C'est dans un décor plutôt inhabituel que la sénatrice de l'Alabama Katie Britt a choisi de répondre au discours sur l'état de l'Union de Joe Biden. Dans une vidéo publiée jeudi 7 mars, l'élue républicaine a pris la parole dans une cuisine immaculée pour riposter aux propos du président américain prononcés dans l'hémicycle du Congrès.
Sur un ton très dramatique, Katie Britt a notamment critiqué la politique d'immigration du locataire de la Maison Blanche et insisté sur son attachement aux valeurs traditionnelles en s'adressant aux familles américaines. "En ce moment même, notre commandant en chef n’est pas aux commandes. Le monde libre mérite mieux qu’un leader hésitant et affaibli", a-t-elle ainsi déclaré.
Despite the current State of our Union, I firmly believe that our best days are still ahead. It’s our turn to stand up and prove ourselves worthy of protecting the American Dream. Together, we can reawaken the heroic spirit of a great nation. pic.twitter.com/VN6neGCTF4
— Senator Katie Boyd Britt (@SenKatieBritt) March 8, 2024La sénatrice a également qualifié Biden de politicien professionnel "déconnecté" et a affirmé que le pays était de plus en plus dangereux. "Pendant des années, la gauche a dorloté les criminels et a privé la police de financements – tout en laissant les récidivistes en liberté", a aussi affirmé Katie Britt dans sa réponse. "Le résultat est tragique mais prévisible : de nos petites villes aux rues les plus emblématiques d'Amérique, la vie devient de plus en plus dangereuse."
"Le rôle de la maman flippante"
Sa prestation aux accents particulièrement théâtraux n'a pas manqué de faire réagir. Très vite, les parodies raillant les mimiques et le décor se sont multipliées sur Internet. Dans une séquence publiée sur X, Annie Andrews, une pédiatre candidate démocrate au Congrès en 2022, a imaginé avec humour comment la mise en scène de la vidéo de Katie Britt avait été fabriquée.
Behind the scenes with Katie Britt before her big speech last night. pic.twitter.com/8dsTMBVMjM
— Dr. Annie Andrews (@AnnieAndrewsMD) March 8, 2024Mais c'est une imitation de Scarlett Johansson qui a fait le tour des réseaux sociaux comptabilisant plus de sept millions de vue depuis sa publication le 10 mars. Dans la célèbre émission Saturday Night Live, l'actrice s'est grimée en Katie Britt et a refait le discours à sa façon. "Ce soir je passe une audition pour le rôle de la maman flippante", a-t-elle lancé pour souligner l'attitude étrange de l'élue républicaine. "Je vous ai invités dans cette cuisine vide parce que les Républicains veulent que je fasse appel aux électrices et les femmes aiment les cuisines", a-t-elle ironisé. "Je ne suis pas seulement une sénatrice. Je suis une épouse, une mère, et la connasse la plus cinglée sur le parking du supermarché", a encore dit la vedette d'Hollywood qui portait, comme la sénatrice, une croix à son cou.
Scarlett Johansson a également fait référence à une rencontre avec une femme victime de trafic humain et de prostitution forcée, relatée par Katie Britt dans son discours. "Le moindre détail est vrai, à part l'année, l'endroit où cela s'est passé, et qui était président à ce moment-là", s'est moquée Scarlett Johansson.
Sen. Katie Britt delivers the Republican response to President Biden’s State of the Union Address pic.twitter.com/x7mDzO1sWP
— Saturday Night Live - SNL (@nbcsnl) March 10, 2024Une prise de parole truffée de mensonges
Dans sa vidéo, la sénatrice avait en effet mentionné un entretien avec une femme "livrée à la prostitution forcée par les cartels à l'âge de 12 ans", en donnant des détails sordides. "Nous n'accepterions pas que cela se passe dans un pays du tiers monde. Nous sommes aux États-Unis et il est temps d'agir", avait-elle ajouté. Mais des médias américains ont rapidement établi que cette histoire s'était passée au Mexique il y a vingt ans, et non aux États-Unis sous le mandat de Joe Biden.
