
Le succès du "oui" lors du référendum sur une révision constitutionnelle a conforté le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan et son parti, l’AKP, au pouvoir depuis 2002. Mais cette domination combinée au contenu des réformes inquiètent l’opposition.
Bien que saluée par Bruxelles et les États-Unis, la nette victoire du "oui", dimanche, au référendum sur une révision partielle de la constitution turque n’a pas levé pour autant les inquiétudes relayées par l’opposition. Car certaines réformes constitutionnelles, validées par les électeurs turcs et présentées comme des avancées démocratiques par le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan, vont limiter les pouvoirs de la hiérarchie judiciaire et de l'armée.
Ces deux garants historiques de la laïcité depuis l’instauration de la République en 1923 par Mustapha Kemal Atatürk, sont en conflit ouvert avec le Premier ministre et son parti, le Parti de la justice et du développement (AKP, issu de la mouvance islamiste). La justice et l’armée ont plusieurs fois fait barrage à certaines de ses réformes. En 2008, l'AKP avait échappé de peu à la dissolution pour activités anti-laïques. "Depuis qu’il est au pouvoir, Erdogan cherche à laminer l’establishment kémaliste, laïc et nationaliste, en remettant en cause le pouvoir des militaires et de l’appareil judiciaire", explique Ariane Bonzon, journaliste spécialiste de la Turquie.
Séparation des pouvoirs fragilisée
Sans surprise, l'opposition laïque et nationaliste avait fait campagne contre les réformes qui, selon elle, remettaient en cause la séparation des pouvoirs et pavaient la voie à une possible dérive autoritaire d’Erdogan. "La crainte de dérives est légitime car la réforme va concentrer tous les pouvoirs dans les mains d’un même parti. Ainsi, l’AKP qui dirige la présidence de la République, le gouvernement et la majorité au Parlement, pourra désormais nommer les magistrats des principales institutions judicaires", explique à France24.com Alican Tayla, chercheur spécialiste de la Turquie à l'IRIS. Le texte adopté par référendum étend en effet le pouvoir du gouvernement sur l’appareil judiciaire en augmentant le nombre de membres de la Cour constitutionnelle et en donnant au Parlement et au président de la République le pouvoir de nommer certains d’entre eux.
Plébiscite
L’opposition et certains observateurs accusent également l’AKP de vouloir appliquer un agenda secret visant à islamiser le pays, bien que le texte des réformes ne contienne aucune mesure à caractère religieux. De son côté, le parti nie toute intention de diminuer le champ de la laïcité et revendique son appartenance au camp des partis chrétiens-démocrates conservateurs de l'Union européenne. Pour Alican Tayla, "le risque d’islamisation du pays est faible, car l’AKP n’est pas foncièrement islamiste. Il est devenu un parti conservateur, populiste et libéral par pragmatisme dans le but de conquérir le pouvoir".
Au pouvoir depuis 2002, l’AKP n’a perdu aucun scrutin national depuis cette date. Soit deux législatives et deux référendums couronnés de succès. Un plébiscite pour la figure de proue incontestée du parti, Recep Tayyip Erdogan, qui abordera en position de force les prochaines législatives, prévues en juillet 2011. L’ampleur de la victoire de dimanche (58% des voix), pourrait même l’inciter à avancer la date des élections.