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Dénonciation de migrants à la police, formation d’enfants au maniement des armes, soutien logistique aux combattants nationalistes russes et vision traditionaliste de la société… L’organisation “Communauté russe” se veut être un réseau d'entraide ayant pour but de promouvoir une vision conservatrice de la Russie.

Une dizaine d'hommes en civil accompagnés de policiers entrent dans un restaurant de la ville russe de Balachikha, située en banlieue est de Moscou. Ces hommes qui ne portent pas d'uniforme, mais sont cagoulés et arborent des brassards blancs appartiennent au groupe "Communauté russe" ("Russkaïa Obshchina", en russe), une organisation traditionaliste russe créée au moment de l'invasion de l'Ukraine en 2022.

Dans la description de la vidéo, l'organisation dit avoir "participé à un raid aux côtés des forces de sécurité". Plus loin, le groupe vante de bilan de la descente de police : "Les forces de sécurité ont arrêté environ 100 personnes pour diverses violations de la législation sur l'immigration. Certains d'entre eux seront expulsés du territoire de la Fédération de Russie [...] des citoyens de la Fédération de Russie qui ont récemment reçu un passeport mais ne se sont pas enregistrés auprès de l'armée ont reçu des amendes administratives appropriées".

Mais la lutte contre l'immigration n'est pas la seule mission que se sont donnée les membres de Communauté russe. Avec ses 59 sections dans différentes villes de Russie, l'organisation se veut également un organe de formation de la jeunesse russe. Ainsi, les enfants de l'école des sports de la ville de Barnaoul, à 3 000 km à l'est de Moscou, en Sibérie, ont pu suivre un cours de "courage" dispensé par les membres de Communauté russe et de l'organisme de formation paramilitaire CyberArena

Parmi les activités organisées lors de cette journée, les élèves ont pu rencontrer "des membres du groupe Wagner ayant participé à l'opération spéciale", selon une publication du groupe sur Telegram. Les enfants ont également assisté à un cours de "familiarisation avec les armes légères et les mines".

La rédaction des Observateurs a pu s'entretenir avec le représentant de Communauté russe dans la ville de Chelyabinsk, dans le centre-ouest du pays. Pour ce dernier, ces entraînements sont normaux : "Qu'est-ce qui n'est pas normal avec ces cours? Chaque garçon sera un futur homme et défenseur de sa famille et de son pays". Selon lui, les enfants participent à de nombreuses activités du groupe : "On montre aux enfants ce qu'ils devraient être : des garçons forts qui peuvent se protéger eux-mêmes et leur famille, et les filles de futures femmes au foyer et mères féminines et attentionnées."

Le groupe Communauté russe apporte un soutien sans faille à l'invasion de l'Ukraine par les troupes du Kremlin. Dans certaines villes, les sections du groupe organisent des collectes afin d'équiper certaines unités russes qui combattent sur le front. L'une d'entre elles a retenu l'attention de notre rédaction. Le 13 avril, la section de Saint-Pétersbourg de Communauté russe co-organise une récolte de dons où sont arborés les drapeaux de deux sociétés militaires privées. 

"Communauté russe" : cette organisation qui traque les "étrangers", fait l'apologie de Wagner et apprend le maniement des armes aux enfants

Parmi elles, on trouve les drapeaux de l'ancienne PMC Wagner et de la société militaire privée nommée Espanola. Cette dernière est connue pour être composée de supporters ultras et hooligans notamment issus des tribunes du CSKA Moscou ou encore de néonazis. Selon le chef de la section de Chelyabinsk : "Wagner accomplit les tâches les plus difficiles sur le front. Ce sont des héros".

"Pour eux, l'identité russe est menacée de toute part"

Selon le chercheur Adrien Nonjon, spécialiste de l'extrême droite en Europe de l'Est, Communauté russe s'inscrit dans une branche particulière de la droite russe :

Les membres de Communauté russe promeuvent une vision nationaliste et traditionaliste de la Russie. Pour eux, l'identité russe est menacée de toutes parts et la société doit s'appuyer sur un socle de valeurs traditionnelles. Ce type de groupes est bien vu dans certaines franges très conservatrices de l'église orthodoxe russe.

