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Présidentielle au Venezuela : face à Maduro, l’opposition suscite une "véritable ferveur"
Au pouvoir depuis plus d’une décennie, le président vénézuélien, Nicolas Maduro, est en lice pour un troisième mandat lors de la présidentielle du 28 juillet. Plombé par un bilan économique catastrophique, le successeur d’Hugo Chavez est devancé dans les sondages par le candidat d’opposition Edmundo Gonzalez Urrutia, qui ambitionne d’écrire une nouvelle page de l’histoire de son pays. Entretien.

Le Venezuela s’apprête-t-il à tourner la page du chavisme ? Un quart de siècle après l’élection triomphale du chef de la révolution bolivarienne, son successeur, Nicolas Maduro espère remporter un troisième mandat lors de la présidentielle du 28 juillet. Une tâche qui s’annonce difficile après une décennie de crise économique sans précédent qui a plongé le pays dans l'abîme et provoqué l’exode de plusieurs millions de citoyens.

Dans cette course électorale, le chef d’État est devancé par l'ancien ambassadeur Edmundo Gonzalez Urrutia, pourtant peu connu du grand public, qui a remplacé au pied levé la candidate de l’opposition Maria Corina Machado, après l’invalidation de sa candidature.

À quelques jours du scrutin, Nicolas Maduro a durci le ton, affirmant qu’une victoire de l’opposition pourrait plonger le pays dans "une guerre civile fratricide provoquée par les fascistes" évoquant le risque d’un "bain de sang". Une déclaration qui inquiète au plus haut point les dirigeants latino-américains, dont le brésilien Lula.

Pour faire le point sur les enjeux du scrutin, France 24 s’est entretenu avec Fabrice Andreani, doctorant à l'université Lyon II et co-auteur de l’étude "Rapports ordinaires à la violence d’État au Venezuela".

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France 24 : L’opposition semble marquer des points à l’approche de ce scrutin, où en est le rapport de force ?

Fabrice Andreani : À ce stade, il semble y avoir une réelle possibilité pour que l’opposition gagne, portée par la popularité de Maria Corina Machado. Malgré les tentatives du pouvoir pour l’empêcher de faire campagne, elle est parvenue à traverser le pays pour soutenir son candidat de substitution, Edmundo Gonzalez Urrutia, suscitant une véritable ferveur, comparable à celle observée autour de la figure de Chavez avant sa première élection en 1998.

Il faut néanmoins rester prudent car Nicolas Maduro conserve la main mise sur l’organisation des élections. Après la victoire de l’opposition aux législatives en 2015, le président a activé l'état d’exception et n'a cessé de manipuler la justice pour décider quels partis peuvent concourir mais également retarder ou avancer des scrutins. Pour l’heure, l’opposition est en position de force, mais une mesure de dernière minute pour casser cette dynamique ne peut être complètement exclue.

Nicolas Maduro risque-t-il aujourd'hui de payer dans les urnes la terrible crise économique que traverse le pays depuis dix ans ?

Il est certain que le discours de Nicolas Maduro, se posant en protecteur du peuple et des intérêts nationaux face à une droite "radicale" pilotée par l’étranger, a complètement pris l’eau. Le pays a certes pâti de la chute du cours du pétrole en 2014, puis de l'embargo imposé par les États-Unis, mais la crise économique est d'abord le résultat du manque d’investissements gouvernementaux dans ce secteur pourtant crucial qui représentait pourtant 80 % de devises et 30 % de son PIB. Au cours de la décennie écoulée, la production s’est écroulée, passant de 2,5 millions de barils de brut par jour à moins de 500 000 au plus fort de la crise, avant de remonter péniblement à 1 million.

En parallèle, l’économie illégale, et en particulier le narcotrafic, s’est substituée à l’économie formelle, avec la complicité du gouvernement, de l’armée, et la population s’est considérablement appauvrie.

