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"La faible intensité de lumière va complètement modifier le rythme biologique des mineurs"

Bloqués sous terre depuis le 5 août, les 33 mineurs chiliens ne verront pas la lumière du jour avant plusieurs mois. Claude Gronfier, chercheur à l’Inserm, revient sur les conséquences biologiques et psychologiques d’une telle privation.

Ils sont bloqués à 700 mètres sous terre dans la mine de cuivre et d'or de San José depuis 29 jours. Coupés du monde, les 33 mineurs chiliens attendent toujours la date de leur retour sur terre. Le percement d’un puits de secours, initié lundi 30 août, prendra du temps et leur extraction n’est pas prévue avant quatre mois.

Des experts de la NASA apportent depuis début septembre leur concours aux autorités chiliennes. Leur connaissance des conditions et des conséquences de l’isolement extrême imposées par les vols spatiaux est précieuse.

Sur leurs conseils, les secouristes ont descendu des lumières artificielles pour simuler le jour et la nuit, et ainsi mieux aider les mineurs à se repérer dans le temps. En bas, la vie de groupe s’organise. Repas, gymnastique ou prières, les "33" de San José se créent une routine.

Claude Gronfier, chercheur au laboratoire de chronobiologie de l'Inserm à Lyon, explique à France 24 les effets du manque de lumière sur l'horloge interne.

F24 : Comment le corps réagit-il à des centaines de mètres sous terre ?

C.G : La faible intensité lumineuse va petit à petit complètement modifier le rythme biologique des mineurs. Sans repères diurnes, notre horloge biologique interne, initialement calée sur une journée solaire de 24 heures, se désynchronise et créé sa propre vitesse. Généralement, un nouveau rythme prend place qui oscillera entre 23 h 30 et 24 h 30. En apparence, ce décalage de 30 minutes ne semble pas grand-chose, mais une horloge a besoin d’être remise à l’heure. Or sans lumière, ce décalage s'accumulera jour après jour. Par exemple, au bout de 24 jours, un mineur peut avoir une nouvelle horloge interne qui aura 12 heures de retard par rapport à l’heure réelle.

F24 : Pourtant la NASA a descendu des lumières artificielles qui simulent le jour et la nuit afin que les mineurs ne perdent pas la notion du temps…

C.G : Tout dépend de la qualité et de la quantité de lumière délivrées. La lumière jaune/orangé d’une lampe de chevet par exemple n’a pas le même impact que la lumière du jour. L’une sert à mieux voir, l’autre à régler son cycle de vie. Idéalement, il faudrait que la NASA utilise une lumière avec une forte composante de bleu pour venir en aide aux mineurs. Nous savons que cette couleur aide particulièrement à synchroniser notre horloge biologique sur une journée de 24 heures. Mais de toute façon, la lumière artificielle est une solution chimérique : la simple connaissance de l’heure ne suffit pas pour synchroniser leur horloge interne sur le monde extérieur. Aussi, chaque mineur va vivre à son nouveau rythme biologique, ce qu’il faut à tout prix éviter. Il faut créer un environnement très régulier, où tous dorment et s’activent aux mêmes heures. C’est pour cela que les secouristes tentent de leur imposer un quotidien régulier et stable.

F24 : Quelles sont les conséquences d’une horloge désynchronisée ?

C.G : L’insomnie, l’anxiété, les troubles de l’humeur, de la mémoire, les troubles digestifs, les maladies cardio-vasculaires… la liste est longue. Tous ces symptômes sont liés à ce décalage horaire permanent : les mineurs ne sont jamais bien réveillés ni bien endormis… Ils n’ont pas un sommeil réparateur et sont donc plus vulnérables. Le confinement exacerbe le tout. Il n’est donc pas étonnant que certains d’entre eux soient confrontés à des dépressions. D’ailleurs, certaines études scientifiques ont mis en évidence le rapport de cause à effet existant entre le soleil et la déprime... Il semblerait que la lumière du jour stimule directement une structure cérébrale impliquée dans le contrôle de l’humeur…

D’un point de vue collectif : ces troubles peuvent porter atteinte à la cohésion du groupe. Un différend peut prendre une ampleur disproportionnée. Le plus important reste ainsi d’expliquer aux mineurs que tous ces dérèglements chronobiologiques - qui apparaîtront sûrement - sont "normaux" et qu’il faudra apprendre à vivre avec. À leur remontée en surface, la réadaptation se fera naturellement. Au bout de quelques jours, leurs yeux s’habitueront de nouveau à la luminosité, et en quelques semaines leur horloge interne se resynchronisera sur le rythme solaire.

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