Le conflit ukrainien entre en résonance avec leur idéologie. Il s'agit de combattre toute forme de comportement qu'ils jugent 'déviant' et s'opposent à l'occidentalisation de la Russie.

L'un des combats du groupe est la lutte contre ce qu'ils appellent "les gangs ethniques". Les membres de Communauté russe n'hésitent pas à multiplier les opérations punitives au nom de la lutte contre la délinquance. Ces actions peuvent se faire en coopération avec les forces de l'ordre que les membres de Communauté russe disent prévenir de potentielles violations des lois d'immigration.

"La police a des attitudes différentes à l'égard de notre travail"

Ainsi, le 15 novembre 2023, les membres de l'organisation effectuent un raid sur un bar qui abriterait des "jeux illégaux" dans la ville d'Obninsk, au sud-ouest de Moscou. L'organisation vante sa collaboration avec les forces de l'ordre et l'expulsion de six individus pour "infraction aux lois migratoires".

Parfois le groupe n'hésite pas à intervenir sans les forces de l'ordre, comme ce fut le cas le 1er août 2023 sur un "point de deal" de la ville Nijnevartovsk, en Sibérie. Dans leur publication sur Telegram, les membres de groupe dénoncent alors "l'inaction des forces de l'ordre" qui les pousse à dénoncer eux-mêmes les personnes qu'ils accusent de trafic de drogue.

Pour le membre de la section de Chelyabinsk de Communauté russe, la coopération avec la police sur les question migratoire est nécessaire, même si elle ne fait pas l'unanimité chez les forces de l'ordre :

Il y a beaucoup de migrants, mais tous ne veulent pas accepter nos lois, nos traditions et notre culture. Ils se comportent comme dans leur patrie d'origine et cela ne nous convient pas.

Nous informons la police, enregistrons diverses violations de la loi et veillons à ce que la police accomplisse son travail conformément à la loi. La police a des attitudes différentes à l'égard de notre travail. Il y a des policiers qui font bien leur travail, et il y a malheureusement des fonctionnaires corrompus.

Selon Adrien Nonjon, ce phénomène de groupes de vigilantisme qui souhaitent épauler la police n'est pas nouveau en Russie :

C'est un phénomène qui a émergé en 2012, période à laquelle Poutine effectue un virage conservateur suite à la révolution orange en Ukraine. Ils se sont organisés pour défendre un certain nombre de valeurs au sein de la société russe.

Pour les groupes de vigilantisme comme Communauté russe, c'est une réponse à une défaillance des institutions. Pour eux, l'État ne va pas assez loin. Donc ces groupes s'emparent des prérogatives régaliennes pour faire la justice eux-mêmes.

"C'est une guerre entre la Russie et l'Occident"

Le soutien du groupe à l'invasion de l'Ukraine est total. L'organisation revendique la présence de plusieurs de ses membres sur le front, comme il est possible de le voir dans certaines de ses publications :

Selon le membre de Communauté russe que la rédaction des Observateurs a pu interviewer, ce soutien revêt un sens presque civilisationnel : "Il ne s'agit pas d'une guerre entre la Russie et l'Ukraine, c'est une guerre entre la Russie et l'Occident tout entier – les États-Unis, l'Europe. Le peuple est donc obligé de soutenir son armée".

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Sur d'autres conversations privées, différents participants s'organisent pour ravitailler les troupes. La décentralisation de l'aide aux soldats est surprenante : "une unité à besoin de batterie externe pour une unité sur le front du nord, y a-t-il des volontaires pour se cotiser ?" La réactivité des membres est impressionnante et semble dessiner les traits d'une logistique bénévole et décentralisée.

Le représentant de la Communauté russe que nous avons pu joindre : "Nous ne faisons pas de politique mais nous suivons la même ligne que celle du président".

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