Dans cette émission spéciale, nous décryptons avec nos invitées les thèmes de la virginité, de la sexualité dans la mariage et du patriarcat. En Inde, le nouveau code pénal, entré en vigueur le 1er juillet, renforce les lois relatives aux agressions sexuelles, mais ne reconnaît toujours pas le viol conjugal... En France, la première nuit avec son conjoint a longtemps représenté une abrupte découverte du sexe pour des jeunes filles volontairement gardées dans l’ignorance la plus complète, nous explique l’historienne Aïcha Limbada, auteur de "La nuit de noces". Cette première nuit de mariage est souvent celle où les femmes perdaient leur virginité, une qualité importante chez les fiancées, voire exigée d’elles. Elise Thiébaut s’est, elle, penchée sur l’histoire de l’hymen dans le roman graphique "Vierges, la folle histoire de la virginité", avec Elléa Bird, et raconte la place qu’elle occupe dans nos sociétés, nos mythes et nos esprits.
En Inde, depuis des années, des associations féministes et de défense des droits humains se battent pour que le viol conjugal soit enfin reconnu comme un crime. Même si le gouvernement a progressé sur la question des violences sexuelles, il se refuse à condamner le "devoir conjugal" et ce que beaucoup estiment encore être un dû pour les hommes.
En 2022 déjà, la question faisait la une de l’actualité dans le pays et une décision devait être prise de manière imminente. Aujourd’hui, alors que Narendra Modi entame son troisième mandat comme Premier ministre de l’Inde, il reste encore beaucoup à faire.
Nuit de tous les tabous
En France, il a fallu longtemps pour faire bouger les lignes autour du devoir conjugal. La première nuit des noces d’un couple a fait l’objet de longues recherches de la part de l’historienne Aïcha Limbada. Dans "La nuit de noces", elle raconte comment les jeunes filles étaient gardées dans une ignorance volontaire, avec le soutien actif des mères qui se reposaient souvent sur l’initiation que le jeune marié pourrait prodiguer à son épouse. Coincées par un système patriarcal, ces "oies blanches", restées vierges jusqu’au mariage, découvraient parfois les choses de la chair bien violemment, lorsqu'elles consommaient effectivement leur mariage.
Certaines, prises de panique, étaient ensuite atteintes de "folie nuptiale", d’autres préféraient mettre fin à leurs jours que de se prêter à ce qui leur semblait être une offense aux bonnes mœurs et contre-nature. Et puis, il y a les cas de ces femmes restées vierges sans le savoir après leur mariage, convaincues de s’être pliées au rite du coït conjugal. C’était alors parfois le fait d’un époux manipulateur, qui les maintenait dans le flou pour cacher une anomalie physique, une impuissance ou leur homosexualité… Parfois, le "devoir conjugal" avait tout de la corvée.
Pour explorer ce sujet de l’intime, Aïcha Limbada a puisé, entre autres sources, dans les procès en annulation de mariage des tribunaux ecclésiastiques. Ses sources, sérieuses et historiques ou populaires et folkloriques, lèvent le drap sur la nuit de tous les tabous.
Mythe de la vierge vs "épouse défectueuse"
Une nuit qui est aussi celle de toutes les révélations pour les jeunes vierges qui passent dans le camp des personnes qui connaissent les choses de l’amour. Dans "Vierges, la folle histoire de la virginité", la journaliste et autrice Elise Thiébaut et la dessinatrice Elléa Bird reviennent sur ce totem, idéal coincé entre vertu et pudibonderie, qui a fait couler des rivières d’encre à travers les siècles. Chantée la plupart du temps, la virginité – des femmes, faut-il le préciser – a parfois aussi été l’objet de fantasmes. L’hymen, par exemple, membrane censée prouver qu’une femme n’a jamais été "déflorée" n’est en réalité aucunement le signe de l’abstinence de sa propriétaire.
En revanche, la virginité est un attribut des femmes dans de nombreuses mythologies ou religions. Le terme "vierge" a longtemps désigné une femme sans mari – prêtresse, veuve ou autre, y compris chez les déesses. Chez les chrétiens, la vierge Marie est d’ailleurs l’héritière des mythologies grecques et romaines. Ce qui n’empêche pas que la virginité, aujourd’hui encore, est considérée une qualité indispensable chez une jeune mariée, quitte à annuler les noces en cas d’épouse "défectueuse".
C’est aussi parfois un passeport pour des études, comme en Afrique du Sud, ou une garantie de moralité et un moyen de pression pour les femmes arrêtées par les autorités égyptiennes. Mais il n’y a pas que les pays conservateurs qui se commettent avec des tests de virginité ; il y a quelques années, un scandale avait secoué la société suédoise.