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En Afghanistan, les femmes réduites au silence par les Taliban
Publié le : 30/08/2024 - 17:50

Le ministère afghan de la Justice a édicté une nouvelle loi qui muselle encore un peu plus les femmes. Désormais, les Afghanes ne doivent plus faire entendre leurs voix en public. Elles ne peuvent donc plus chanter, réciter une poésie ou même lire à voix haute si elles ne sont pas confinées dans un espace fermé. Trois ans après le retour au pouvoir du groupe taliban, elles ne sont plus que des ombres dans la société afghane. Cet apartheid de genre est condamné par des organisations comme Amnesty International mais n’existe pas encore en droit international.

La tentation est partout, jusque dans les voix des femmes, selon les Taliban. La nouvelle loi de 114 pages édictée par le pouvoir compte 35 articles qui dictent encore un peu plus leur façon de vivre aux Afghans, de la longueur de la barbe des hommes aux heures de prière des chauffeurs et client(e)s des taxis en passant, donc, par ce qu’une femme peut prononcer en public ou non. Le tout, pour "prévenir le vice et promouvoir la vertu", selon le régime.

Pour Anne Savinel-Barras, présidente d’Amnesty International France, c’est un apartheid de genre, un terme qui n’existe pas encore en droit mais dont l’idée progresse dans les instances judiciaires internationales, et la communauté internationale a le devoir de dénoncer ces persécutions. Mais les voix dénonçant le traitement des Afghanes par le régime taliban se font discrètes alors qu’ils exigent l’absence de participation des femmes également aux conférences de négociations de Doha. À ces rencontres qui ont lieu sous l’égide de l’ONU, la communauté internationale tente vaguement d’inciter les Taliban à la modération, appelant à "inclure les femmes" dans la vie publique, mais force est de constater que ces appels à la raison restent lettre morte.

Sur le terrain, les témoignages qui remontent dessinent un portrait glaçant de l’état des droits des femmes. La rédactrice en chef du média afghan en exil Zan Times, Zahra Nader, raconte les arrestations arbitraires de femmes, pourtant voilées selon les exigences des Taliban, des femmes issues de la communauté chiite des hazaras en particulier (les Taliban sont issus de l’ethnie pachtoune), qui se sont données la mort après des viols en détention.

Le taux de suicide des femmes ne cesse d’ailleurs d’augmenter en Afghanistan. Dans le monde, selon les données de l’OMS, les hommes sont en moyenne deux fois plus nombreux que les femmes à recourir à ce geste extrême. C’était aussi le cas en Afghanistan jusqu’en 2019. Mais depuis le retour des Taliban au pouvoir et selon les données récoltées jusqu’en août 2022, les femmes en sont désormais davantage victimes que les hommes. En octobre 2023, Zan Times consacrait un article au fléau, citant les chiffres de l’hôpital de la province d’Hérat : sur 18 suicides ce mois-là, 15 concernaient des femmes. Encore sont-ils sans doute sous-estimés car les Taliban ont fait passer le message au personnel de santé : il ne faut pas communiquer ces chiffres-là. Le suicide est en effet "haram" (péché) dans l’Islam, et ça donne une mauvaise image du régime. Dans le service psychiatrie de ce même établissement, 90 % des patients sont des femmes. L’oppression des Taliban les pousse à se tuer pour échapper à cette existence insupportable. D’autant qu’avec l’interdiction qui leur est faite, depuis 2021, d’étudier au-delà de l’âge de 12 ans, et l’impossibilité de prétendre à une carrière, elles représentent un poids pour leurs familles, qui les poussent à des mariages forcés, de plus en plus tôt. Dans leurs foyers, neuf Afghanes sur dix sont ou seront victimes de violences familiales, selon l’ONU.

À ces femmes, réduites à bien peu de choses, il ne restera qu’à avoir des enfants. Et si les Taliban les privent d’éducation, c’est pour en faire des êtres disciplinés et incapables de s’opposer à eux : "Ses fils iront à l'école coranique. Bien sûr, on leur enseignera l'extrémisme, la loi islamique extrémiste à laquelle croient les Taliban. Ainsi, ils disposeront de miliciens. Et plus cette milice sera grande, plus ils auront de pouvoir. Ces garçons (…) seront prêts à tuer pour eux et même à se faire tuer pour eux", explique la militante pour l’éducation des femmes Parasto Hakim. Cette jeune professeure a résisté aux Taliban dès leur retour à Kaboul, en créant un réseau d’écoles secrètes pour maintenir un enseignement pour les jeunes filles. Lorsque son activité a été connue, elle a dû fuir du jour au lendemain pour échapper à une arrestation imminente. Désormais en exil, elle continue son action – à distance.  

Dans cet océan de mauvaises nouvelles, les femmes organisent tout de même la résistance. Par les médias, l’éducation ou en chantant. C’est le cas de Sonita Alizadeh, jeune rappeuse afghane, elle aussi exilée après avoir échappé à deux reprises à un mariage forcé que voulait sa famille. Depuis le continent américain, elle fait entendre sa voix pour porter celle de ses compatriotes.