Sur le marché de l’art, la France a perdu sa troisième place au profit de la Chine. Le Journal de l’Intelligence économique d’Ali Laïdi a enquêté sur les causes de ce déclin.
Dans les locaux de Sotheby’s, à Paris, les enchères grimpent : les acheteurs prennent des notes, le commissaire priseur guette les montants, jusqu’au coup de marteau final. Guillaume Cerruti, directeur de Sotheby’s France et auteur d’une analyse sur l’état du marché de l’art français, sonne l’alarme : « La France est un peu à la traîne : nous avons été effectivement dépassés, dans ce qui est aussi une compétition économique, par le Royaume Uni, les Etats- Unis, et aujourd'hui par la Chine. »
Il y a un demi-siècle, la France était le berceau de l’art. Des évènements artistiques prestigieux se déroulaient dans la capitale, où acheteurs et artistes se pressaient. Aujourd’hui, la France s’est fait devancer par la Chine. Principal raison : elle peine à s’adapter aux changements structurels, engendrés par la mondialisation.
« La France, dans ce panorama, n'a pas su bâtir, une entreprise de taille mondiale, analyse Guillaume Cerruti, nous avons énormément de professionnels très talentueux, mais qui sont regroupés souvent dans des entreprises de plus petites tailles. Or aujourd'hui, pour faire face aux enjeux mondiaux, il faut être une entreprise de taille mondiale.»
Dans ce secteur, dont le chiffre d’affaires s’étale entre 30 et 50 milliards d’euros, aucune entreprise française de vente n’est capable de concurrencer ses rivales américaine Sotheby’s ou anglaise Christie’s.
De son côté, Hervé Poulain a pu constater l’évolution du marché de l’art. Spécialiste de la vente aux enchères depuis plus de quarante ans, il est aussi co-fondateur de la maison de vente Artcurial. Pour lui, « il y a une corrélation, historique, maintes fois vérifiée, entre le pouvoir économique, le dynamisme économique d'un pays et son pouvoir créateur. »
Autrement dit, plus un pays est économiquement puissant, plus ses artistes ont la possibilité de vendre leurs œuvres au meilleur prix. Il y a cinquante ans, l’Europe était le cœur du marché de l’art. Aujourd’hui, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis détiennent 35% du marché, la Chine entre 10 et 15% et la France, seulement entre 5 et 8%.
Mais une vente exceptionnelle peut bouleverser les données, comme le note Jennifer Flay, directrice de la FIAC. Selon elle, ce classement des pays dans le marché de l’art, n’est pas totalement fiable : « Je pense qu’il est un petit peu anecdotique. L'année dernière, quand il y a eu la vente Bergé/St Laurent, la France est remontée de plusieurs crans dans ce fameux classement. Tout cela sur la base d'un seul évènement. »
Paris reste donc une place influente dans le marché de l’art. En octobre 2010, le plus grand marchand d’art du monde, l’américain Larry Gagosian, a ainsi installé sa 9ème succursale sur les Champs Elysées. Un projet qui laisse Hervé Poulain songeur quant aux objectifs réels de cette nouvelle galerie : « Si des grandes personnalités sont là pour promouvoir l'art qui se créé à Paris, c'est parfait. On peut peut-être soupçonner qu'elles soient là pour nous amener leurs artistes. »
La guerre des artistes aura-t-elle lieu ? Si Paris veut éviter de perdre de son influence, la France doit adapter sa législation et autoriser les ventes privées. « Cela permettrait déjà de relocaliser en France, des ventes souvent intéressantes, souvent prestigieuses qui ont lieu, du fait des restrictions de la loi française, à l'étranger » analyse Guillaume Cerruti, directeur France de Sotheby’s.
En novembre 2010, Guillaume Cerruti était auditionné sur ce sujet par les Sénateurs. Pour lui, Paris a enfin compris que l’art n’échappait à la compétition économique mondiale.