Cet article a été publié pour la première fois le 9 octobre dernier. Il a été mis à jour après l'annonce faite le 1er aout par l'armée israélienne de l'élimination de Mohamed Deif dans une raid menée le 13 juillet sur Khan Younes, dans le sud de la bande de Gaza.
Il était déjà "l’ennemi public numéro 1" d’Israël en 2014. À la tête des Brigades Ezzedine al-Qassam, le bras armé du Hamas, ce Gazaoui d’une soixantaine d’années était à l’origine de l’attaque du 7 octobre, cette opération militaire sans précédent qui a pris Israël par surprise.
Après deux jours d’intenses combats qui ont plongé Israël dans ce que le Premier ministre Benjamin Netanyahu a qualifié d’état de guerre déclaré contre Gaza, Mohammed Deif étaient donc plus que jamais l’homme à abattre pour Tel Aviv.
"Neuf vies"
Pour les Palestiniens, celui "qui jouissait déjà d’un immense prestige, va grâce à ce succès laisser une empreinte qui lui survivra dans la mémoire collective palestinienne", estimait à l’époque Omri Brinner, analyste israélien et spécialiste de la géopolitique du Moyen-Orient à l’International Team for the Study of Security Verona (ITSS), un collectif international d’experts des questions de sécurité internationale.
Mohammed Deif, considéré comme un terroriste international par Washington depuis 2015, représentait une menace directe et incessante pour la sécurité intérieure depuis plus de 30 ans. "Dans une branche où la durée de vie des responsables est souvent très courte, la longévité de Mohammed Deif est à la fois remarquable et un défi en soi à Israël", notait Jacob Eriksson, spécialiste du conflit israélo-palestinien à l’université de York.
Le leader des Brigades Ezzedine al-Qassam à longtemps fait figure "d’ultime survivant de la résistance palestinienne, celui qui a échappé à de multiples tentatives d’assassinat", ajoutait en octobre dernier Omri Brinner. Une capacité à déjouer les guet-apens des assassins des services israéliens qui lui avait valu le surnom de militant "aux neuf vies". Il aurait cependant perdu la vue, un bras et une jambe après une attaque israélienne en 2006.
Mohammed Deif était parvenu à survivre en restant aussi discret que possible. À tel point que la seule photo officielle de lui en circulation remonte à plus de vingt ans. On ne connaît pas non plus son vrai nom, même si plusieurs médias indiquent qu’il s’appellerait en réalité Mohammed al-Masri. "Deif" est, en fait, un surnom arabe qui se traduit littéralement par "invité". "C’est une référence au fait qu’il ne restait jamais au même endroit plus d’une nuit et s’invitait tous les jours dans une nouvelle maison pour échapper à la vigilance israélienne", expliquait Jacob Eriksson.
Les rares éléments biographiques dont Israël dispose indiquent qu’il est né au camp de réfugiés de Khan Younès, au sud de la bande de Gaza, dans les années 1960, soulignait le Financial Times, qui avait pu s’entretenir avec des responsables du Shin Bet, le service israélien de sécurité intérieure. Mohammed Deif a fait des études à l’université islamique de Gaza, où il "a côtoyé des membres du mouvement égyptien des Frères musulmans, dont le Hamas est issu", soulignait alors le New York Times.
Attaquer par en-dessous et par au-dessus
Le futur cerveau des opérations militaires du Hamas a ensuite rejoint l’organisation islamiste dans les années 1980 avec l’aide de Yahia Ayache, dit "l’ingénieur" qui a été l’un des principaux artificiers du Hamas, et dont "Mohammed Deif était très proche", assure Jacob Eriksson.
"C’est après la mort de Yahia Ayache [assassiné par les services israéliens de renseignement en 1996, NDLR] que Mohammed Deif va devenir une pièce de plus en plus centrale des Brigades Ezzedine al-Qassam", précise cet expert. "Il a notamment été l’architecte des attaques suicides sur le territoire israélien dans les années 1990", assurait Omri Brinner.
Cette influence grandissante au sein de l’organisation islamiste va pousser le Hamas à propulser Mohammed Deif à la tête de sa branche armée en 2002. L’un de ses premiers faits d’armes en tant que chef des Brigades Ezzedine al-Qassam sera de tirer les leçons de la seconde intifada, du début des années 2000. "Il a vu comment les Israéliens ont renforcé la frontière avec Gaza, ce qui l’a poussé à mettre au point une stratégie d’attaque par en dessous et au-dessus", expliquait Omri Brinner.
Il est ainsi à l’origine de la construction des tunnels souterrains, permettant aux combattants du Hamas de lancer des incursions en territoire israélien depuis Gaza. C’est aussi lui qui va mettre l’accent sur le recours le plus massif possible aux roquettes.
Son mot d’ordre a "toujours été de frapper Israël directement et par tous les moyens possibles sur son territoire national afin de lui faire payer le prix le plus fort possible pour le traitement réservé à la population à Gaza", notait en octobre 2023 Jacob Eriksson.
Ce harcèlement incessant vise aussi à "rendre impossible toute solution purement politique au conflit israélo-palestinien. Mohammed Deif a toujours été un fervent partisan du recours à la force pour s’opposer à Israël", précisait Omri Brinner. Ce n’est pas un hasard s’il a organisé une vaste campagne d’attentats suicides au milieu des années 1990, peu après la signature des accords d’Oslo en 1993.
Une question de prestige
Cet attachement à une lutte purement militaire explique aussi en partie "pourquoi il jouit d’un prestige sans égal au sein de la population gazaouie", estimait en octobre dernier Omri Brinner. En 2014, "un sondage réalisé par un site palestinien d’information démontrait qu’il était déjà bien plus populaire que Khaled Mechaal ou que Ismaïl Haniyeh [l’ex-chef du Hamas et son successeur]", notait le Washington Post. "En tant que dirigeant militaire, il échappe aux critiques des habitants de Gaza contre la gestion politique et économique du territoire palestinien contrôlé par le Hamas", affirmait Jacob Eriksson.
"Il est aussi celui qui habite à Gaza et qui y a scolarisé ses enfants", ajoutait Omri Brinner. Un avantage certain pour les habitants de Gaza, alors qu’Ismaïl Haniyeh est accusé de diriger le Hamas depuis un "hôtel de luxe au Qatar".
La personnalité de Mohammed Deif et le respect qu’il inspire à Gaza explique aussi en partie comment l’ambitieuse attaque a pu réussir malgré le savoir-faire des espions israéliens. "Le fait que le Hamas a pu préparer cette opération dans le secret le plus complet pendant un an – d’après les dernière estimations – tient beaucoup à la loyauté sans faille des quelques militants sélectionnés à l’égard de Mohammed Deif", concluait en octobre dernier Omri Brinner.
L'attaque du Hamas palestinien contre Israël le 7 octobre a entraîné la mort de 1 189 personnes côté israélien, en majorité des civils, hommes, femmes et enfants de tous âges, selon un décompte réalisé le 28 mai par l'AFP à partir des derniers chiffres officiels disponibles.
Le ministère de la Santé du gouvernement du Hamas dans la bande de Gaza a annoncé le 1er aout un nouveau bilan de 39 480 morts dans le territoire palestinien depuis le début de la guerre, il y a près de dix mois, avec Israël.