
Des céréales et des bonbons, le 19 avril 2024, à Chicago, aux États-Unis. Getty Images via AFP - SCOTT OLSON
Depuis son arrivée au ministère de la Santé américain, Robert Kennedy Jr ne cesse de le marteler : les jeunes Américains sont en mauvaise santé parce qu'ils ne bougent pas assez, mangent mal et sont accros aux écrans. Et de promettre : il va tout faire pour y remédier. Début septembre, son combat s'est ainsi officiellement matérialisé par une feuille de route d'une vingtaine de pages pour "rendre leur santé aux enfants et adolescents".
Le document était très attendu par la communauté scientifique car le ministre de la Santé n'exagère pas face à l'ampleur du problème. Les chiffres sont alarmants et toutes les courbes montrent que la situation continue à se détériorer chaque année, avec un nombre grandissant de cancers, de maladies chroniques et de troubles mentaux chez les jeunes Américains.
Une étude publiée en août dans la revue "Journal of the American Medical Association", dressant un panorama de la santé pédiatrique outre-Atlantique, mettait ainsi en évidence des taux de mortalité des jeunes Américains très supérieurs à ceux des autres pays de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques* (OCDE). Dans le détail, le taux de mortalité moyen pour un Américain de 1 à 19 ans est supérieur de 80 % à la moyenne des autres pays de l'OCDE.
En parallèle, leur santé se dégrade. En 2011, 25,8 % des enfants de 3 à 17 ans souffraient d'une maladie chronique. En 2023, le chiffre est passé à 31 %. Parmi les maladies représentées : des troubles mentaux comme la dépression ou l'anxiété, mais aussi l'obésité, le diabète et les troubles du métabolisme.
"La situation empire à une vitesse fulgurante depuis une quinzaine d'années et on voit aujourd'hui des jeunes souffrir de pathologies qui ne les touchaient pas avant, comme le diabète", confirme Barry Popkins, professeur émérite à la Gillings School of Public Health de l'université de Caroline du Nord. Et si le taux de mortalité élevé s'explique avant tout par des morts par armes à feu, "la dégradation de leur santé est due à plusieurs facteurs, mais principalement à une alimentation déplorable et à l'exposition à des produits chimiques", analyse-t-il.
Les produits ultra-transformés, le nerf de la guerre
Deux causes qui avaient aussi été pointées du doigt par Robert Kennedy Jr, lors d'un premier rapport publié en mai 2025, et auxquelles cette feuille de route promettait de s'attaquer.
Dans le document, l'administration Trump dresse ainsi une liste d'une centaine de recommandations. Elle propose par exemple de bannir les colorants synthétiques dans les produits vendus au supermarché, d'augmenter les exigences sur la qualité des laits infantiles, d'améliorer la recherche sur la nutrition ou encore de proposer des aliments plus sains dans les hôpitaux…
"Le texte propose de nombreuses idées prometteuses et a le mérite d'appeler la population à un changement de comportement, notamment dans le domaine de l'alimentation", salue Kelly Brownell, professeur émérite à la Sanford School of Public Policy de l'université Duke.
"Mais le véritable nerf de la guerre, l'omniprésence de produits ultra-transformés, trop gras, trop sucrés et trop salés, dans le régime des enfants est malheureusement totalement éludée", poursuit-il, soulignant que les occurrences "sucres" et "ultra-transformés" n'apparaissent qu'une fois tout au long des vingt pages du texte.
"Alors que ces produits ultra-transformés sont le véritable fléau dans les assiettes", poursuit Barry Popkins. Selon le dernier rapport du Centre de prévention et de contrôle des maladies, les enfants américains puisent en effet près de deux tiers de leur apport calorique quotidien dans ces produits riches en additifs, en sucres, en sel et en graisses qui contribuent à l'explosion des cas de diabète, d'obésité ou encore d'hypertension artérielle.
