logo

En RD Congo, la difficile surveillance du volcan Nyiragongo face à la présence du M23
Afin de mettre en sécurité les équipements et les scientifiques chargés de surveiller l'activité des volcans Nyiragongo et Nyamulagira, l'Observatoire volcanologique de Goma a dû démonter plusieurs stations sismologiques situées dans des zones occupées par les rebelles du M23. Le Nyiragongo, placé en vigilance jaune, est pourtant parmi les plus actifs d'Afrique. En cas d'éruption, il peut mettre en danger la zone densément peuplée qui vit à son pied.

Il est considéré comme le volcan le plus dangereux d'Afrique, mais sa surveillance est aujourd'hui mise à mal. Du haut de ses 3 470 mètres d'altitude, le Nyiragongo, situé en République démocratique du Congo, à une quinzaine de kilomètres au nord de la ville de Goma et du lac Kivu, et à l'ouest de la frontière du Rwanda, est d'ordinaire surveillé par douze stations de l'Observatoire volcanologique de Goma (OVG). Il n'en reste aujourd'hui plus que cinq.

Les sept autres, des stations chargées de l’étude des tremblements de terre liés aux mouvements du magma dans le sol, ont en effet été fermées et démontées par mesure de sécurité en raison de l'occupation des zones où elles étaient installées par les rebelles du M23.

Cette milice rebelle, majoritairement composée de Tutsis et soutenue selon l'ONU par le Rwanda voisin, a repris les armes fin 2021 après plusieurs années de sommeil et s'est emparée depuis de vastes pans de la région du Nord-Kivu, dans l'est de la RD Congo.

Alors que Kinshasa accuse le Rwanda et ses "supplétifs" du M23 de vouloir faire main basse sur les minerais de l'est congolais, le M23 affirme, quant à lui, défendre une frange menacée de la population et réclame des négociations que la RD Congo refuse, excluant de discuter avec des "terroristes".

Depuis octobre 2023, les affrontements se sont intensifiés, notamment dans la région de Nyiragongo, où se trouve le volcan éponyme, entre le M23 et des combattants locaux, supplétifs de l’armée congolaise.

Placé en vigilance jaune - niveau d'alerte auquel il a été maintenu le 18 mars dernier par l'OVG -, le Nyiragongo doit faire l'objet d'une surveillance renforcée, tout comme son jumeau dans le parc des Virunga : le Nyamulagira.

L'OVG, privée d'une partie de ses données d'observation s'inquiète. Tout comme les populations qui vivent à proximité, marquées par la dernière éruption du Nyiragongo, en mai 2021. Une surprise que même l'Observatoire n'avait pu voir venir. Les coulées de lave avaient provoqué la mort de 32 personnes et fait plus de 500 000 déplacés.

"À chaque fois que la situation [sécuritaire] dégénère, la surveillance des volcans en pâtit"

"Certaines de nos stations se sont retrouvées dans des zones à sécurité réduite, donc nous avons préféré les désinstaller et les ramener à l’OVG pour leur sécurité", explique Charles Balagizi, directeur scientifique de l'OVG au micro de TV5 Monde, précisant que les sept stations désinstallées sont des stations de sismologie. Celles de géochimie (permettant de surveiller les émissions de gaz) et celles servant à contrôler la déformation des sols sont, elles, pour l'instant toujours opérationnelles.

Mais sans ces stations de sismologie "on peut avoir des biais d'observation", explique à France 24 Benoît Smets, volcanologue au Musée royal de l'Afrique centrale (AfricaMuseum), institut belge de recherche scientifique, et à l'Université de Bruxelles, qui a travaillé plusieurs années aux côtés de l'OVG. "Lorsque l'on veut localiser la source des séismes, le fait de ne plus avoir de système fermé, avec des instruments tout autour du volcan, augmente l’erreur de localisation, et l'on peut sous-estimer ou surestimer son activité".

Une situation qui n'est cependant pas inédite. "À chaque fois que la situation [sécuritaire] dégénère, la surveillance des volcans en pâtit, car il faut protéger les équipements qui sont assez onéreux, et assurer la sécurité des sentinelles qui gardent les stations de surveillance", ajoute le chercheur, spécialiste des volcans de cette région en proie aux conflits armés depuis 30 ans.

"Sur toutes les activités qui se trouvent dans la zone militarisée, à 100 % on ne contrôle plus rien", ajoute auprès de TV5 Monde Georges Mavonga, directeur général de l'OVG, indiquant une zone dans laquelle étaient installées trois stations qui contribuaient à la surveillance du Nyamulagira.

