DIPLOMATIE D'INFLUENCE – Depuis le début de l’année, le président français se montre très actif sur le front diplomatique africain. La France ne veut plus laisser la propagande russe prospérer et entend pour cela renouer ses liens politiques, économiques et sécuritaires avec ses partenaires.
Le président du Tchad Mahamat Idriss Déby et le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, reçus à l’Élysée respectivement les 6 et 7 février, précédés du président de la Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara, le 25 janvier : en ce début d’année 2023, Emmanuel Macron s’active sur le front diplomatique vis-à-vis de l’Afrique. Et ce n’est pas tout : le chef de l’État doit se rendre début mars au Gabon, en République démocratique du Congo (RDC), en Angola et au Congo-Brazzaville.
"L’ours russe a réveillé le coq gaulois", constate le journaliste et écrivain Antoine Glaser, spécialiste de l’Afrique et co-auteur du livre "Le piège africain de Macron" (Fayard, 2021), en référence à la place prise par la Russie, et en particulier par le groupe paramilitaire Wagner, sur le continent africain.
"Lors de son premier mandat, à l’exception du Sahel et de la Côte d’Ivoire, Emmanuel Macron voulait éviter le traditionnel pré carré français en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, poursuit Antoine Glaser. Le début de son second mandat est marqué par un réinvestissement dans les pays qu’il avait jusqu’ici un peu boudés. C’est le retour de la realpolitik pour défendre les intérêts français stricto sensu."
La première tournée africaine du président français après sa réélection – au Cameroun, au Bénin et en Guinée-Bissau en juillet 2022 – a parfaitement illustré cette volonté. Le Cameroun occupe une place stratégique entre l’océan Atlantique et le Tchad, où sont positionnées les troupes françaises dans la région. Or, Yaoundé a signé un accord de coopération militaire avec la Russie en avril 2022. Y voyant une menace pour les intérêts de la France, Emmanuel Macron n’a cessé de dénoncer, dans les trois pays visités, les agissements de la Russie en Ukraine, l’accusant d’être "l’une des dernières puissances impériales coloniales".
"Contrecarrer la propagande russe"
Le but poursuivi est clair : contrecarrer la propagande russe qui dépeind la France comme une puissance coloniale. En 2017, lors de son premier déplacement en Afrique, Emmanuel Macron avait pourtant misé, dans un discours prononcé à Ouagadougou, sur le "soft power" français. C’est le contraire qui s'est produit. Un sentiment anti-français s’est développé dans plusieurs anciennes colonies, comme au Mali, au Burkina Faso, au Niger ou au Sénégal, entraînant des manifestations et, in fine, le départ des troupes françaises du Mali et du Burkina Faso.
Le président français est donc désormais à l’offensive. Dans son discours devant les ambassadeurs français réunis à l’Élysée, le 1er septembre 2022, Emmanuel Macron a exhorté les diplomates à être "plus réactifs" face à la propagande hostile à France sur les réseaux sociaux, distillée par un "narratif russe, chinois ou turc" qui prétend que "la France est un pays qui fait de la néo-colonisation et qui installe son armée" sur le sol de pays africains.
Il s’agit également, pour le chef de l’État français, de redynamiser les liens économiques. Car le constat d’échec est tout aussi frappant dans ce domaine, même si le recul de la France s'est amorcé bien avant l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron. Les parts de marché des entreprises françaises présentes en Afrique sont ainsi passées de 10,6 % en 2002 à 4,4 % en 2021, quand celles des entreprises de chinoises ont, dans le même temps, bondi de 3,8 % à 18,8 %, selon des chiffres rapportés par le magazine Challenges.
La France espère toutefois renforcer à l’avenir sa présence dans les secteurs de l’agriculture, de l’automobile, du transport ferroviaire, de la pharmacie, des télécommunications et de la transition énergétique.
"La France, qui avait une position centrale en Afrique dans la deuxième moitié du XXe siècle, ne s’est pas aperçue au tournant du XXIe siècle que l’Afrique changeait, explique Antoine Glaser. Elle n’a pas vu l’Afrique se mondialiser et a laissé d’autres puissances gagner en influence."
"Le ‘en même temps’ n’a pas fonctionné"
En revenant à une diplomatie africaine plus classique et en misant davantage sur les liens politiques, économiques et sécuritaires, Emmanuel Macron espère rattraper le temps perdu. Au Bénin, en juillet dernier, il parlait ainsi de "partenariat gagnant-gagnant", mettant en avant le soutien de Paris à Porto Novo en matière de sécurité, en particulier pour le renseignement et les équipements.
"Même si Emmanuel Macron ira au Gabon pour le One Forest Summit, ce voyage sera beaucoup plus géostratégique que ce qui est annoncé, estime Antoine Glaser. Les positions de la France sont affaiblies. Le 'en même temps' n’a pas fonctionné. La France veut reprendre sa place, mais ses marges de manœuvre sont très étroites car désormais, les chefs d’État africains ont le monde entier dans leur salle d’attente."
D’autant que cette future tournée africaine ne manquera pas de susciter des critiques. Le Gabon et la RD Congo sont en année électorale. Les oppositions aux présidents Ali Bongo et Félix Tshisekedi pourraient accuser Emmanuel Macron de vouloir apporter, par sa visite, un soutien au président sortant dans chacun de ces deux pays. Et ainsi de vouloir raviver la Françafrique.