Depuis le printemps 2024, l’armée de l’air russe lance un nouveau type de munitions sur les villes ukrainiennes : des "bombes planantes". Ces dernières sont larguées par avion à plusieurs dizaines de kilomètres d’une ville, pour être ensuite téléguidées jusqu’à leur cible. Moins onéreuses que des missiles, ces bombes sont parfois fabriquées à partir d’anciennes bombes issues de l’arsenal soviétique.
Le 25 mai, la ville de Kharkiv est touchée pour la première fois par une arme d’un type nouveau. Une bombe planante frappe un centre commercial de la ville. Il s’agit d’une munition moderne rentrée en service en mars 2024 : la bombe UMPB D-30 SN. Larguée par avion depuis la région russe de Belgorod, cette bombe a pu planer sur plusieurs kilomètres avant d’atteindre sa cible.
La frappe cause la mort de 18 civils qui faisaient leurs courses. "Le bombardement a eu lieu un weekend pour faire plus de victimes," a expliqué un habitant de la ville à la rédaction des Observateurs.
Le 27 juin, ce n’est pas une munition flambant neuve mais une arme presque artisanale qui est employée : une bombe soviétique FAB-500 équipée d'un "kit" composé d’ailes et d’un système de guidage GPS. Elle aussi a été larguée par avion et guidée par satellite.

Selon le procureur de la région de Kharkiv, "l'armée russe a utilisé pour la première fois le FAB-500 et son kit de guidage pour attaquer Kharkiv". Il a précisé que "trois maisons résidentielles" et un "établissement d’enseignement supérieur" ont été touchés. Sur une vidéo publiée par son administration, il est possible de voir l'une des bombes qui s’est encastrée dans une maison sans exploser.
Selon le procureur, cinq personnes ont été blessées pendant les frappes. L'administration a tenu à préciser "qu'un garçon de 10 ans se trouvait dans la maison au moment du bombardement, heureusement, il n'a pas été blessé".
De vieilles bombes soviétiques modernisées
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Accepter Gérer mes choixSelon Oleh Syniehoubov, le gouverneur de l'Oblast de Kharkiv, l’utilisation de bombes planantes de type FAB-500 UMPK contre la ville de Kharkiv est récente : "Au début, l'ennemi n'utilisait ces munitions que [...] directement sur la ligne de front [...]. Kharkiv sera désormais touchée par ces munitions".

Si la première photo de la bombe soviétique modifiée que nous avons retrouvée a été publiée par un analyste pro-russe en janvier 2023, c’est au printemps 2023 qu’apparaissent les premières traces de l’utilisation des bombes planantes sur le front.
On distingue ces équipements par la présence d’un kit permettant d’améliorer ces vieilles munitions soviétiques.
Le 4 janvier 2023, le spécialiste russe “Fighterbomber” présente cette bombe modifiée comme une invention récente qui “fonctionne bien”, en ajoutant que “les Ukrainiens vont adorer”. ©Telegram/FighterBomber
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Accepter Gérer mes choixLe kit de modification nommé "UMPK" ("module unifié de vol à voile et de correction") est l’équivalent russe du système de guidage américain JDAM ("joint direct attack munition"). Le kit UMPK, fixé sur la partie basse de la bombe, a deux fonctions : guider le projectile et lui permettre de planer.
L’ajout de cet élément permet de modifier un équipement rudimentaire afin de lui donner une portée accrue à moindre coût. Selon les experts de l’ONG britannique Conflict Armament Research, le kit UMPK inclut un système de guidage GPS par satellite nommé "Kometa-M".

