partir".
À partir du 25 janvier, les chants, des plus traditionnels au plus modernes, ont été omniprésents dans tous les lieux de la contestation du pouvoir égyptien. Sur la place Tahrir, au Caire, devenue le centre névralgique du mouvement de contestation, des haut-parleurs ont non seulement craché des slogans anti-Moubarak et des discours politiques, mais aussi des chansons à la gloire de l'Égypte.
"Des 'poètes' écrivaient des slogans, d'autres composaient des musiques, ceux qui étaient place Tahrir jour et nuit produisaient constamment de nouvelles chansons", explique Sarah, jeune militante des droits de l'Homme, qui s'est rendue jour après jour sur la célèbre place.
(« Cette chanson est dédiée à Moubarak : tous, nous sommes là, unis, pour demander une seule chose : va-t-en. »)
"Nous chantons tout le temps l’hymne national", témoigne pour sa part Ola, une professeure d’arabe âgée de 44 ans qui s’est rendue tous les après-midi place Tahrir pour manifester contre Hosni Moubarak. L’hymne national, "Bilādī, bilādī, bilādī" (“Mon pays, mon pays mon pays, à toi mon amour et mon coeur”), "était repris dans toutes les mascarades officielles, note Pierre Abi Saab, responsable des pages culturelles du quotidien libanais "Al Akhbar", "maintenant, ce sont les jeunes qui se le réapproprient".
D'autres chants datent, eux, du temps des revendications anticolonialistes et nationalistes sous le régime de Nasser (1958-1970). Toutes les générations les connaissent. Dans ce répertoire populaire figure en premier chef l'incontournable diva Oum Kalsoum (voir vidéo), qui "parlait aux princes comme aux gens de la rue", pour reprendre les mots de l'écrivain égyptien Naguib Mahfouz. Il y a aussi le "Sinatra du Nil", Abdel Halim Hafez (voir vidéo).
Plus emblématiques encore sont les chansons révolutionnaires de Cheikh Imam, mort il y a 15 ans et qui avait payé ses paroles politiques de plusieurs séjours en prison sous la présidence d'Anouar el-Sadate (1970-1981). Ses chansons, que les médias officiels égyptiens prenaient soin de ne pas diffuser depuis des années, ont longtemps circulé dans tout le monde arabe sur des vieilles cassettes avant de se répandre sur Internet. C’est d'ailleurs avec une chanson de Cheikh Imam que la chaîne Al-Jazira a ouvert toutes ses émissions spéciales consacrées aux manifestations égyptiennes.
"Chaque génération redécouvre Cheick Imam et ses paroles, qui sont toujours d’une actualité terrifiante, témoigne Pierre Abi Saab. On dirait qu’elles ont été composées le 25 janvier dernier."
Nouvelle vague
Depuis la chute du président Hosni Moubarak le 11 janvier, de nouvelles productions célébrant le changement de régime sortent de mini-studios. "Nous avons réalisé l’essentiel, écrit avec notre sang", affirment Hany Adel et Amir Eid sur une vidéo tournée par de jeunes artistes égyptiens (écouter aussi le "Chant des martyrs" de Hany Adel, ici).
Car la jeune génération s’intéresse aussi aux nouveaux groupes en vogue. En Tunisie, le rappeur El General s’est fait mondialement connaître, début janvier, pour avoir fait de la prison en raison de son engagement politique. Mais il y a aussi Ramy Donjewan en Égypte, Lotfi Double Kanon en Algérie…
Un groupe de Libyens émigrés aux États-Unis en ont fait depuis une semaine un "mixtape", où figure également le rappeur Ibn Thabit, "qui tient à rester anonyme pour des raisons de sécurité". "Tous ces rappeurs, algériens, tunisiens, égyptiens, se réclament d'un islam modéré et appellent au changement politique. Il y a une unité entre toutes ces voix, une solidarité entre les jeunes des pays d'Afrique du Nord", explique Abdulla Darrat, l’un des responsables du site Enough, Khalas. El General fait d'ailleurs référence dans ses textes aussi bien à l’Égypte, qu’à la Libye et au Maroc.
Quant au chanteur britannique Yusuf Islam, alias Cat Stevens, il cherche à apporter sa pierre à l'édifice. Il propose à ceux qui manifestent contre les régimes arabes autoritaires de collaborer à une chanson en anglais "My People" au refrain très simple. Il suffit de l’enregistrer chez soi et d’envoyer son mp3 à mypeople@yusufislam.ae.
Image principale tirée de la vidéo "Sout Al Horeya" créée par Moustafa Fahmy, Mohamed Khalifa, Mohamed Shaker