
Il mesure presque 165 mètres de long, pèse 15 000 tonnes et a gagné le surnom de "Monstre". Le CCG- 5901, le plus grand des navires des garde-côtes chinois, est en train de faire le tour des eaux contestées en mer de Chine méridionale, au plus grand désarroi des autorités philippines.
Depuis début juillet, le gouvernement à Manille se plaint des déplacements du "Monstre" chinois, arguant notamment que ce dernier s’est positionné le 3 juillet au large du banc Sabina, un très stratégique atoll des îles Spratley. Il n’aurait rien à y faire d’après les Philippines puisque le banc Sabina se situe à 130 km des côtes de l’archipel, ce qui le place à l’intérieur de la zone économique exclusive des Philippines (370 km des côtes, d’après le droit maritime).

"Message le plus intimidant possible"
Que nenni, a répondu la Chine, lundi 8 juillet. Le ministère chinois des Affaires étrangères n’a pas nié la présence de ce bateau au large du banc Sabina mais il a affirmé que cet atoll "ne se trouvait pas dans la zone économique exclusive" contrôlée par Manille.
La Chine revendique la souveraineté de la majeure partie de la mer méridionale de Chine, ce que la Cour permanente d'arbitrage à La Haye a refusé de reconnaître en 2016. "Les patrouilles des garde-côtes chinois dans cette zone sont une manière pour Pékin de contester cette décision et de tenter d’établir un contrôle de facto sur ces eaux et les îles qui s’y trouvent", explique Basil Germond, spécialiste de la sécurité maritime à l'université de Lancaster (Royaume-Uni).
"Déployer le CCG-5901 est le message le plus intimidant que la Chine peut envoyer sans tomber dans l’escalade militaire", souligne Ho Ting Bosco Hung, spécialiste de la Chine et des questions de sécurité en Asie à l'International Team for the Study of Security (ITSS) Verona.
Ce "monstre" a connu son baptême des eaux en 2017 – un an après le jugement de la cour d’arbitrage – pour servir très officiellement les ambitions maritimes de Pékin en mer de Chine méridionale.
De par sa taille, le CCG-5901 s’impose face aux plus grands navires de guerre des Philippines, et dépasse même en longueur certaines classes de destroyers américains.
Puissance de feu impressionnante
Certes, ce n’est qu’un bateau pour "garde-côtes". Mais attention : en Chine, la flotte des garde-côtes est directement rattachée à l’armée, contrairement à la plupart des pays occidentaux, souligne CNN. En France, par exemple, les garde-côtes des douanes françaises sont placés sous l’autorité du Premier ministre.
Le "monstre" chinois est aussi équipé à la manière d’un vaisseau militaire. "Sa puissance de feu dépasse largement, par exemple, celle des plus puissants bateaux américains de garde-côtes", note CNN. Il dispose d’un canon principal d’artillerie, de deux canons auxiliaires et de défenses anti-aériennes, détaille GMA News, une chaîne de télévision des Philippines.
"Envoyer un tel bateau, mieux armé que certains navires de guerre, est un signal très fort, surtout dans ces eaux contestées", assure Basil Germond. Pékin a choisi d’envoyer ce signal à un "moment de tensions accrues entre la Chine et les Philippines", ajoute Ho Ting Bosco Hung.
Le CCG-5901 a, en effet, pris la mer juste après un incident, largement médiatisé dans le monde, entre des garde-côtes chinois et des marins philippins, le 17 juin. Plusieurs vidéos montrant une violente altercation entre des Chinois équipés d'armes blanches et des Philippins à bord d’un bateau pneumatique ont circulé sur les réseaux sociaux.
Juste après un incident violent en mer
Dans ce contexte, la sortie du "Monstre" est une manière d’enfoncer le clou quant aux revendications dans la région, d’après les experts interrogés. Après un épisode violent, Pékin a opté pour une projection de force tranquille. "Tout cela fait partie des tactiques de zone grise appliquées par les garde-côtes chinois", résume Ho Ting Bosco Hung.
Il s’agit d'actions demeurant juste en dessous du seuil de la crise ouverte, dont ces navires chinois sont friands. En 2023, ils avaient par exemple pointé "un laser de type militaire" sur un bateau philippin ou encore arrosé un autre avec un énorme canon à eau.
Autre exemple avec le CCG-5901 : il s’est positionné au large du banc Sabina alors même que des discussions entre délégations chinoise et philippine concluaient à la nécessité de "restaurer la confiance" entre les deux pays.
Une démarche typique du modus operandi chinois, analyse Ho Ting Bosco Hung. "Après un épisode violent comme celui du 17 juin, Pékin va se montrer ouvert à une désescalade des tensions. Mais en même temps, la Chine tient à faire passer le message qu'elle n'abandonne pas pour autant ses prétentions territoriales. C’est le but de la manœuvre du bateau géant", résume l’expert de l’ITSS.
Par l'odeur du pétrole alléché
Le "monstre" marin a choisi de jeter l’ancre au large d’un atoll très spécifique pendant les négociations : le banc Sabina appartient non seulement aux îles Spratley – sur lesquelles six pays ont des revendications (Chine, Philippines, Taïwan, la Malaisie, Vietnam et Brunei) –, il sert aussi de point de passage aux bateaux philippins qui vont ravitailler les troupes en poste sur le très stratégique BRP Sierra Madre.
Cette épave de la Seconde Guerre mondiale est devenue une sorte d’île artificielle utilisée par l’armée philippine comme un avant-poste permettant de contrôler les déplacements chinois.
Ce n’est pas tout : le banc Sabina se trouve aussi à moins de 200 kilomètres de banc Reed, une zone immergée réputée très riche en pétrole. "C’est donc une zone très sensible pour la Chine, car ses revendications territoriales ont beaucoup à voir avec la volonté d’avoir accès à des nouveaux gisements d’hydrocarbure", souligne Ho Ting Bosco Hung.
Les autorités à Manille savent que cet atoll intéresse tout particulièrement la Chine. Elles y avaient ainsi dépêché en avril le BRP Teresa Magbanua, le fleuron de sa flotte de patrouille. La décision de Pékin d’y envoyer son propre "monstre" revient donc à tenter de prouver qui a le plus gros (bateau).