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Pourquoi la gauche est-elle devenue spécialiste de la politique locale ?

Depuis sa victoire aux élections régionales de 2004, la gauche a remporté les municipales et les cantonales de 2008 mais a été défaite à la présidentielle de 2007 et reste minoritaire au Parlement. Explications avec le politologue Stéphane Rozès.

La France est gouvernée par la droite, mais les régions, départements et mairies sont majoritairement de gauche. Selon les derniers sondages, les élections régionales des 14 et 21 mars pourraient confirmer, voire accentuer, ce contraste, alors que la gauche détient déjà le pouvoir dans 20 des 22 régions de France métropolitaine.

Pour Stéphane Rozès, politologue et président du cabinet Conseils, analyses et Perspectives (CAP), cette division du pouvoir n’est finalement pas surprenante. Dans un pays aux aspirations "tendanciellement de gauche", le Parti socialiste serait le mieux placé pour répondre aux attentes locales, tout en demeurant incapable de se conformer à un système présidentiel au niveau national.
 

La droite semble se diriger, une nouvelle fois, vers une lourde défaite aux régionales alors même qu’elle paraît indétrônable au niveau national. Comment expliquer cette division territoriale du pouvoir en France ?

La victoire de Nicolas Sarkozy en 2007 a été celle d’un Bonaparte, qui a su résoudre les contradictions à l’intérieur du pays et incarner l’imaginaire national – ou du moins celui d’une majorité. De son côté, le PS peine toujours à s’adapter aux institutions de la 5e République. Son échec électoral au niveau national n’est pas tant celui de ses politiques, que de son incapacité à incarner un imaginaire national. Ségolène Royal a su le faire dans un premier temps, mais sans réussir à y ajouter un projet politique.

Les derniers scrutins présidentiels ne marquent-ils pas un désaveu des politiques nationales de la gauche ?

La France est tendanciellement à gauche pour ce qui est du souhaitable, et à droite pour ce qui relève du possible. La gauche a eu tendance à externaliser vers l’Europe ce qu’elle n’arrivait plus à assumer au niveau national, au risque de faire paraître l’État impuissant. En même temps, l’Europe réelle se révèle bien différente de l’Europe que le Parti socialiste attendait, d’où son échec aux européennes.

Comment expliquer alors la mainmise des socialistes sur les régions ?

Le déficit de crédibilité des socialistes à l’échelle nationale ne s’applique pas au niveau local. Mieux que la droite, ils sont en mesure de concilier aspirations locales et politiques municipales et régionales, notamment en matière de services publics. Le danger pour les socialistes est de se contenter de leurs fiefs locaux, alors que la présidentielle demeure l’élection reine en France. Le PS se trouve face à un choix, entre la résolution de ses problèmes internes et sa mutation en un parti de notables.

Cette forme de cohabitation entre gauche et droite ne risque-telle pas de nuire aux relations entre pouvoir central et collectivités territoriales ?

Cette répartition du pouvoir n’altère pas fondamentalement le rapport entre le gouvernement central et les régions. La recentralisation en cours actuellement correspond au tempérament du président. Elle aurait eu lieu même si les régions avaient été majoritairement à droite. En même temps, le désengagement de l’État en matière de services publics est une tendance vouée à se poursuivre. L’État délègue de plus en plus aux collectivités territoriales la tâche de gérer la contradiction entre des ressources toujours moindres et des demandes qui demeurent importantes ; ce qui joue en faveur de la gauche lors des scrutins locaux.