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"Au Soudan, il y a des blocages constants à l'aide humanitaire de la part de tous les belligérants"
Alors que la communauté internationale, réunie lundi à Paris, dans le cadre d'une conférence humanitaire, s'est engagée à apporter plus de 2 milliards d'euros de financements pour le Soudan, Mathilde Vu, chargée de plaidoyer  pour le Soudan Norwegian refugee Council revient sur la crise humanitaire en cours dans ce pays dévasté par un an de guerre.

Il y a un an, le 15 avril 2023, de premiers combats éclataient à Khartoum, capitale du Soudan, opposant l'armée régulière dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane aux troupes paramilitaires – les forces de soutien rapide (RSF) – du général Mohamed Hamdane Daglo. Depuis, le conflit a fait des dizaines de milliers de morts et plongé le pays dans une profonde crise humanitaire. Selon l'ONU, le Soudan compte aujourd'hui 6,7 millions de déplacés internes et 1,8 million de réfugiés dans les pays voisins, notamment l'Égypte et le Tchad. De nombreuses infrastructures ont été détruites et l'économie déjà en crise s'est effondrée. 

Pour tenter de faire face aux conséquences désastreuses de cette guerre, le pays étant désormais au bord "de la plus grande crise alimentaire jamais connue", d'après la directrice exécutive du Programme alimentaire mondial (PAM), Cindy McCain, une conférence internationale était organisée lundi à Paris.

Parrainée par la France, l'Allemagne et l'Union européenne (UE), ce rendez-vous affichait deux objectifs : récolter plus de 1 milliard d'euros de dons et coordonner les différentes médiations pour mettre fin au conflit. 

"Depuis un an, les Soudanais sont victimes d'une guerre terrible […] qui ne produit que chaos et souffrance", a ainsi déploré le ministre français des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, estimant que les Soudanais étaient "victimes de l'oubli et de l'indifférence". "C'est le sens de nos réunions d'aujourd'hui : briser le silence qui entoure ce conflit et mobiliser la communauté internationale", a-t-il insisté. 

Au total, 2 milliards d'euros d'engagement d'aide humanitaire ont été promis à l'issue de cette conférence, a annoncé Emmanuel Macron en fin de journée. Sur les 2 milliards, les pays membres de l'UE participeront à hauteur de 900 millions d'euros, dont 110 millions attribués par la France.

"Ce soutien […] va permettre de répondre aux besoins les plus urgents dans les secteurs de la sécurité alimentaire et nutritionnelle, de la santé, de l'eau, de l'assainissement, de l'éducation, de la protection des plus vulnérables", a également déclaré le chef de l'État.

Mais bien que les promesses de dons soient conséquentes, elles restent loin des 3,8 milliards d'euros d'aide nécessaire estimés par les Nations unies.

"Ces fonds promis aujourd'hui sont désespérément nécessaires pour sauver des millions de vies : ils doivent être mis à disposition immédiatement", a réagi, après ces annonces, le Soudan Norwegian refugee Council. Responsable de plaidoyer pour cette ONG déployée au Soudan ainsi que dans les pays voisins, Mathilde Vu, présente au rendez-vous, revient sur l'ampleur de la crise humanitaire en cours et ses conséquences dans la Corne de l'Afrique. 

France 24 : Un an jour pour jour après le début du conflit, quelle est l'ampleur de la crise humanitaire en cours au Soudan ? 

Mathilde Vu : "Presque 5 millions de personnes sont aujourd'hui à deux doigts de la famine au Soudan, et on estime que 17 millions de personnes seront en insécurité alimentaire dans les semaines à venir. Le problème, c'est que non seulement il n'y a pas assez à manger, mais surtout, les prix sont devenus exorbitants à cause de l'effondrement de l'économie. Donc, aujourd'hui, ce dont les Soudanais ont le plus besoin – en urgence – c'est de nourriture. 

Nos équipes commencent ainsi à voir de plus en plus de réfugiés traverser la frontière pour rejoindre le Tchad, poussées par les violences et des combats en cours, mais aussi à cause de la faim. C'est très grave : cela signifie que nous allons vers un mouvement "de déplacés de la faim". 

Outre la famine, tout le pays est en ruine. Au moment où nous nous parlons, de la fumée est toujours visible dans le ciel du Nord Darfour et des villages sont en cendres après avoir été brûlés par des milices. Des civils sont tués tous les jours ou sont victimes de violences, de massacres ethniques à grande échelle et d'exécutions. 

Parmi mes collègues qui ont été au Darfour – où le plus grand nombre d'exactions sont commises – tous ont perdu un membre de leur famille, parfois dans des conditions indignes et inhumaines. D'ailleurs, dans cette zone où nous travaillons encore, nous essayons de rouvrir des écoles, car il n'y en a plus aucune en fonctionnement, et d'offrir de l'aide psychologique aux enfants. Nous cherchons à leur apprendre à gérer leur colère et leur stress, qui sont immenses. Ils ont des cauchemars toutes les nuits, ils vont pleurer s'ils entendent des avions…

Vendredi, le ministère soudanais des Affaires étrangères s'est dit "indigné" par l'organisation de cette conférence humanitaire à Paris. Quelle relation entretenez-vous avec les autorités du pays ? Quels sont les obstacles que vous rencontrez pour acheminer l'aide humanitaire ? 

C'est très compliqué d'acheminer l'aide humanitaire au Soudan. C'est pour cela que nous espérions recevoir un signal fort de la part des organisateurs de cette conférence humanitaire. 

Il y a des blocages constants à l'aide humanitaire de la part de tous les belligérants [comme des interdictions d'accès à certaines zones ou des difficultés pour obtenir des visas, ndlr]. Les RSF ont ainsi à plusieurs reprises pillé nos stocks d'aides. Ça nous empêche d'apporter de l'aide là où on en a le plus besoin, spécialement au Darfour et dans la capitale Khartoum. 

Il ne faut pas non plus oublier que des travailleurs humanitaires ont été tués au Soudan et des volontaires locaux se sont fait arrêter. Tout cela va à l'encontre du droit humanitaire international et est inacceptable. 

Comment aider le Soudan et ses pays voisins qui voient affluer des vagues de réfugiés ? 

La tragédie du Soudan, c'est que c'est une terre d'asile, qui avait déjà 1 million de réfugiés, et qui s'est transformée en zone de guerre. Et ses habitants ont fui vers des pays qui sont parmi les plus pauvres, les plus vulnérables et les plus instables de la planète. Ainsi, l'Égypte, qui connaît des difficultés économiques, mais aussi le Tchad, la Centrafrique, le Sud-Soudan et l'Éthiopie, des États extrêmement fragiles qui n'ont pas les capacités d'accueillir dignement des réfugiés. Les besoins humanitaires ne concernent donc pas que le Soudan mais bien toute la région. 

Mais face à ce constat, la communauté internationale s'est montrée éparpillée. Il y a en effet eu plusieurs initiatives pour le Soudan, mais qui n'ont pas toujours été coordonnées entre elles.

Nous espérons, qu'à l'image de cette conférence à Paris, nous allons voir une vraie impulsion diplomatique. Il y a aujourd'hui des signaux forts pour que la communauté internationale se rassemble autour du Soudan parce que ce conflit ne polarise pas autant que d'autres sujets, comme la guerre à Gaza ou en Ukraine. Nous l'encourageons donc vraiment à se coordonner plus avec non seulement les pays occidentaux mais aussi avec les pays d'Afrique et les pays du Golfe pour amener les parties du conflit à se parler. 

"Au Soudan, il y a des blocages constants à l'aide humanitaire de la part de tous les belligérants"