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La querelle des sectes en France

La France connaît régulièrement des polémiques autour de l’existence de sectes sur son territoire. Mais tous les nouveaux mouvements sont-ils aussi dangereux que le répète l’organisme français de lutte contre les sectes ?

Le palais de l’Elysée n’a pas pour habitude de se laisser déborder par les propos de ses conseillers. Emmanuelle Mignon (photo), directrice de cabinet du président Sarkozy, a pourtant eu la maladresse de déclarer, dans une interview donnée en février au magazine VSD, que les sectes sont un "non-problème" en France. La très discrète et néanmoins influente conseillère du président a déclenché, avec cette courte formule, la controverse.

Depuis ses déclarations, on a vu tout le gouvernement faire front derrière le Premier ministre François Fillon pour répéter que "les activités sectaires sont inadmissibles et inacceptables", et qu’elles doivent être "combattues". Pour clore un épisode maladroit sur une question particulièrement sensible en France, Nicolas Sarkozy a ajouté qu’il n’avait jamais eu "la moindre faiblesse" face aux sectes.

A la suite de sa déclaration, chroniqueurs et journalistes en France ont rappelé dans leurs colonnes la visite à Bercy que l’acteur américain Tom Cruise, scientologue revendiqué, lui avait faite en août 2004. Une allusion qui n’avait rien d’anodin, tant la Scientologie ne cesse, ces dernières années, de faire les gros titres en France et de susciter des craintes.

Il faut dire que la France a parfois été un peu prompte à réagir et à condamner quand il s’agissait de parler de "sectes". Raphaël Liogier, professeur à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence et directeur de l’Observatoire du religieux, n’a pas hésité à dénoncer, dans une tribune publiée dans le journal Le Monde daté du 4 mars 2008, les faits et gestes de la sentinelle officielle du Premier ministre dans la lutte anti-secte, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) : "la culture administrative de la Miviludes, fondée sur la méconnaissance volontaire du terrain, ne permet d’ailleurs pas de combattre les sectes réellement dangereuses, mais les protège au contraire par la confusion qu’elle fait régner".

Comment définir une secte ?

Toute la question est là : comment définit-on précisément une secte ? Toute secte est-elle systématiquement dangereuse ? De nombreux universitaires en France dénoncent le dogmatisme d’une Miviludes qui ne prend pas en compte l’évolution des croyances issues de la modernité, et ne prend pas la peine de s’informer auprès de chercheurs et d’enquêteurs sur la nature de ces "nouveaux mouvements religieux".

De son côté, la Miviludes fait valoir que l’Etat doit poursuivre tout mouvement ou tout groupe susceptible de porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine. Mais il n’existe pas en France, à proprement parler, de reconnaissance officielle des sectes. En effet, selon Jean-Michel Roulet, président de la Miviludes, "l’Etat considère que la croyance relève de la sphère privée depuis la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905. Cette liberté de croyance a deux limites : il faut préserver la liberté de ne pas croire et limiter tous les troubles à l’ordre public".

La Miviludes est donc chargée de veiller sur les éventuelles dérives à caractère sectaire susceptibles d’apparaître dans tout mouvement : emprise mentale du groupe ou du gourou sur les adeptes, éloignement familial, ou encore des contributions financières de plus en plus exigeantes. La Miviludes cherche, selon son président, à identifier ce processus de "destruction d’une personnalité" conduisant  à la naissance d’un "robot soumis".

Ce que conteste Raphaël Liogier, directeur de l’Observatoire du religieux et auteur d’Une Laïcité "légitime", la France et ses religions d’Etat (aux éditions Médicis-Entrelacs, mars 2006), c’est l’affrontement qui se passe au plus haut niveau de l’Etat, opposant "les laïcistes purs et durs de la Miviludes aux chercheurs de terrain qui connaissent les nouveaux mouvements religieux".

L’enjeu sémantique est particulièrement important dans la mesure où le mot ‘secte’ renvoie en France à toutes sortes de dérives liées au fanatisme, et suscite automatiquement la suspicion et la crainte. "Le mot secte est plein d’ambiguïtés, en français, et renvoie plus au mot ‘cult’ en anglais, qui véhicule l’image d’un groupe étrange, avec des activités dangereuses. Or, c’est le fait d’une minorité de mouvements", précise-t-il. La France reste en quelque sorte tributaire de son histoire. L’église catholique représente encore une religion type dans l’imaginaire français. Au-delà, il subsiste toujours, depuis la Révolution française, une certaine méfiance à l’égard de toute croyance s’écartant du chemin tracé par la République et la laïcité.      

La mondialisation modifie les croyances

Il est normal que les croyances évoluent, selon les sociologues, à plus forte raison à l’heure où la mondialisation fait basculer les repères. C’est même une "condition structurelle de la modernité", selon Raphaël Liogier : "comme chacun a droit à ses convictions, chacun fabrique ses petites croyances. On assiste bien, de ce point de vue, à une multiplication des chapelles".  

La dangerosité des nouveaux mouvements religieux est une autre affaire. Elle est le fait, d’après de nombreux travaux publiés par des universitaires, d’une minorité. Au Royaume-Uni, les sujets de Sa Majesté bénéficient des connaissances centralisées par un organisme original, l’Inform, pour étudier tout nouveau mouvement, sans préjuger de ses intentions.

Cette institution, née de l’initiative de chercheurs de la prestigieuse London School of Economics, est financée par  le gouvernement. Les Britanniques concilient, de cette manière, droit au respect de l’expression des croyances, conformément à la Convention européenne des droits de l’homme, et connaissance des pratiques et des risques inhérents à chaque nouveau groupe.  
 

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