logo

L'expulsion des Roms, une politique inefficace ?

93 Roms ont été rapatriés en Roumanie, ce jeudi, dans le cadre du durcissement annoncé de la politique du gouvernement à l'égard des individus de cette communauté en situation irrégulière en France. Un aller sans retour ? Pas si sûr...

La plupart des Roms du village de Calvini, situé à 300 kilomètres au nord-est de Bucarest, la capitale roumaine, ont déjà fait au moins une fois dans leur vie le voyage pour la France. Beaucoup sont habitués aux allers-retours entre les deux pays. "Je suis rentrée en Roumanie avec toute ma famille, raconte Iuliana Calin au correspondant de FRANCE 24 en Roumanie, Mirel Bran. On va rester le temps de dépenser l'argent que l'on a gagné en France, puis on y retournera. Que peut-on faire d'autre ?"

Chaque année, Paris expulse près de 10 000 Roms sur les quelque 15 000 d'entre eux qui vivent dans l'Hexagone. Ce jeudi, un premier avion a décollé dans la matinée avec 14 personnes à bord. Un second doit lui aussi prendre la direction de Bucarest - au départ de Lyon - dans la journée, rapatriant, cette fois, 79 Roms en situation irrégulière. Un troisième vol est prévu vendredi, et un quatrième le 26 août. Le ministre de l'Intérieur, Brice Hortefeux, a annoncé à la fin du mois de juillet le démantèlement de 300 camps illicites avant la fin d'octobre. Il a ensuite promis que 700 Roms seront expulsés d'ici à la fin du mois d'août.

Fichier biométrique 

Circulation des Roms dans l'UE : que dit la loi ?

La plupart des Roms sont originaires de Roumanie et de Bulgarie, deux pays membres de l’Union européenne (UE) depuis 2007. Ils peuvent donc circuler librement dans les pays de l'UE, mais sont soumis à des restrictions "transitoires". Ils doivent notamment demander une autorisation pour travailler en France.

Comme tous les Européens, les Roms sont soumis à une obligation de ressources s'ils désirent rester en France au-delà de trois mois. Ils peuvent également être expulsés à tout moment s'ils sont reconnus coupables de troubles à l’ordre public.

Un chiffre qui ne marque pas un tournant mais la poursuite d'une politique mise en place il y a plusieurs années, affirme la géopoliticienne Morgane Garo, auteure de l'ouvrage "Roms, une nation en devenir ?". "Ces expulsions ont commencé dans les années 2000 et se poursuivent aujourd'hui, estime-t-elle. Elles servent la politique du chiffre du gouvernement, mais pas les populations. La plupart des personnes renvoyées dans leur pays reviendront, car ce sont des citoyens européens. Elles bénéficient de la liberté de circulation et ont le droit de s'installer en France." Le ministre de l'Immigration, Éric Besson, a d'ailleurs lui-même admis qu'il était impossible d'empêcher les personnes expulsées à partir de ce jeudi de revenir en France...

Dans le cadre de "l'aide au retour humanitaire" (ARH), Paris paie le billet d'avion des Roms qui acceptent de rentrer dans leur pays. Ceux-ci reçoivent également une aide de 300 euros par adulte et de 100 euros par enfant. Enfin, pour les inciter à rester en Roumanie, la France peut leur offrir jusqu'à 3 600 euros d'aide à la création d'entreprise. Victor Muscaliou, un habitant de Calvini, espère que son projet de création d'une épicerie sera accepté. "Je ne sais pas comment me débrouiller autrement, explique-t-il à FRANCE 24. J'ai 60 ans. À cet âge-là, je n'ai pas d'autre solution. Si je ne reçois pas cette aide, je vais retourner en France. La vie y est plus facile et on y gagne plus d'argent."

Pour éviter que les personnes expulsées ne bénéficient plusieurs fois de l'ARH, Paris compte sur "l'outil simplifié d'aide au retour" baptisé Oscar qui, à partir du 1er septembre, deviendra biométrique. La police pourra alors enregistrer les empreintes digitales des personnes qu'elle contrôle - lors de l'occupation illégale d'un camp par exemple - et non plus seulement leur nom et prénom. "La mise en place de ce fichier biométrique est scandaleuse, s'insurge Morgane Garo. Il rappelle des heures sombres de notre histoire."

