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Le très influent banquier Bao Fan a disparu de la circulation en Chine, a reconnu, jeudi, China Renaissance, son fonds d’investissement. Il est considéré comme une figure centrale du secteur de la tech. De quoi faire ressurgir le spectre de la vague de disparitions des milliardaires chinois ces dernières années.

Un de plus. Le milliardaire Bao Fan, l'un des principaux banquiers et "parrains" de la tech chinoise, a rejoint la longue liste des hommes d'affaires de premier plan à disparaître mystérieusement ces dernières années. China Renaissance, le fonds d'investissement qu'il dirige, a confirmé, jeudi 16 février, ne plus avoir de nouvelles de Bao Fan depuis plusieurs jours.

"Bonjour, vous avez tous dû connaître une nuit sans sommeil, et je vous demanderais de ne pas propager ou croire des rumeurs. Pour l'instant, nous n'avons que des informations très limitées", quant aux raisons du silence radio de Bao Fan, a indiqué Wang Lixing, l'un des directeurs de China Renaissance, dans un mail interne obtenu par le Financial Times.

Boulimique des fusions et acquisitions

Cette disparition est un coup particulièrement dur pour la tech chinoise et même au-delà. Bao Fan est "le roi des facilitateurs financiers" dans ce secteur considéré comme l'un des principaux moteurs de la croissance chinoise.

China Renaissance, que ce quinquagénaire a fondé en 2004, est devenu l'un des plus puissants fonds d'investissement privés en Chine. "Il a façonné certains des plus grands succès tech chinois, et a réussi à faire connaître certains à l'international", souligne le South China Morning Post.

"Son principal fait d'arme est d'avoir conseillé Didi", la start-up chinoise devenue au fil des ans le concurrent numéro 1 du géant américain du VTC Uber. Bao Fan a également travaillé à la création du géant du commerce électronique Meituan, issu de la fusion de deux start-up en 2014, qui est devenu l'un des rares acteurs à pouvoir tenir tête aux mastodontes Alibaba ou Tencent.

Bao Fan et China Renaissance sont de véritables boulimiques des fusions et acquisitions. En 2016, dernière année pour laquelle ce fonds d'investissement détaille ses comptes sur son site internet, cet établissement installé à Shanghai, Hong Kong et New York a piloté 370 opérations financières d'une valeur totale de 71 milliards de dollars.

"Bao Fan est non seulement un banquier extrêmement influent, il connaît aussi personnellement tous les PDG qui comptent en Chine", souligne Marc Lanteigne, sinologue à l'université arctique de Norvège. Il a accompagné la sainte trinité des entrepreneurs tech chinois depuis leurs débuts : Bao Fan a connu Jack Ma d'Alibaba, Pony Ma de Tencent et Robin Li de Baidu au début des années 2000 "alors qu'ils étaient encore totalement inconnus", a-t-il raconté au Financial Times à l'occasion d'un portrait que le quotidien britannique lui a consacré en 2018.

D'où son surnom de "parrain" de la tech chinoise : "c'est lui qui arrange les affaires et on peut imaginer qu'il connaît aussi les principaux secrets de l'élite de cet univers", souligne Marc Lanteigne.

Sa disparition a donc de quoi inquiéter le gotha de l'économie numérique : l'un des principaux rouages de ce petit monde ne répond plus et nul ne sait ce qu'il pourrait raconter s'il a été "convoqué" par les autorités.

Retour des "disparitions" de milliardaires ?

Ce soudain silence radio rappelle la vague de disparitions d'influents hommes d'affaires entre 2015 et 2020 dans le cadre de la campagne anticorruption initiée par le président chinois Xi Jiping. Guo Guangchang, un banquier surnommé le "Warren Buffet" chinois, avait été l'un des premiers à être mis temporairement à l'écart de la vie publique par le régime en 2015. Cette chasse aux rois de la tech avait même rattrapé en 2020 Jack Ma, le très charismatique patron d'Alibaba. Après ces démêlés avec le pouvoir, ce dernier n'a presque plus jamais fait d'apparition en public et semble s'être inventé une nouvelle vie au Japon depuis près d'un an.

"Après avoir soutenu autant que possible la croissance de l'industrie de la tech, le pouvoir avait décidé à partir de la seconde moitié des années 2010 de rappeler à l'ordre ces dirigeants devenus très puissants", souligne Marc Lanteigne.

Les velléités d'indépendance politique d'un Jack Ma, par exemple, n'étaient pas acceptables aux yeux d'un Xi Jinping qui estimaient que "le gouvernement devait conserver et accroître son contrôle sur l'économie", poursuit cet expert.

Malgré ce passif, la disparition de Bao Fan peut surprendre. "Les relations semblaient aller beaucoup mieux entre Pékin et le monde de la tech depuis la fin de la politique de 'zéro covid'. Les autorités ont, en effet, relâché la pression sur ces groupes car elles ont besoin que tous les secteurs tournent à plein régime pour relancer la croissance chinoise", note Marc Lanteigne.

Dans ce contexte, "difficile de comprendre la logique d'une 'disparition' de Bao Fan organisée par le régime", reconnaît l'expert. Pour lui, il y a cependant deux explications possibles. Soit le régime a un compte à régler spécifiquement avec China Renaissance. Ce n'est pas impossible : Cong Lin, le président de China Renaissance et l'un des bras droits de Bao Fan, avait été convoqué par les autorités en septembre 2021 dans le cadre d'une enquête pour corruption. Mais officiellement, il s'agissait de faits qui précédaient l'arrivée de Cong Lin à China Renaissance.

Autre explication : "Xi Jinping peut vouloir envoyer un message à tout le secteur au travers de Bao Fan", estime Marc Lanteigne. Ce serait alors une tentative de reprendre la main. En effet, le président chinois "a connu quelques revers liés à sa politique de 'zero Covid' et il veut remettre tout le monde au pas", conclut cet expert. Cette disparition serait donc un avertissement lancé par le régime, mettant en garde les entrepreneurs contre la tentation de croire qu'ils peuvent tout se permettre au nom de la course à la sacro-sainte croissance.