Une mauvaise habitude alimentaire que le spécialiste explique aisément : "Ces produits sont moins chers et sont faits pour que, plus on les consomme, plus on ait envie de les consommer. Ils sont appétents et addictifs", explique-t-il. "Ça commence avec des céréales industrielles au petit-déjeuner pour gagner du temps, puis, au déjeuner, on se contente d'un sandwich avec du pain et de la viande transformée. Et puis au dîner, on met un plat préparé au micro-ondes. Le tout agrémenté à chaque fois d'un soda. On recommence le lendemain parce que c'est facile, c'est pas cher, et le goût fait envie."
Et à cette praticité sont venues s'ajouter des années de marketing pour convaincre que ces aliments sont appropriés", ajoute Kelly Brownell. "Les enfants sont les premiers visés car les industries sont bien conscientes qu'ils sont plus faciles à convaincre et que leurs habitudes d'aujourd'hui leur resteront une fois adultes."
Devant l'absence de mesures claires sur le sujet, les deux spécialistes ne cachent donc pas leur déception. "Pour une fois, un ministre pointait du doigt les bons coupables. Mais au moment de passer à l'action, ce n'est que du vent."
Une "victoire" des lobbys
"Le rapport donne des recommandations aux entreprises et appelle à leur responsabilité, mais il n'oblige à aucun moment l'industrie alimentaire à rendre ses produits plus sains et à cesser de commercialiser des aliments néfastes pour les enfants", poursuit Kelly Brownell.
"Or, il est complètement illusoire de penser que la situation pourrait s'arranger sans que l'industrie ne soit contrainte de modifier ses pratiques", dénonce-t-il. "Des appels comme celui-ci, les gouvernements et les ONG les formulent depuis des années sans que rien ne change. Au contraire, les aliments sont de plus en plus transformés et commercialisés. Pourquoi cette fois serait-ce différent ?"
Pour les deux hommes, le constat est clair : "L'administration américaine a de nouveau échoué à résister à la pression des lobbys", affirment-ils de concert. "Les intentions étaient bonnes, mais les industries alimentaires et agricoles ont finalement remporté la victoire", dénonce Barry Popkins.
Car outre le domaine de l'alimentation, le constat est le même pour la question des pesticides et autres produits chimiques présents dans les aliments. Si Robert Kennedy Jr a, à plusieurs reprises ces derniers mois, dénoncé leur impact sur la santé des jeunes, le sujet n'est finalement que très peu abordé dans la feuille de route. Là encore, le texte insiste davantage sur l'utilisation de "technologies de précision" pour réduire leur emploi dans l'agriculture que sur de possibles interdictions.
Au sein même du mouvement du ministre de la Santé, "Make America Healthy Again" ("Rendez à l'Amérique sa santé"), les critiques fusent. Cette feuille de route constitue une "petite victoire" pour les industriels, abonde Zen Honeycutt, militante proche du mouvement. "C'est un exemple flagrant de la corruption menée par les entreprises chimiques", juge-t-elle.
Une posture "hypocrite"
Au-delà de cette victoire des lobbys, Barry Popkins dénonce aussi une "posture hypocrite" de la part du gouvernement de Donald Trump. "Certes, on peut se féliciter de ce que le rapport dresse le constat important qu'il faut améliorer la qualité de l'alimentation des jeunes", note-t-il. "Mais cela n'est-il pas hypocrite de la part d'un gouvernement qui supprime un à un les différents programmes d'aides alimentaires", qui permettaient aux populations, notamment les plus précaires, de mieux s'alimenter ?
Depuis le début du second mandat de Donald Trump, l'administration américaine a en effet opéré des coupes budgétaires sans précédent dans certains programmes sociaux, privant ainsi de nombreuses familles, notamment les plus précaires, d'une précieuse aide financière pour s'alimenter.
"À la fin, la santé des jeunes Américains ne s'améliorera que quand on acceptera de s'affranchir de la pression des industries pour mettre en place une vraie politique de santé publique", conclut Barry Popkins. "D'autant plus que dans le domaine de l'alimentation, nous connaissons déjà des mesures efficaces pour lutter contre la malbouffe, comme des étiquetages avec des messages de prévention ou les taxes sur les boissons sucrées et les sodas."
Des mesures "faciles à mettre en place, qui ont déjà prouvé leur efficacité à l'étranger", pointe-t-il, et qui auraient aussi l'avantage de "générer des recettes pour financer des programmes d'aides alimentaires."