Un ostracisme séculaire en Roumanie

En parallèle, Paris presse aussi le gouvernement roumain de trouver des solutions. "Le problème des Roms est avant tout un problème roumain, affirme ainsi Pierre Lellouche, secrétaire d'État aux Affaires européennes. Le volet délinquance doit être géré entre nos deux pays mais le problème de l'insertion est d'abord celui du pays d'origine."

La Roumanie compte environ deux millions de Roms, soit la plus importante communauté d'Europe. Éparpillés dans les villages et les ghettos des grandes villes, ils sont victimes de graves discriminations. Les autorités ont pourtant mis en place des politiques d'"affirmative action" afin d'améliorer leur sort. Ainsi, des universités réservent des places aux étudiants roms, qui sont dispensés d'examens ; des mairies nomment des médiateurs roms chargés de faciliter le dialogue entre leur communauté et l'administration ; etc. "Malgré les progrès, les discriminations restent toutefois importantes, explique Mirel Bran. Les Roms ont, par exemple, beaucoup de mal à trouver un emploi, car les Roumains ne leur font pas confiance. En résumé, il existe en Roumanie une bonne législation pour protéger les minorités, mais qui n'est souvent pas respectée."

"Roms", "Tsiganes" ou "gens du voyage" ?

"Gens du voyage" est l'appellation administrative, établie à la fin des années 1970, qui désigne les communautés nomades de France, ceux "dont la profession et les occupations nécessitent un déplacement continuel en caravane pendant la majeure partie de l'année". Ils possèdent la nationalité française.

Les "Roms" ou "Tsiganes", sont, à l'origine, un peuple nomade venu d'Inde, aujourd'hui très majoritairement sédentarisé. En France, le terme "Roms" désigne des nomades d'origine essentiellement roumaine ou bulgare. Ils bénéficient de la liberté de circulation mais n'entrent pas dans la catégorie juridique française des "gens du voyage".

Les Roms sont appelés différemment selon les zones géographiques. On parle de "gitans" en Camargue, dans le sud de la France, comme en Espagne. En Italie ou dans les pays germanophones, en revanche, on parle de "manouches".

"L'ostracisme qui existe à l'égard des Roms en Roumanie est séculaire et profondément ancré dans la société, ajoute pour sa part Morgane Garo. Lorsque les Roms sont arrivés dans le pays au XIIIe siècle, ils ont été réduits en esclavage. Aucun travail d'histoire ou de mémoire n'a été fait."

Critiques de Bucarest et de Sofia

Aujourd'hui, le durcissement de la politique sécuritaire de Paris irrite les autorités roumaines, mais aussi bulgares. Le ministre roumain des Affaires étrangères, Teodor Baconschi, s'est dit inquiet des "risques de dérapages populistes" et de "réactions xénophobes sur fond de crise économique". Et a prôné une coopération éloignée de toute "fièvre électoraliste" avec la France. "Au lieu de trouver des solutions, nous générons des tensions", a-t-il regretté.

Une allusion aux différentes déclarations faites par des membres de la majorité ces derniers jours, à l'instar de Pierre Lellouche qui a menacé de retarder l'entrée de la Roumanie dans l'espace Schengen - prévue pour 2011 - si celle-ci ne réglait pas la question de sa minorité. "Cela risque d'accroître le racisme anti-Roms en Roumanie, avertit Mirel Bran. Les Roumains vont se dire qu'une fois de plus, tous les malheurs de leurs pays résulteront des Roms."

"L'aide au retour ne change pas les conditions de vie des Roms en Roumanie ou dans les autres États européens, constate Morgane Garo. Plutôt que des retours dits 'humanitaires', qui sont en réalité souvent forcés, il faudrait mettre en place une politique globale pour leur permettre un meilleur accès à l'éducation, à la santé, à la formation et à l'emploi. La politique d'expulsion est un échec, qui ne règle en rien le problème."