
C’est une prise rare. Ce 6 juin, parmi les valises éventrées qui jonchent le sol de l’aéroport de Bangui M’Poko, l’aéroport international desservant la capitale centrafricaine, sont soigneusement alignées plusieurs pointes d’ivoire, saisies avant de s’envoler pour l’Indonésie. "Une prouesse" pour la Direction générale des douanes centrafricaines, qui ne dispose que d’un seul portique de sécurité et d’un tapis à bagages, pour surveiller les quelques 100 000 passagers quotidiens.
Un aéroport vétuste
"Il y a des problèmes de sécurité, d’espace et des bâtiments vétustes" dans l’aéroport, déplore le colonel Follot, directeur général de l’Autorité nationale de l’aviation civile (ANAC), dont l’ambition est d’obtenir une certification internationale. Le chantier est immense. Depuis son inauguration en 1967 – conçu pour accueillir 15 000 personnes par jour, M’Poko était alors à la pointe de la modernité –, l’unique aéroport du pays n’a pas changé, si ce n’est que son état témoigne de l’histoire trouble de la Centrafrique.
Au premier étage, où se trouve l’unique coin de restauration, les longues pâles des ventilateurs hors d’âge ne font que brasser l’air chaud, et la décoration consiste en quelques guirlandes clignotantes qui se mélangent aux fils électriques. Cela fait seulement quelques mois que l’éclairage est revenu le soir, permettant la reprise des vols de nuit. L’étage supérieur est, lui, complètement saccagé depuis 2013.
Camp de réfugiés
Cette année-là, les Sélékas, une coalition de rebelles du Nord-Est, fomentent un coup d’État qui renverse le président François Bozizé, avant de prendre le pouvoir. Un mouvement de résistance formé de miliciens appelés "anti-balakas" s’organise alors, plongeant le pays dans une sanglante guerre civile et faisant des milliers de déplacés.
S’il paraît difficile d’imaginer aujourd’hui le camp de réfugiés qu’était devenu l’aéroport entre 2014 et 2017, les stigmates du passé sont bien là. "On atterrissait dans le camp. Les gens étaient là. À chaque fois qu’un avion arrivait, il fallait les faire évacuer", raconte Hugo Alvarez, qui avait participé à la mission humanitaire. Au plus fort de la crise, environ 100 000 personnes, majoritairement chrétiennes, dont quelques anti-balakas, sont venues trouver refuge dans les carlingues rouillées des vieux avions, pour fuir les combats et se rapprocher des soldats français de l’opération Sangaris, lancée en 2013 et basée à M’Poko.
Rapidement, l’aéroport est devenu aussi gros qu’une ville. "Dans le camp il y avait de tout : des salles de sport, des cinémas – constitués d’une tente, d’une télévision et d’un magnétoscope –, des restaurants, des distilleries… et même une piste de danse improvisée sur la piste d’atterrissage, la nuit", se rappelle Hugo Alvarez. "De l’autre côté du tarmac, un cimetière avait été improvisé, et des corps mal enterrés remontaient à la saison des pluies", raconte-t-il encore.
Des corps sous la clôture
Les réfugiés y restent plusieurs années, malgré les tentatives de rapatriement des Nations unies et la pression des autorités centrafricaines. La situation est encore trop explosive. Dès son élection à la présidence du pays, en 2016, Faustin-Archange Touadéra lance l’opération "Noël à la maison" et indemnise les réfugiés pour qu’ils vident les lieux et rentrent "chez eux" – ou ce qu’il en reste – pour les fêtes. Il faudra deux ans pour démanteler complètement le camp, laissant un aéroport à reconstruire.
Le premier chantier consiste dans l’installation d’une clôture de 13 km financée par l’Agence française de développement et inaugurée en 2022, après plusieurs années de travaux. "Pendant l’installation de la clôture, certains corps ont été découverts", se souvient le directeur de l’ANAC. "Il a fallu appeler les médecins légistes, déterrer les corps et les rendre aux familles". Des centaines sont encore ensevelis aujourd’hui.
"Nid de vipères"
Puis les promesses de travaux se multiplient, sans voir le jour. Un bras de fer autour de leur financement – qui manquait de clarté, selon le média Jeune Afrique – a lieu entre le ministre des Finances, Hervé Ndoba, et celui chargé des grands travaux, Pascal Bida Koyagbélé, ce qui bloque leur lancement. Trois ans après la signature avec la société turque Summa, rien n'est fait.
Avec l’arrivée des mercenaires russes en 2018, M’Poko, même délabré, devient l’endroit le plus convoité de Bangui. "Chacun veut avoir son contrôle, c’est le seul point vers l’extérieur !", assure un opposant.
Pendant longtemps, le balais des avions Iliouchine II-76 qui rentrent et sortent du pays est bien visible, apportant des armes russes à Bangui, ou transportant des cargaisons d’or, de bois et de diamants vers Moscou. Jusqu’en 2023, les militaires français côtoient les membres du groupe Wagner, avant de se retirer du pays et de leur laisser leur base.
La Mission de la paix de l’ONU, la Minusca, partage désormais l’entrée de son aérogare avec les Russes. "Cet aéroport, c’est un nid de vipères, tout le monde espionne tout le monde", témoigne un diplomate sous couvert d’anonymat. Si les hommes de Moscou préfèrent les vols plus discrets d’Ethiopian Airlines ou Kenya Airways depuis la mort d’Evgueni Prigojine, ils n’en restent pas moins bien présents.
Travaux chinois
Finalement, un nouvel appel d’offre est lancé en 2024 pour la réhabilitation de l’aéroport et l’acquisition de matériel de sécurité. C’est Pékin qui l’emporte, avec via l’entreprise chinoise Shanxi. Le projet est financé par la Banque africaine de développement à hauteur de 6,5 milliards de francs CFA, auxquels s’ajoutent 1,5 milliards de francs CFA apportés par l’État centrafricain.
"On est au début, mais ça avance", assure le colonel Follot, pointant du doigt la base-vie chinoise en construction, visible de la fenêtre de son bureau le bâtiment en construction qui accueillera les salariés chinois pendant la durée du chantier, visible de la fenêtre de son bureau. Une base étrangère de plus ? "Il ne faudrait pas que les ouvriers chinois aient accès aux passagers ou qu’on retrouve une pioche sur le tarmac", s’inquiète une source sécuritaire.
Pour le reste, le vieux M’Poko devra attendre d’autres financements avant de retrouver sa fringante jeunesse. À moins qu’il ne soit remplacé. En 2023, les Émirats arabes unis ont annoncé vouloir financer la construction d’un nouvel aéroport international en Centrafrique.