Dans une vidéo virale publiée sur TikTok le journaliste indépendant Jonathan Katz a ainsi affirmé qu'elle faisait référence à Karla Jacinto Romero, qui a témoigné devant le Congrès avoir travaillé dans des bordels mexicains entre 2004 et 2008, alors que George W. Bush était président. Après avoir décortiqué son discours, le Washington Post a octroyé quatre Pinocchio à l'élue républicaine, selon son système de notations pour déceler les fausses informations. "Dans un discours aussi médiatisé que celui-ci, une personnalité politique ne devrait pas induire les électeurs en erreur avec un langage chargé d’émotion. L'histoire de Romero est tragique et pourrait évoquer celle d'autres jeunes filles mexicaines piégées dans le commerce du sexe dans ce pays. Mais elle n’a pas fait l’objet d’un trafic transfrontalier – et son histoire n’a rien à voir avec Biden", a estimé le quotidien américain.
En réponse à ces critiques, Katie Britt s'est maladroitement défendue dimanche sur la chaîne Fox News. Elle a nié avoir caché le fait que l'affaire de viol et de trafic sexuel à laquelle elle faisait référence s'était réellement produite sous la présidence de George W. Bush. "C’est répugnant de vouloir faire taire une voix qui nous dit ce qu’est la traite des êtres humains à visée sexuelle", a-t-elle insisté, sans répondre explicitement à ces accusations de mensonge.
Doing our job for the American people must come first. pic.twitter.com/749MbqA83L
— Senator Katie Boyd Britt (@SenKatieBritt) March 10, 2024Considérée comme l'une des étoiles montantes du Parti républicain, Katie Britt voit sa réputation ternie par cette prise de parole désastreuse. À 42 ans, l'élue de l'Alabama, soutenue par Donald Trump lors de son élection en 2022, était pourtant en pleine ascension : plus jeune élue républicaine à entrer au Sénat, elle a été choisie par son parti pour prononcer la traditionnelle réplique de l’opposition après le discours sur l’état de l’Union du président américain. Cette pratique existe depuis 1966. Le sénateur républicain Everett Dirksen et le représentant Gerald Ford étaient alors apparus à la télévision pour répondre au président démocrate Lyndon Johnson.
Depuis cette réponse du parti de l'opposition a considérablement changé dans sa forme. En 1985, Bill Clinton y avait participé dans une version étonnante. Alors gouverneur de l'Arkansas, le futur président démocrate avait été chargé de répondre au discours du républicain Ronald Reagan. Dans une vidéo aux accents de reportage télévisé, il était apparu en train d'animer un groupe de discussion composé d'Américains ordinaires et de politiciens. En 2017, le gouverneur démocrate du Kentucky Steve Beshear était aussi apparu attablé dans un restaurant entouré de citoyens lambda.
Un tremplin ou un frein
Historiquement, cette réponse de l'opposition a surtout servi de tremplin a des personnalités politiques prometteuses, comme le rappelle CBS News. En 2011, le jeune Paul Ryan, élu républicain du Wisconsin, avait été choisi pour cet exercice sous le mandat de Barack Obama. Il est devenu par la suite candidat républicain à la vice-présidence des États-Unis et président de la Chambre des représentants. Cinq ans plus tard, c'est la gouverneure de Caroline du Sud Nikki Haley qui a pris la parole et qui a bénéficié d'un coup de projecteur national. L'élue républicaine est depuis devenue une figure majeure de son parti, affrontant Donald Trump lors de la campagne républicaine pour la présidentielle de 2024.
Mais ce discours peut aussi devenir un piège. Plusieurs personnalités politiques en ont fait les frais, à l'image de Katie Britt cette année. En 2009, le gouverneur de Louisiane Bobby Jindal avait également subi de nombreuses critiques après sa prestation jugée ringarde et désastreuse. Quatre ans plus tard, la jeune pousse du parti républicain Marco Rubio avait été à son tour l'objet de moqueries après s'être saisi d'une bouteille d'eau et avoir avalé quelques gorgées lors d'une étrange pause au cours de sa prestation. En 2019, les réseaux sociaux s'étaient aussi montrés sans pitié envers Joe Kennedy III, le petit fils de Robert Kennedy, choisi par le parti démocrate pour répondre à Donald Trump. Les internautes n'avaient retenu que la salive aux commissures de ses lèvres.
Katie Britt peut toutefois se rassurer. Comme le note le Washington Post, "même s'il a la réputation d’être l’un des pires emplois en politique, ce discours n’est pas nécessairement un tueur de carrière". Pour preuve, Marco Rubio est toujours sénateur républicain et Joe Kennedy III, actuellement émissaire spécial des États-Unis pour l'Irlande du Nord, reste pressenti comme l'héritier politique de la dynastie familiale.