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La réaction de l'UE à l'adoption d'une loi restreignant la liberté de la presse se fait attendre

Budapest, qui prend ce samedi la présidence de l'UE, vient d'adopter une loi limitant singulièrement la liberté de la presse. Si des voix se sont élevées pour dénoncer une mesure liberticide, les institutions communautaires peinent à réagir.

C'est un hasard de calendrier qui fait mauvais effet. Alors que Budapest prend pour la première fois la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne ce samedi, une loi liberticide sur les médias entre en vigueur dans le pays. L'artisan de ce texte, qui a déjà suscité diverses condamnations à l'étranger, n'est autre que le Premier ministre conservateur Viktor Orbán, qui dirige la Hongrie d'une main de fer depuis avril dernier.

Promulguée jeudi par le président Pal Schmitt, cette nouvelle loi prévoit la création d'un Conseil des médias, dont les cinq membres seront tous affiliés au parti au pouvoir, la Fidesz. Cette autorité, qui supervisera l'ensemble des médias audiovisuels, écrits et Internet, pourra infliger de lourdes sanctions - de 89 000 à 700 000 euros - aux organes de presse dont les productions ne seront pas jugées "équilibrées politiquement" ou qui "porteront atteinte à la dignité humaine". Elle aura également le pouvoir de perquisitionner les sièges des médias et de contraindre les journalistes à révéler leurs sources, sur les dossiers relevant de la sécurité nationale.

"Le temps de la Pravda est révolu", selon Guy Verhofstadt

L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) est l'une des premières à avoir mis en garde contre cette nouvelle loi par la voix de sa représentante pour la liberté des médias, Dunja Mijatovic. "Si elle est mal utilisée, elle pourra réduire au silence les médias critiques et le débat public dans le pays", a-t-elle déclarée mercredi.

D'autres voix sont rapidement venues appuyer cette condamnation. Cette loi est un "danger direct pour la démocratie. L'État contrôlera l'opinion", a dénoncé le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn. "Ces mesures violent à l'évidence l'esprit et la lettre des traités de l'Union européenne, cela soulève la question de savoir si un tel pays mérite de diriger l'UE", a-t-il indiqué. "En tant que pays qui va prendre la présidence de l'UE, la Hongrie assume une responsabilité particulière pour l'image de l'ensemble de l'Union dans le monde", a renchéri le porte-parole adjoint du gouvernement allemand, Christoph Steegmans.

Le chef de file des Libéraux au Parlement européen, Guy Verhofstadt, a quant à lui dénoncé un texte "inacceptable", appelant la Commission européenne à réagir. "Le temps de la Pravda [organe du parti communiste soviétique, ndlr] est révolu", s'est-il insurgé. Le groupe des Verts a parlé d'une "mise sous tutelle intolérable". "Cette nouvelle loi, clairement répressive, est en contradiction totale avec le Traité européen, la Charte des droits fondamentaux et la Convention européenne des droits de l'Homme", a affirmé le Français Daniel Cohn-Bendit, co-président des Verts au Parlement.

L'organisation de défense des droits de l'Homme Amnesty International, l'Institut international de la presse (IPI) et la Fédération des agences de presse européennes (EANA) ont également critiqué ce texte.

Silence embarassé du côté des institutions européennes

En revanche, Bruxelles est jusqu'a présent restée silencieuse sur le sujet : hormis Guy Verhofstadt et Daniel Cohn-Bendit, ni le Parlement européen, ni la Commission, ni le Conseil de l'Union européenne n'ont exprimé de réserves vis-à-vis de la loi. L'article 7 du traité sur l'UE prévoit pourtant des mécanismes de prévention et de sanction qui peuvent être déclenchés en cas de violation, ou de risque de violation, des valeurs communes de l'Union.

"Il est important de formuler les critiques d'une manière adéquate, car il serait fatal de créer une mentalité 'coûte que coûte' en Hongrie et de risquer de faire déraper la présidence hongroise", a admis vendredi le secrétaire d'État allemand aux Affaires européennes, Werner Hoyer. Budapest prend en outre la tête de l'Union européenne dans un contexte délicat puisque la zone euro est en pleine crise et que des négociations difficiles sur le budget pluri-annuel doivent être lancées.

En Hongrie pourtant, cette loi commence déjà à faire sentir ses effets. La semaine dernière, deux journalistes de la radio Kossuth ont été suspendus après avoir observé une minute de silence lors de l'émission "180 minutes", en signe de protestation contre ce texte. Mardi, un journaliste hongrois d'opposition, invité dans la même émission pour parler de la situation à Tchernobyl, a lui aussi été privé d'antenne après avoir voulu observer une minute de silence, "pour protester contre les limitations à la liberté de la presse et exprimer sa solidarité envers les deux journalistes suspendus".

Inflexible, Viktor Orbán avait assuré, à la veille de Noël, "ne pas avoir peur des critiques". Le gouvernement hongrois, qui soutient que sa loi est conforme aux normes européennes, a invité ce vendredi l'OSCE à venir en discuter à Budapest.