Dans son dernier bulletin d'information, l'OVG précise d'ailleurs que pendant la période d'étude (du 8 au 16 mars 2024), l'activité sismo-volcanique concentrée de part et d'autre de la grande fracture reliant les deux volcans actifs, "était plus concentrée dans le champ du Nyamulagira que dans celui du Nyiragongo".

"Le volcan est en activité, pas de danger immédiat, la population peut mener une vie normale", précise aux populations de Goma le panneau d'affichage détaillant les niveaux d'alerte mis en place par l'OVG.

Le niveau jaune auquel le Nyiragongo a été maintenu n'évoque en effet pas de risque imminent d'éruption. Basé sur le même code couleur (vert, jaune, orange, rouge) que celui utilisé pour d'autres volcans, à Hawaï ou encore sur l'île de la Réunion, il permet de spécifier à la population que le volcan est en activité. "Il n'y a rien qui menace directement la population, mais comme les volcans sont actifs, il faut rester vigilant et surveiller leur activité", précise Benoît Smets.

Mais trois ans après la dernière éruption du Nyiragongo, les scientifiques restent vigilants. En 2021, le volcan n'avait montré de précurseur évident que très peu de temps avant d'entrer en éruption.

Reporters À Goma, la question du volcan Nyiragongo reste brûlante

"Un volcan actif et imprévisible dans une région très densément peuplée"

D'ordinaire, les éruptions volcaniques impliquent une accumulation de pression et une remontée du magma vers la surface. Des processus qui produisent des signaux géophysiques et géochimiques pouvant être détectés et interprétés comme des précurseurs d'éruption.

Mais "le 22 mai 2021, le mont Nyiragongo, volcan à évent ouvert (bouche du volcan par lequel sort la lave, NDLR) avec un lac de lave persistant perché [au sommet de] son cratère, a bousculé cette interprétation", expliquaient les chercheurs de l'OVG et de l'AfricaMuseum dans une publication parue en août 2022 dans la revue Nature.

Un précurseur est une anomalie détectée qui peut mener à une éruption, précise Benoît Smets. "En 2021, il ne s’était rien passé 30 minutes avant l’éruption, donc il était impossible de détecter à l’avance que le volcan se dirigeait vers une éruption".

Aussi, ajoute-t-il, "le problème de manquer de stations fonctionnelles, c'est que l'on risque de ne pas voir venir tout changement qui traduirait l'arrivée d'une éruption dangereuse".

En RD Congo, la difficile surveillance du volcan Nyiragongo face à la présence du M23
En RD Congo, la difficile surveillance du volcan Nyiragongo face à la présence du M23

Volcan effusif, le Nyiragongo - tout comme son voisin Nyamulagira - se caractérise par son "lac de lave", un bassin rempli de lave en fusion qui reste liquide. "Ces volcans sont donc quasi-continuellement en éruption", explique Benoît Smets.

L'activité de ce lac de lave est ponctuée par des éruptions sur les flancs du volcan qui créent des coulées. C'est notamment ce qui est surveillé lorsqu'est mise en place la vigilance jaune, précise le chercheur. "Il s'agit de surveiller si l'activité éruptive menace la population, dans les zones habitées, par des fissures qui s'ouvrent sur les flancs du volcan émettant des coulées de lave".

La composition du Nyiragongo, rendant sa lave extrêmement fluide, produit des coulées parmi les plus rapides au monde. Celles du Nyamulagira, moins rapides mais plus abondantes, peuvent quant à elles se répandre sur plusieurs dizaines de kilomètres de long.

Mais la différence majeure entre ces deux volcans de la vallée du Grand-Rift est la menace qu'ils font peser, ou non, sur les populations. Le Nyamulagira se situe en plein milieu du parc des Virunga, menaçant davantage la faune et la flore. Pour le Nyiragongo, l'un des plus actifs et dangereux d'Afrique, "le danger vient du fait qu’une population de plus d’un million d’habitants vit à ses pieds", rappelle Benoît Smets. "On a donc un mix entre un volcan très actif et imprévisible, et une région très densément peuplée".

Avant 2021, le Nyiragongo a connu deux éruptions majeures : en janvier 1977 - elle avait débuté 50 ans plus tôt -, et en janvier 2002. Lors de cette dernière éruption, 250 personnes avaient trouvé la mort et 120 000 s'étaient retrouvées sans-abri à Goma.