![Exposition Larry Clark : que risquait le Musée d'art moderne à l’ouvrir aux moins de 18 ans ? Exposition Larry Clark : que risquait le Musée d'art moderne à l’ouvrir aux moins de 18 ans ?](/data/posts/2022/07/15/1657917347_Exposition-Larry-Clark-que-risquait-le-Musee-d-art-moderne-a-l-ouvrir-aux-moins-de-18-ans.jpg)
Une rétrospective sur l’Américain Larry Clark est bientôt proposée au Musée d’art moderne de la ville de Paris... et interdite aux moins de 18 ans. "L’affaire Cousseau" a visiblement durablement marqué les esprits, du moins à Paris.
"Ce n’est pas de la pornographie : l’exposition n’est pas là pour vendre de la sexualité et Larry Clark a un immense respect pour la personne photographiée. Les scènes n’incitent pas à prendre de la drogue et en montrent les dérives. Est-ce voyeur ? Non plus." Le commissaire du Musée d’art moderne de la ville de Paris, Sébastien Gokalp, défend son exposition, "Kiss the past hello", une rétrospective de l’œuvre filmée et photographique de l’Américain Larry Clark. Seulement, le musée à jugé bon de se protéger de toute poursuite juridique. Et il faudra être âgé de plus de 18 ans pour observer le "quotidien d'adolescents expérimentant drogues, sexe et armes à feu". Une décision très discutée, à quelques jours de l’ouverture de l’exposition, le 8 octobre.
Il s’agit d’autocensure, s’insurgent plusieurs élus Verts à Paris, qui s’en sont émus auprès du maire Bertrand Delanoë. "C'est la seule façon, vis-à-vis de la loi de 2007, de pouvoir faire l'exposition sans risquer de la fermer ou d'enlever des œuvres de l'artiste", rétorque Fabrice Hergott, directeur du Musée d’art moderne de la ville de Paris.
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© {{ scope.credits }}Le spectre de l'affaire Cousseau
Que dit la loi sur la protection de l’enfance ? "Le fait (…) de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d'un tel message, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur."
En fait, c’est surtout l’affaire "Présumés Innocents", du nom d’une exposition organisée à Bordeaux en 2000, qui fait date. Depuis dix ans, l’ancien directeur du CAPC-musée d'art contemporain de Bordeaux, Henry Claude Cousseau, et les deux commissaires de l’exposition, Marie-Laure Bernadac et Stéphanie Moisdon, sont traînés devant la justice par La Mouette, une association de défense et de protection de l’enfance. Ils ont bénéficié d’un non-lieu en correctionnelle en 2009, mais l'association s’est pourvue en cassation.
"Effectivement, l’affaire Cousseau a dégradé l’ambiance. On a pris conscience que l’époque a changé, qu'elle est devenue plus puritaine", raconte Sébastien Gokalp. "On a pesé le pour et le contre. On aurait pu mettre les œuvres les plus sensibles dans des espaces protégés, cachés derrière des rideaux... Mais Clark fait un travail sur la vérité et la langue de bois. S’autocensurer n’aurait alors pas de sens."
"Les ados voient de la drogue et de la pornographie sur Internet"
Le hic, c’est que les photos de Larry Clark qui ont déjà été montrées maintes fois en France, et ce sans censure aucune : en 1992, au Forum des Halles, et en 2007, à la Maison européenne de la photographie. Mais les craintes de poursuites juridiques sont telles que le catalogue de l’exposition n’est pas édité par Paris Musée - qui a refusé - mais par la galerie londonienne Simone Lee, qui diffuse l’œuvre de Clark en Europe.
L’artiste américain est le premier déçu. "Je suis choqué et surpris", réagit Larry Clark dans une interview au Monde. "Cette censure est une attaque des adultes contre les adolescents. C'est une façon de leur dire : retournez dans votre chambre ; allez plutôt regarder toute cette merde sur Internet. Mais nous ne voulons pas que vous alliez dans un musée voir de l'art qui parle de vous, de ce qui vous arrive." "Ça l'a beaucoup surpris, parce qu'il pensait que la France était plus libérale que les États-Unis, en tout cas c'est l'image qu'il avait", renchérit le directeur du musée, Fabrice Hergott.
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© {{ scope.credits }}"Vous pouvez fermer la moitié du Louvre"
"Pour dissuader les adolescents d’aller au musée, il n'y a pas mieux !", réagit Emmanuel Pierrat, avocat dans l’affaire "Présumés Innocents" - il défend Marie-Laure Bernadac et Stéphanie Moisdon, qui s'est d'ailleurs exprimée dans les colonnes du 'Monde'. "Je considère que c’est un vrai recul, surtout de la part d’une institution publique." L’affaire Cousseau ferait-elle peur aux musées ? "C’est vrai que cela a marqué les esprits, car on risque gros. Mais, en même temps, cela fait dix ans qu'elle dure. Et l’année dernière, nous avons bénéficié d’un non-lieu", fait-il valoir. "Si on crée un précédent avec Larry Clark, qui est particulièrement "soft" à mon sens, vous pouvez fermer la moitié du Louvre et la totalité de la galerie des Italiens. Vous y trouverez des pénis sur des plateaux ainsi que des corps criblés de flèches !"
L’exposition "Kiss the past hello" sera accompagnée d’une rétrospective de l’œuvre cinématographique de Larry Clark au Forum des Images. Un film comme "Ken Park" sera interdit aux moins de 18 ans, "Another Day in Paradise" aux moins de 16 ans. Mais les salles de cinéma sont habituées aux limites d’âge. Sébastien Gokalp a son explication : "Ce n’est pas le même public..."
En photo : Jack & Lynn Johnson, Oklahoma City, 1973 (Courtesy of the artist, Luhring Augustine, New York and Simon Lee Gallery, London)