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Retraites : des policiers accusés de violence et des gardes à vue "arbitraires" critiquées

Les manifestations spontanées contre la réforme des retraites donnent lieu à des gardes à vue "arbitraires" et à des violences commises par des policiers, accusent avocats, magistrats et politiques. La Première ministre a rappelé mardi que les forces de l'ordre avaient "un devoir d'exemplarité", tandis que pour le préfet de police de Paris, "il n'y a pas d'interpellations injustifiées".

Des manifestants retenus plusieurs heures au commissariat, puis relâchés sans aucune poursuite, des policiers accusés de violences   : avec les rassemblements spontanés contre le 49.3, avocats, magistrats et politiques dénoncent des gardes à vue "arbitraires" et des violences, y voyant, comme lors d'autres mobilisations ces dernières années, une "répression du mouvement social".

"Face à ces violences [de manifestants contre la réforme des retraites, NDLR], je veux à nouveau rendre hommage à nos forces de l'ordre qui assurent la sécurité des manifestations. Et je le redis, ils ont un devoir d'exemplarité et ils en sont conscients, nos policiers comme nos gendarmes", a déclaré la Première ministre Élisabeth Borne, mardi 21 mars, devant l'Assemblée nationale, lors de la séance des questions au gouvernement. "Tout signalement est examiné", a-t-elle ajouté en réponse à une question de la cheffe de file des députés écologistes Cyrielle Chatelain.

"Depuis des mois, nous avons bâti un compromis sur la #réformedesretraites dans le respect de nos institutions", rappelle @Elisabeth_Borne.

"Comment osez-vous nous reprocher la violence dans la rue", ajoute-t-elle en rendant hommage aux forces de l'ordre.#DirectAN #QAG pic.twitter.com/KftTc5JV26

— LCP (@LCP) March 21, 2023

Au-delà des violences, le nombre important d’interpellations interroge. Sur les 292 personnes placées en garde à vue en marge du premier rassemblement spontané, jeudi 16 mars, place de la Concorde, émaillé d'incidents, seules neuf ont été présentées au parquet, notamment pour des rappels à la loi. Au total, 283 procédures ont ainsi été classées sans suite, pour infraction insuffisamment caractérisée ou absence d'infraction.

Le lendemain, 60 personnes ont été placées en garde à vue   : 34 procédures ont été classées, 21 ont mené à des mesures alternatives (rappel à la loi, avertissement probatoire...) et cinq à un procès.

"C'était vraiment toutes sortes de profils   : étudiants à l'ENS, médecins, sans-abris, mineurs, syndicalistes, enseignants, des gens qui sortaient d'un colloque et qui ont été nassés", décrit pour l'AFP Me Coline Bouillon, l'une des avocates ayant assisté des manifestants.

Les personnes ont été placées en garde à vue pour "participation à un groupement en vue de la préparation de violences", ou "dissimulation du visage" et sont restées 24   h ou 48   h en garde à vue, a précisé l'avocate, qui parle de "gardes à vue-sanctions", avec des "dossiers irréguliers", "vides en termes de preuve de culpabilité".

"Une instrumentalisation du droit pénal par le pouvoir politique"

Un groupe d'avocats dont elle est membre entend déposer une plainte collective pour "détention arbitraire" et "entrave à la liberté de manifester".

Dans un communiqué, le Syndicat de la magistrature (SM), classé à gauche, a lui aussi dénoncé lundi ces nombreux placements en garde à vue, y voyant une "répression du mouvement social".

"Il y a une instrumentalisation du droit pénal par le pouvoir politique, afin de dissuader les manifestants de manifester et d'exercer cette liberté", estime également Me Raphaël Kempf, qui souligne l'absence de "réparation" ou "d'excuse".

Manuel Bompard, coordinateur de La France insoumise, a dénoncé mardi sur France Info "cette pratique des arrestations abusives" tandis qu'Europe Écologie-Les Verts a demandé "l'arrêt des techniques de nasse, jugées comme illégales".

Cette pratique avait déjà été critiquée pendant le mouvement des Gilets jaunes. "Le nombre ‘jamais vu’ d'interpellations et de gardes à vue intervenues ‘de manière préventive’", avait été relevé par le Défenseur des droits dans son rapport 2018, citant le 8 décembre où près de 2   000 personnes avaient été interpellées dans toute la France.

Depuis janvier 2023, des manifestations ont lieu partout en France dans le cadre du mouvement social d’opposition au projet de réforme des retraites du gouvernement.

Nous alertons sur le recours excessif à la force et aux arrestations abusives, signalé dans plusieurs médias.👇

— Amnesty International France (@amnestyfrance) March 21, 2023

"Depuis plusieurs années, nous documentons l'utilisation de lois trop vagues ou contraires au droit international pour arrêter, parfois poursuivre des manifestants pacifiques. Les autorités françaises doivent fournir un cadre législatif protecteur du droit de manifester", a twitté Amnesty International France.

"Il n'y a pas d'interpellations injustifiées"

Depuis une "quinzaine d'années", il y a une "judiciarisation du maintien de l'ordre", relève Fabien Jobard, directeur de recherches au CNRS et spécialiste de ces questions.

Il cite notamment la loi dite Estrosi de 2010 qui crée le délit de "participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations" – initialement votée pour "lutter contre les violences de bandes et dans les stades" mais utilisée depuis en manifestation.

Entre le "schéma répressif" et "préventif", où les arrestations ont lieu en amont des manifestations ou avant que d'importantes violences ou dégradations soient commises, "le curseur est de plus en plus du côté préventif", souligne-t-il.

Laurent Nuñez (@NunezLaurent), préfet de police de Paris: "Il n'y a pas d'interpellations injustifiées" pic.twitter.com/pvG2XZnhyM

— BFMTV (@BFMTV) March 21, 2023

"Il n'y a pas d'interpellations injustifiées, je ne peux pas laisser dire ça", a déclaré le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, sur BFMTV. "On interpelle pour des infractions qui, à nos yeux, sont constituées", mais "48 heures [de garde à vue] pour essayer de matérialiser l'infraction, c'est court", a-t-il ajouté.

Des consignes ont-elles été passées pour interpeller massivement   ? "Non", affirme un haut gradé de la police, qui ajoute que "lorsque les profils à risques sont interpellés, ils ne sont plus en train d'agiter les autres".

Mais avec ces nombreuses arrestations, la "manœuvre est risquée", ajoute un autre policier spécialiste de ces questions. Selon lui, elles "exposent les effectifs, monopolisent des agents" et "risquent de radicaliser les manifestants".

Avec AFP