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Virus H5N1 : le patient "mystère" du Missouri ouvre-t-il la porte à une transmission entre humains ?
Un homme du Missouri, contaminé par le virus H5N1, est devenu le premier patient pour lequel il n’a pour l’instant pas été possible de comprendre la voie de transmission. De quoi réveiller le spectre d’une contagion de la grippe aviaire entre les humains. Mais les experts interrogés par France 24 estiment qu’il est encore tôt pour s'inquiéter d'une pandémie.

Il était d’abord présent chez les oiseaux et la volaille puis s’est propagé aux vaches avec quelques cas avérés de contamination à l'humain. Finalement, sommes-nous face à une transmission entre êtres humains dans le cadre de l’épidémie de grippe aviaire H5N1 qui touche les États-Unis ?

C’est la question qui se pose en creux après l’apparition de ce que le site de la très sérieuse revue scientifique américaine Nature a appelé, jeudi 19 septembre, le "mystère” de la contamination d’un individu atteint par cette maladie dans le Missouri.

Trois cas suspects

“Le mot 'mystère' est peut-être un peu fort et aguicheur, je dirais plutôt que ce cas reste inexpliqué pour l'instant”, tempère James Wood, épidémiologiste et directeur du département de médecine vétérinaire à l’université de Cambridge.

Les spécialistes des maladies infectieuses suivent en tout cas de très près la situation dans le Missouri depuis le 6 septembre. Les autorités sanitaires de cet État confirment à cette date qu’une personne accueillie à l’hôpital avec des symptômes tels que des nausées, de la diarrhée ou encore des douleurs à la poitrine a été contaminée par le virus H5N1.

Ce n’est pas la première. Les Centres américains pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) ont alors déjà pu confirmer plus d’une dizaine d’autres cas depuis le début, il y a environ six mois, d’une épidémie de grippe aviaire faisant des ravages au sein des troupeaux de vaches nord-américains. “Mais il avait toujours été possible d’établir un lien direct entre la personne contaminée et une vache malade. Jusqu’au cas de cette personne dans le Missouri, pour laquelle on n'a pas pu établir comment elle avait été exposée au virus”, résume Edward Hutchinson, spécialiste des grippes au centre de recherche sur le virus de Glasgow.

Cette petite énigme épidémiologique va rapidement se corser. En effet, les autorités sanitaires du Missouri annoncent, le 13 septembre, avoir découvert deux autres personnes dans l’entourage du premier patient qui “présentent des symptômes similaires”. La première, qui habitait sous le même toit, n’a pas été testée. Le second individu, qui appartient au corps médical, ne semblait pas avoir été contaminé par le virus H5N1. Mais peut-être aussi que lorsque cette personne a été testée, il n’y avait “plus suffisamment de traces du virus pour pouvoir être détectée”, note Scott Hensley, immunologue et virologue à l’université de Pennsylvanie, interrogé par Nature.

“Tout cela suggère qu’il existe au moins une voie de transmission du virus qui n’a pas encore été identifiée”, affirme James Wood. La communauté scientifique croise les doigts pour qu’il ne s’agisse pas des premiers cas de contamination entre êtres humains de la grippe aviaire. “Si le virus devient transmissible par l’homme, on entre dans une dimension épidémiologique très différente et plus grave”, résume Paul Digard, directeu- adjoint de la chaire de virologie à l’Institut Roslin de l’université d’Edimbourg. Le virus H5N1 deviendrait alors un candidat sérieux pour une pandémie.

Sur la trace du lait

Le problème est que le patient du Missouri assure ne pas avoir été exposé aux sources connues de transmission de la grippe aviaire. Tous les cas répertoriés de transmission à l’humain de la grippe aviaire sont liés à un contact direct soit avec un animal infecté, soit avec son lait. “On s’est aperçus que le lait contenait des quantités très élevées de virus, ce qui en fait une source privilégiée de transmission”, précise Paul Digard.

