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Des scientifiques chinois ont annoncé, mardi, avoir cloné trois “super-vaches”. Elles sont censées produire bien plus de lait que les autres bovins chinois. Une prouesse qui repose sur la même technique que celle utilisée pour cloner Dolly, il y a 25 ans. 

Le clonage pour satisfaire la nouvelle soif de lait des Chinois. Trois “super-vaches” clonées ont vu le jour dans la région autonome de Ningxia peu avant la nouvelle année chinoise, a annoncé le quotidien pro-régime Global Times, mardi 31 janvier.

Quel est le super-pouvoir de ces trois veaux mis au monde par les scientifiques de la Northwest University of Agricultural and Forestry Science and Technology de Xianyang ? Ces trois ruminants sont censés être capables de produire 18 tonnes de lait par an et plus de 100 tonnes sur une vie, s’enthousiasme le Global Times. La production moyenne annuelle d'une vache aux États-Unis tourne autour de 10 tonnes de lait. 

De la brebis Dolly à la "super-vache"

La première de ces vaches à lait a vu le jour le 30 décembre et “ses taches avaient exactement la même forme et taille” que celles de l’animal dont il est censé être le clone, ont affirmé les scientifiques dans un communiqué publié mardi 31 janvier. C’était aussi un bébé d'un gabarit certain : il pesait 56,7 kg à la naissance alors que le poids moyen d’un veau nouveau-né se situent entre 27 et 40 kg

Comme ses “frères” clonés, il a été conçu en utilisant la technique de transfert de noyau de cellules somatiques. “C’est la même méthode qui avait été utilisée pour cloner la brebis Dolly en 1997”, souligne Ramiro Alberio, chercheur en biologie du développement et en médecine vétérinaire à l’université de Nottingham.

Le procédé consiste à “prélever une cellule somatique [n’importe quelle cellule du corps à l’exception de celles d’un embryon, NDLR] d’un animal puis de la réinsérer dans un œuf. Ce dernier peut alors utiliser cet ADN pour créer la nouvelle forme de vie qui est une copie conforme de l’animal d’origine”, explique Ramiro Alberio.

Pour parvenir à ces trois super-vaches laitières, les scientifiques s’y sont pris à plus de 100 fois. Plus exactement, “ils ont créé 120 embryons en laboratoire. Seulement 42 % d’entre eux étaient viables pour être transférés dans des œufs de vaches porteuses. Après 200 jours de gestation, il n’y avait plus que 17 % de ces mères porteuses qui étaient encore enceintes de veaux clonés. Finalement, on sait qu’il y a eu au moins trois naissances, ce qui ferait que l’efficacité de ce clonage s’élève à 2,5 %”, détaille Tatiana Flisikowska, spécialiste de biotechnologie pour les animaux d’élevage à l’université technique de Munich.

C’est un taux de succès faible, mais il y a peut-être encore des vaches qui attendent de mettre bas. “On peut espérer une efficacité comprise en 5 % et 10 % à la fin, ce qui correspondrait à la norme en matière de clonage actuellement”, précise Robin Lovell-Badge, chef du laboratoire de médecine régénérative et de biologie du développement au Francis Crick Institute de Londres.

Sauver des vies ou produire un peu plus de lait

Ce désir de créer des “super-vaches” s'inscrit dans la droite ligne des principaux domaines d’application du clonage dans l’industrie agroalimentaire. “Globalement, l'idée est de cloner les meilleurs animaux, dont la viande est la plus chère, et de l'associer à une modification génétique pour améliorer les rendements”, expliquait en 2021 à France 24 Pascale Chavatte-Palmer, directrice de recherches au sein de l'unité mixte de recherche de biologie du développement et de la reproduction (Breed) à l'Inrae (l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement). 

Concrètement, le clonage a été utilisé “pour créer des lignées de taureaux sans corne, des cochons qui seraient résistants à la fièvre porcine ou encore des volailles immunisées contre la grippe aviaire”, énumère Robin Lovell-Badge. Il a aussi servi à “des fins biomédicales comme, par exemple, en créant des cochons dont les organes ne seront pas rejetés par l’homme en cas de greffe”, note Ramiro Alberio. Des xénogreffes - notamment de cœur de cochon vers l’homme - ont déjà été couronnées de succès. 

Tous ces exemples de clonage ont en commun d’avoir des effets durables et importants. Pas étonnant car il faut que le jeu en vaille la chandelle : le clonage reste aléatoire - avec un taux de succès faible - et très cher. “En 2009, cloner une vache coûtait entre 15 000 euros et 20 000 euros. Je ne crois pas que les prix ont beaucoup baissé depuis”, souligne Tatiana Flisikowska. En d'autres termes, autant l'utiliser pour sauver des vies ou tenter de protéger des espèces entières menacées par une épidémie.

Dans ce contexte, chercher à cloner des vaches pour produire un peu plus de lait peut sembler futile. D’autant que certaines races européennes ont déjà des rendements très élevés dépassant aisément les 10 tonnes par an.

Des vaches Holstein-Friesian 100 % chinoises

Mais ce serait ignorer la dimension politique et patriotique de ces “super-vaches”. L’objectif avoué est de mettre au point une race chinoise de vache laitière afin de satisfaire “une classe moyenne toujours plus importante et friande de produits laitiers”, assure le Global Times. Autrement dit, les Chinois veulent toujours plus de fromage et de beurre, mais les vaches chinoises de souche ne donnent pas suffisamment de lait pour étancher cette nouvelle soif.

“La Chine dépend à 70 % des importations de vaches pour ses produits laitiers”, soulignent les scientifiques qui ont cloné les trois “super-veaux”. Plus précisément, la Chine achète beaucoup de vaches de la race Holstein-Friesian. “Ce sont les plus communes en Europe, celles avec les taches noires qui ont été élevées pendant des siècles pour donner le plus de lait possible”, note Ramiro Alberio.

Clonage : la Chine veut ses propres "super-vaches" laitières

À en croire le Global Times, “certains pays ont commencé à interdire la vente de Holstein-Friesian à la Chine, tandis que d’autres ne peuvent tout simplement pas suivre la demande chinoise”. 

Les trois super-vaches seraient donc les premières représentantes d’une lignée chinoise de Holstein-Friesian qui, à terme, doit assurer l’indépendance laitière de la Chine.

Sauf que l’on ne crée pas une nouvelle race de vaches comme ça. Si le but est de créer une armée de vaches Holstein-Friesian clonées qui se reproduiraient ensuite entre elles, “on va vite avoir un problème de pauvreté du bagage génétique qui pourrait être fatal à toute la lignée”, note Robin Lovell-Badge. En effet, toutes les vaches clonées sont identiques et vont transmettre les mêmes gènes à leur progéniture. Ainsi, “s’il y a un changement environnemental qui affecte l’une d’entre elles, elles vont toutes en pâtir de la même manière”, précise Ramiro Alberio. Ainsi un seul virus pourra décimer toute la lignée de vaches clonées.

Le grand projet d’une lignée chinoise de Holstein-Friesian n’est pas, pour autant, voué à l’échec. Il suffit d’être un peu malin, assure Robin Lovell-Badge. Les vaches clonées peuvent ensuite être croisées avec d’autres lignées proches mais distinctes, afin d’apporter un peu de diversité génétique. Grâce à quelques manipulations génétiques supplémentaires, il devrait ensuite être possible de s’assurer que le gène qui garantit une productivité laitière élevée deviennent un trait de famille partagé par tous. Mais cela ne se fera pas en une génération. En attendant, les Chinois pourront avoir le beurre et l’argent du beurre, mais devront se contenter d’une vache importée pour le produire.