Marina Miron, chercheuse au King’s College de Londres, explique le fonctionnement de ces munitions :
Le processus de modification repose sur l'UMPK, un kit de guidage qui permet de convertir des bombes larguées verticalement en bombes dites "intelligentes" et guidées par satellite, augmentant ainsi leur portée et leur précision. Ces UMPK ont été initialement conçus spécialement pour les bombes soviétiques comme les FAB-250 et les FAB-500. Fin 2023, un autre module a été ajouté : le réseau d'antennes Kometa-M, qui permet le guidage par satellite et protège contre le brouillage des ondes GPS.
Les bombes équipées du kit UMPK sont larguées à une distance de 50 km de la cible, bien que certaines sources affirment que la portée serait comprise entre 60 km et 80 km. Les bombes sont ensuite guidées par satellite, à l’aide du Kometa-M. Les ailes du kit UMPK permettent à la bombe de planer vers sa cible, tandis que l'avion peut rester à une distance des défenses anti-aériennes ukrainiennes.
Il faut également comprendre qu'il existe plusieurs bombes utilisables avec le kit UMPK. Il peut s’agir d’une bombe à sous-munitions, ou encore d’une bombe thermobarique [une bombe faite pour détruire l’intérieur d’un bâtiment, NDLR]. Avec ce kit, il est également possible de fixer plusieurs types de bombes contenant une différente charge de TNT. Tout dépend de la cible que vous visez.
Pour les troupes russes, ces bombes disposent d’un avantage clé : elles ont très peu de chances de se faire intercepter par les défenses anti-aériennes ukrainiennes. Depuis la livraison des systèmes de défense anti-aérien Patriot par les Américains, la majeure partie des missiles russes sont interceptés par les Ukrainiens. Les bombes planantes, elles, ne sont que très peu captées par les Ukrainiens. L’ONG spécialiste des munitions et mines CAT UXO explique pourquoi :
"Les missiles disposent de systèmes de propulsion qui produit de la chaleur, donc une signature thermique. Les munitions antimissiles sont dotées d'un capteur pour localiser la source de chaleur, puis cibler le missile avant qu’il atteigne sa cible. Les bombes planantes n'ont pas de système de propulsion, donc elles ne produisent pas de source de chaleur, et n'utilisent généralement pas de radar actif. Il n'y a donc aucun moyen de les cibler avec un missile.
Pourtant, une autre raison pourrait se cacher derrière l’utilisation de ces bombes rudimentaires : l’argent. Selon Marina Miron, le paramètre économique joue un rôle important dans l’utilisation massive de ces bombes par l’armée russe :
Les bombes et les kits de guidage sont moins chers que les missiles. Il n’y a aucune raison économique de gâcher de missiles qui coutent environ trois ou quatre millions de dollars par unité, alors que vous pouvez utiliser des bombes – qui sont tout aussi efficaces et précises – pour le prix de 30 000 ou 40 000 dollars. Contrairement aux missiles, les Ukrainiens ne peuvent pas les intercepter. De plus, la Russie dispose déjà de stock de veilles bombes soviétiques, c’est donc plus logique de les convertir en munition guidée que d’utiliser des missiles plus couteux.
Quand des bombes planantes ciblent un hypermarché
Le 25 mai 2024 à 16 heures, une bombe planante s’écrasait en pleine journée dans un centre commercial de Kharkiv où se trouvait de nombreuses personnes. Au total, 18 civils trouveront la mort dans ce bombardement. Selon le procureur de la ville de Kharkiv, les frappes auraient "été menées depuis le territoire de la région de Belgorod, en Fédération de Russie".
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Accepter Gérer mes choixSi le type de bombe planante utilisée reste flou, les soupçons du bureau du procureur ukrainien, se portent sur la bombe de type UMPB D-30 SN . Cette munition basée sur l’ancienne bombe soviétique FAB-250 est considérée comme plus moderne que les bombes FAB-500 parce que le système de guidage est intégré.
Selon le procureur de la région de Kharkiv, l’une des bombes tirées en direction du centre commerciale n’aurait pas explosée. La munition aurait atterri à 80 mètres du centre commercial et serait actuellement analysée par des experts balistiques ukrainiens.
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Accepter Gérer mes choixNotre Observateur, un habitant de Kharkiv, est arrivé sur les lieux juste après l’explosion :
Après le bombardement de l’hypermarché, plusieurs centaines de secouristes ont éteint l’incendie pendant plus de huit heures. Le bâtiment était en feu à cause des nombreux matériaux de construction inflammables – vernis, peintures, solvants – qui étaient emballés dans des récipients en verre ou en métal. Ces derniers explosaient périodiquement sous l’influence de températures élevées. Je ne peux pas imaginer ce qui est arrivé aux gens qui étaient à l’intérieur de l’hypermarché à ce moment-là. Les habitants de Kharkiv pensent que le bombardement a eu lieu un week-end, quand il y a beaucoup de monde, précisément pour faire plus de victimes.
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Accepter Gérer mes choixLes Russes utilisent beaucoup de bombes planantes. Si auparavant la plupart des attaques étaient avec l’utilisation de missiles S-300, maintenant au moins la moitié de toutes les attaques sont effectuées avec des bombes aériennes modifiées.
Pourtant, malgré ces exemples récurrents, les Russes ne partagent pas cette vision. La rédaction des Observateurs a pu rentrer en contact avec le blogger russe FighterBomber, spécialiste des opérations aériennes et ancien pilote de l’armée de l’air russe. Interrogé sur le bombardement de l’école privée de Kharkiv du 27 juin, ce dernier affirme que "la Russie ne vise jamais de cibles civiles" et que "personne n’a de preuve d’utilisation de ces bombes contre des bâtiments civils".
Pour de nombreux experts, dont Marina Miron, les bombes planantes ont également eu un impact considérable sur le déroulé des combats, notamment pendant la bataille d’Avdiivka au printemps de 2024, où elles ont été massivement utilisées contre les troupes ukrainiennes. Selon la chercheuse, il s’agit d’un réel "démultiplicateur de force pour l’armée russe".