L'engin n'est pas sans rappeler les capsules de sommeil de la saga "Alien", à ceci près que le sommeil proposé par la capsule "Sarco", lui, est éternel.
La machine, appartenant à l'association The Last Resort ("le dernier recours", en anglais), a été utilisée pour la première fois par une Américaine, lundi 23 septembre, dans une forêt du canton suisse de Schaffhouse. Un événement qui a immédiatement créé la polémique et mené à plusieurs arrestations, les autorités suisses considérant ce dispositif – provoquant la mort par inhalation massive d'azote – comme illégal.
Florian Willet, coprésident de l'association, était la "seule personne présente" lors de la mort de cette Américaine originaire du Midwest qui souffrait d'une "grave déficience immunitaire". Il a décrit son décès comme étant "paisible, rapide et digne".
"Une mort paisible et idyllique dans une forêt suisse", a également commenté mardi sur X Philip Nitschke, médecin australien et militant proeuthanasie ayant créé la capsule "Sarco", estimant que le dispositif avait permis d'"aider une Américaine à avoir la mort qu'elle souhaitait".
Mais les autorités suisses, elles, ne l'entendent pas de cette oreille, bien que le suicide assisté soit possible dans la Confédération helvétique – dans des conditions très précises. L'affaire, qui fait la une des journaux locaux et connaît un écho international, promet un vif débat juridique et politique.
Quatre personnes présentes arrêtées
Cheveux mi-longs blonds, pantalon noir et veste bouclette. Sur la photographie, prise par un journaliste du quotidien néerlandais de Volkskrant, la sexagénaire se tient debout, face à la cabine "sarcophage" ouverte et prête à l'accueillir.
Selon The Last Resort, elle s'y est ensuite allongée et a répondu à une série de questions pour confirmer qu’elle comprenait ce qu’elle faisait, avant d’actionner elle-même un bouton libérant de l’azote. Avec le gaz remplaçant l'oxygène dans la capsule, le sujet perd conscience après quelques respirations et meurt au bout de quelques minutes.
Prévenues, lundi, de l'utilisation de cette cabine, les autorités cantonales sont intervenues et ont retrouvé le corps sans vie de l'Américaine. Quatre personnes présentes sur les lieux, dont le photographe néerlandais, ont été arrêtées.
"Ces personnes sont en détention, nous allons les interroger, recueillir davantage de preuves et les résultats de l'autopsie, et continuer les investigations sur cette capsule", expliquait mardi Peter Sticher, premier procureur du canton de Schaffhouse, à la radio-télévision suisse (RTS). "Nous n'en sommes qu'au début."
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Accepter Gérer mes choixAu quotidien suisse Blick, le procureur explique avoir été informé du décès par l'appel d'un avocat. Il affirme aussi qu'en cas de "décès exceptionnel", la police et le procureur sont tenus de se déplacer.
"Nous avons trouvé la capsule avec la personne inanimée à l'intérieur. Nous avons retiré la personne de la capsule et l'avons transférée à l'institut de médecine légale", détaille le magistrat, qui précise que la procédure diffère d'avec les autres suicides assistés.
"Jusqu'à présent, nous n'avons eu que des cas d'Exit (association pour le droit à mourir dans la dignité, NDLR) dans le canton de Schaffhouse. On est informés, on propose un inspecteur légal. On n'a pas besoin de l'institut de médecine légale et du service médico-légal."
En Suisse, l'assistance au suicide n'est pas explicitement autorisée. Mais selon ce que prévoit l'article 115 du Code pénal, elle n'est punissable qu'en cas de "mobile égoïste".
"Celui qui, poussé par un mobile égoïste, aura incité une personne au suicide, ou lui aura prêté assistance en vue du suicide, sera, si le suicide a été consommé ou tenté, puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire."
Article 115 du Code pénal suisse
Dans le cas du dispositif "Sarco", les autorités disent ne pas connaître le fonctionnement et les intentions – notamment financières et idéologiques – de l'association. Une enquête pénale est donc ouverte pour "incitation et aide au suicide".
Selon les propos du premier procureur de Schaffhouse rapportés par la RTS, l'enquête doit permettre d'apporter de la clarté et un embryon de première jurisprudence sur cette méthode très controversée de suicide par l'azote.
En juillet déjà, la menace de poursuites pénales
Celle-ci soulève en effet de vives inquiétudes en Suisse depuis le mois de juillet. Le quotidien zurichois NZZ am Sonntag avait alors révélé que la capsule d'aide au suicide pourrait être utilisée pour la première fois sur le sol helvétique.
De son côté, The Last Resort avait affirmé, lors d'une conférence de presse donnée le 17 juillet, que cette méthode, qui permet de mourir sans l'aide d'un médecin, pourrait être utilisée "très bientôt".
Un médecin du Valais s'était prononcé contre l’utilisation de la capsule dans son canton, après la publication de l'article de la NZZ am Sonntag.
Le ministère public schaffhousois avait aussi déjà émis des objections. À Blick, le procureur Peter Sticher précise que l'association – créée il y a quelques mois et financée par des dons privés – avait été mise en garde. "Nous les avons avertis par écrit. Nous avons dit que s'ils venaient à Schaffhouse et utilisaient Sarco, ils s'exposeraient à des conséquences pénales."
Hasard du calendrier, deux heures seulement avant les faits, lors des questions au Conseil national – la chambre basse de l'Assemblée fédérale suisse –, une députée avait interpellé la ministre de la Santé, Elisabeth Baume-Schneider, sur la légalité d'un tel dispositif. Réponse de cette dernière : "L'utilisation de la capsule est illégale en Suisse pour deux raisons : elle ne répond pas aux exigences du droit sur la sécurité des produits et ne peut donc pas être mise sur le marché. D'autre part, utiliser ainsi l'azote n'est pas compatible avec la loi sur les produits chimiques."
Sur son site, The Last Resort assure pourtant que "l’utilisation du Sarco est régie par le droit suisse". L'enquête, qui vient tout juste de commencer, devrait décider de l'avenir de Sarco en Suisse. Une affaire qui ranime le débat sur la fin de vie, bien au-delà des frontières de la Confédération.
Début septembre, dans une interview au Daily Mail, Peter Scott, 86 ans, et sa femme Christine Scott, âgée de 80 ans et atteinte de démence vasculaire, révélaient leur projet de se rendre en Suisse pour mourir dans les bras l'un de l'autre, dans une capsule mortuaire Sarco lorsqu'une version double serait développée – ce qu'a déjà prévu Philip Nitschke.
Un projet qu'ils ont souhaité rendre public afin de donner du poids à la campagne visant à autoriser le suicide assisté au Royaume-Uni, où il est à ce jour illégal.
Un député travailliste envisage de présenter une proposition de loi sur la fin de vie après que le Premier ministre Keir Starmer a soutenu l'organisation d'un vote libre à la Chambre des communes sur cette question.
En France, où Loïc Résibois, atteint de la maladie de Charcot et militant pour le suicide assisté, est mort mardi après avoir bénéficié d'une sédation profonde, l'examen du projet de loi sur la fin de vie – promesse de campagne d'Emmanuel Macron – a été stoppé net avec la dissolution de l'Assemblée nationale.