Outre la question économique, il y a une volonté de remettre en marche la démocratie. La population vénézuélienne est politisée, elle est attachée à la culture du vote et elle est bien consciente du contrôle de l’espace politique par Nicolas Maduro. En plus de sa formation, le PSUV (Parti socialiste unifié du Venezuela), le président est officiellement soutenu par douze autres partis, dont certains ont été tout simplement achetés ou mis sous tutelle. Alors que plus de 7 millions de vénézuéliens ont quitté le pays, seulement 100 000 ont pu s’enregistrer pour voter, ce qui témoigne, là encore, d’une volonté de confiscation du vote populaire.

Qu’en est-il de la situation sécuritaire qui s’était elle aussi considérablement dégradée dans le pays avec l’écroulement de son économie ?

La situation s’est plutôt améliorée ces dernières années mais pas pour de bonnes raisons. La baisse de la criminalité et des homicides dans la capitale s’explique en partie par l’appauvrissement généralisé. De ce fait, l’extorsion et le kidnapping rapportent moins et certains gangs ont suivi la vague migratoire massive pour se reconvertir dans des activités beaucoup plus lucratives, notamment la traite d'êtres humains. Aujourd’hui, la plupart des homicides sont dus à des règlements de comptes ou le fait de la police elle-même, pour plus d'un tiers du total. Alors qu’il a perdu le contrôle de son pays, Nicolas Maduro fait mine de lutter contre l’insécurité en recrutant et en envoyant des policiers peu formés dans les quartiers populaires, ce qui a conduit à des milliers de cas d'exécutions extrajudiciaires.

La situation sécuritaire s’est dégradée dans les zones frontalières avec la Colombie, et dans l'Arc minier de l'Orénoque, une vaste zone minière à cheval entre l'Amazonie et la Guyane vénézuéliennes, où les groupes civils armés ont étendu leur contrôle, profitant de la faiblesse de l’État. Mais ces zones sont peu peuplées et on ne peut pas dire que l’insécurité constitue un enjeu de premier plan dans ces élections.

Durant sa présidence, Nicolas Maduro a renforcé le pouvoir de l’armée au sein des institutions mais également des secteurs économiques. Comment les militaires perçoivent-ils la percée de l’opposition lors de ce scrutin ?

À son arrivée au pouvoir, Nicolas Maduro, ancien syndicaliste des transports publics devenu ministre des Affaires étrangères de Chavez, manquait de crédibilité aux yeux de l’armée, contrairement à Hugo Chavez ou à d'autres prétendants à sa succession qui avaient un passé de militaire. Il a donc dû donner des gages en poursuivant, et même en accentuant, la montée en puissance de l’armée dans les sphères du pouvoir. Si l’opposition remporte l'élection, Nicolas Maduro parle d’un risque de "bain de sang". Ce risque n’est pas du côté de l’opposition, mais bien du pouvoir qui, s’il se maintient contre la volonté du peuple, s’expose à une vague de protestations massives qu’il devra alors faire taire.

L’armée semble peu encline à un tel scénario, ou en tout cas moins que par le passé, pour plusieurs raisons. En 2014, et plus encore en 2017, le pouvoir avait réprimé de façon inédite les manifestations anti-gouvernementales, faisant alors passer les étudiants et les jeunes des classes populaires pour de violents putschistes.

Mais aujourd’hui, avec l'exode qui continue, ce sont des femmes qui se trouvent le plus souvent au premier plan dans les rassemblements pro-opposition, notamment des mères célibataires et des personnes âgées qui réclament des réformes pour que leurs proches reviennent dans le pays. Il serait donc beaucoup plus difficile de justifier la répression en cas de mobilisation citoyenne. La position attentiste de l’armée est également liée à une forme de mécontentement et à des divisions en son sein. Certains ont vu leurs privilèges diminuer du fait de la crise économique. D’autres, parmi les haut gradés, souffrent des sanctions étrangères et notamment du gel de leurs avoirs à l’étranger. Il faut également préciser que le soutien de l'armée à Maduro n’a jamais été pleinement acquis : parmi les quelque 300 prisonniers politiques du pays, la moitié sont des militaires. Tout semble donc indiquer qu'une partie de la hiérarchie militaire envisage désormais d'autres scénarios que le maintien au pouvoir de Nicolas Maduro. 

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