“Le principal symptôme chez la plupart des ouvriers agricoles contaminés est une forme de conjonctivite très probablement due à des éclaboussures de lait de vache dans l’œil”, explique Paul Digard. Un verre de lait non pasteurisé, provenant d’un animal malade, peut aussi suffire à transmettre le virus.

Si le patient du Missouri intéresse tant les scientifiques, c’est “parce que l’évolution rapide de l’épidémie de H5N1 aux États-Unis constitue à mon avis l’une des priorités pour les virologues”, assure l'expert de l’université d’Édimbourg.

Historiquement, lorsque le virus H5N1 est apparu en Asie dans les années 1990, “la communauté scientifique a été particulièrement inquiète car dans les rares cas de transmission à l’humain, le virus provoquait des formes inhabituellement véhémentes de la grippe”, explique Edward Hutchinson.

La bonne nouvelle, en revanche, est que ce virus semblait éprouver quelques difficultés à passer au stade de la transmission entre humains. Et puis en 2021, “il y a eu l’apparition d’un variant particulièrement agressif baptisé 2.3.4.4b qui s’est propagé un peu partout dans le monde”, précise Edward Hutchinson.

Aux États-Unis, il a fini par se transformer pour réussir en 2024 à s'introduire dans le monde des mammifères avec les vaches. Ainsi, “un virus qui se transmet déjà entre vaches est bien plus proche d’une forme transmissible entre humains que le virus qui ne circule que parmi les oiseaux”, résume Edward Hutchinson.

Une souche "made in USA"

Une autre source d’inquiétude provient “d’un système de surveillance de la propagation de l’épidémie qui est très inégal aux États-Unis”, assure James Wood. Tous les cas ne sont très probablement pas détectés et, comme les symptômes pour les humains sont généralement peu sévères, il est possible qu’une partie des personnes contaminées ne signalent même pas qu’elles sont malades, souligne le New York Times. “Je pense que la fenêtre pour contenir l'épidémie se referme”, avertit même Krutika Kuppalli, une spécialiste des maladies infectieuses interrogée par le New York Times. “On ne connaît que la partie émergée de l’iceberg pour cette épidémie, mais on a aucune idée de la taille de l’iceberg”, résume James Wood.

Pour autant, les experts interrogés par France 24 se gardent bien de conclure que le cas dans le Missouri serait la confirmation d’une épidémie ayant franchi le cap de la transmission entre humains. D’abord parce que “les personnes malades ne se souviennent pas toujours correctement de ce qui s’est passé ou alors ne se sont pas rendus compte qu’elles étaient à proximité d’une source de contamination”, explique Paul Digard. Il se peut, par exemple, que le patient du Missouri se soit trouvé, à un moment donné, à proximité d’une autre personne qui buvait du lait non pasteurisé de vache contaminée. Il suffit alors d’une goutte ou deux…

Un autre animal peut aussi avoir servi d’hôte intermédiaire entre la vache malade et la personne dans le Missouri, estiment les experts interrogés par France 24.

Ce ne serait par ailleurs pas la première fois qu’un cas reste inexpliqué sans pour autant être le patient zéro d’une nouvelle pandémie. Ainsi, “il y a dix mois, on a découvert au Royaume-Uni une personne contaminée par le virus H1N2 [transmis généralement par les porcs, NDLR] qui n’avait aucun lien avec le monde porcin”, note James Wood. Et cet autre “mystère” n’a pas débouché sur un début de pandémie de grippe H1N2.

“Il faudrait de toute façon aussi que la grippe aviaire devienne transmissible par voie aérienne - ce qui ne semble pas être le cas avec la souche actuelle aux États-Unis - pour qu’il soit plus transmissible”, estime Paul Digard. La vache américaine n’est probablement pas l'équivalent, à ce stade, pour le virus H5N1, du marché de Wuhan  pour le Covid-19.