Pour Jacques Massey, auteur d'"ETA, histoire secrète d'une guerre de cent ans" (Flammarion), la fusillade de mardi soir en région parisienne révèle avant tout le caractère de plus en plus inexpérimenté des commandos clandestins.
L’arrestation mardi soir, après une fusillade, d’un membre présumé d’ETA en région parisienne, celle, en février, du numéro un du mouvement indépendantiste basque en Normandie … La base arrière du mouvement s’est-elle déplacée du sud-ouest, son ancrage traditionnel, au nord de la France ?
Jacques Massey : Le fait que l’on retrouve des militants etarras en région parisienne n’est pas nouveau et existe depuis la création du mouvement, cette zone offrant des possibilités de caches et de déplacements anonymes plus importantes que dans le sud. La récente arrestation d’Ibon Gogeascoechea Arronategui en Normandie est en revanche beaucoup plus significative. Elle montre qu’ETA développe de plus en plus son infrastructure au nord de la Loire.
Quel enseignement peut-on tirer du profil de l’homme arrêté qui, selon la presse espagnole, est Joseba Fernandez Aspurz, un militant de 27 ans ?
J.M. : C’est quelqu’un qui militait et travaillait au Pays basque espagnol, et s’activait, jusqu’à encore il y a peu de temps, sans avoir à basculer dans la clandestinité. Recherché par la police pour violences urbaines, il a dû quitter le pays pour se réfugier dans ce qui est historiquement la base arrière du mouvement, la France, et devenir un illégal. Les illégaux sont ensuite pris en charge par les structures d’ETA pour composer des commandos. C’est toutefois étonnant de le retrouver dans une opération un mois et demi seulement après son passage dans la clandestinité.
Ce caractère inexpérimenté explique peut-être le fait que, face à la police française, la fusillade a davantage relevé d’une réaction que l’on pourrait qualifier de primaire, que d’un raisonnement politique. Les ettaras ont toujours une arme sur eux, mais la consigne est de ne pas s’en servir. Soit la consigne a changé, soit l’inexpérience a parlé. Dans tous les cas, je ne crois pas à une guerre déclarée d’ETA contre les policiers français.
Un récent rapport de la police espagnole décrit ETA comme un mouvement "au bord de l’abîme", en mettant notamment en avant cette question de l’inexpérience accrue des commandos… Assiste-t-on à un chant du cygne ?
J.M. : Cela fait 20 ans que la police espagnole dit cela. Ce qui est vrai, c’est que le rythme des arrestations s’est accéléré. Un chef pouvait avant tenir 2 à 3 ans. Sa durée de vie est aujourd’hui plutôt de quelques mois, du fait de la pression policière. Dans l’organisation, chaque poste de responsabilité est doublé. Quand il y en a un qui tombe, un autre le remplace. Malgré ce renouvellement constant, la coopération entre les polices française et espagnole pèse efficacement sur la capacité stratégique du mouvement. Mais tant que la question basque ne sera pas résolue, tant que les revendications indépendantistes ne trouveront pas un moyen d’aboutir, je n’imagine pas les partisans de la lutte armée abandonner. La fusillade de mardi soir ne va pas arranger ceux qui, au Pays basque, s’expriment de plus en plus ouvertement pour suspendre la lutte et entamer un processus de dialogue, comme en Irlande du Nord avec l’IRA. Cette action montre en tout cas que la détermination des etarras est entière.