logo

Réforme des retraites : à Paris, des manifestantes révoltées et déterminées

Lors de la deuxième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, mardi, 87 000 personnes ont manifesté à Paris selon la police, 500 000 selon la CGT. Parmi elles, de nombreuses femmes, qui ont appris qu'elles risquaient d'être davantage pénalisées que les hommes en cas de départ à la retraite à 64 ans. France 24 est allée à leur rencontre.

Pour la deuxième journée de mobilisation contre la réforme des retraites, mardi 31 janvier, 2,8 millions de personnes ont manifesté en France, dont 500 000 à Paris, selon la CGT, alors que la police évoque 1,2 million de manifestants dans le pays et 87 000 dans la capitale. 

Au-delà des chiffres, le nouvel appel à la grève et à la manifestation lancé par l'intersyndicale a été particulièrement suivi. Dans le cortège parisien, jeune et dynamique, de nombreuses femmes ont défilé, après avoir appris dans l'étude d'impact diffusée par le gouvernement que le décalage de l'âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans risquait de les pénaliser particulièrement. 

France 24 a recueilli les témoignages de plusieurs manifestantes, de tous âges et de toutes professions.

Et bien, si c'est comme ça, ne faisons plus d'enfants ! 

  • Nathalie, 57 ans, cadre dans la fonction publique territoriale

Réforme des retraites : à Paris, des manifestantes révoltées et déterminées

"J'ai décidé de venir manifester parce que j'ai commencé le travail très tôt, à 17 ans et demi. J'ai commencé comme agent et j'ai eu la chance de pouvoir monter tout au long de ma carrière.

Avec cette réforme, je vais devoir travailler jusqu'à plus de 63 ans, au lieu de 62. Et sincèrement, quand on a commencé à 17 ans, on fatigue. J'ai eu deux enfants, et la réforme va participer à annuler la prise en compte des congés maternité. Ça, ça me révolte encore plus. Puisque c'est comme ça, d'accord, et bien, ne faisons plus d'enfants !

C'est encore une fois l'inégalité au travail, alors qu'on sait déjà que les femmes touchent moins en salaire… Avoir des enfants, ce n'est pas rien. Certes, ce n'est pas un travail, on le fait pour soi, mais le monde continue à tourner grâce aux enfants qu'on met au monde, grâce aux jeunes qui arrivent à la suite. C'est révoltant.

Cette réforme n'a pas de sens, elle ne va pas rapporter plus d'argent. Ce n'est pas vrai. Il y a deux jours, un de mes collègues est parti à la retraite. On vient d'apprendre qu'il a un cancer de la prostate. Voilà, il a 64 ans. C'est bouleversant."

 Je n'ai pas envie de voir ma mère mourir au travail
  • Emma, 18 ans, animatrice en centre de loisirs 

Réforme des retraites : à Paris, des manifestantes révoltées et déterminées

"J'ai passé mon bac l'année dernière. Je n'ai pas à me plaindre, c'est ma première année de travail, mais je vois chaque jour à quel point mes parents galèrent, et à quel point c'est dur pour eux de travailler dans les métiers qu'ils font.

Ma mère est Atsem [assistante technique et éducative en maternelle, NDLR] et a beaucoup de problèmes de dos. Elle a 51 ans, je la vois souffrir chaque jour et je n'ai pas envie de la voir mourir au travail. Elle n'a pas pu se déplacer aujourd'hui à cause de ses problèmes de dos justement, alors je suis aussi là pour elle. Les femmes sont pénalisées par la réforme, et c'est particulièrement injuste. On me dit : 'il faut arrêter avec le féminisme, c'est bon, vous avez les mêmes droits que nous', mais ce n'est pas vrai. Le patriarcat est toujours présent. 

C'est injuste, on voit les gens souffrir, et on ne peut pas les laisser dans de tels états. Il faut se battre. J'espère avoir une retraite, je vis peut-être dans un monde de bisounours mais j'ai toujours espoir, et je pense que je me battrai toujours pour les choses en lesquelles je crois."

Si on rattrapait les inégalités de salaires entre les hommes et les femmes, on pourrait compenser ce qu'il manque pour les retraites 
  • Leslie, 38 ans, technicienne réseau eau potable chez Véolia

Réforme des retraites : à Paris, des manifestantes révoltées et déterminées

"Macron veut nous faire travailler jusqu'à 64 ans, et c'est inadmissible. Aujourd'hui, si on rattrapait les inégalités de salaires entre les hommes et les femmes, les cotisations pourraient compenser ce qu'il pourrait manquer dans les caisses de retraites. Donc, en rattrapant des inégalités on pourrait nous éviter de bosser jusqu'à 64 ans. Et quand on regarde les chiffres, seuls 7 % des travailleurs sont d'accord avec la réforme. Ce n'est pas légitime.

Emmanuel Macron a été élu deux fois contre Marine Le Pen, à un moment donné, il faut aussi qu'il se remette en question. Il faut que cela s'arrête à un moment donné ! On n'est pas là pour bosser jusqu'à en crever."

C'est la troisième manifestation de toute ma vie, mais je vais continuer, la semaine prochaine, celle d'après… Jusqu'à ce que cela plie
  • Jeanne, 26 ans, maîtresse d'école

Réforme des retraites : à Paris, des manifestantes révoltées et déterminées

"Avec mes collègues, on s'est mis d'accord pour manifester parce qu'on ne veut pas faire classe jusqu'à 64 ans. C'est impossible de travailler à 64 ans comme professeure des écoles, l'énergie que cela demande !

Si la réforme passe, je changerai de métier au bout d'un moment, je ne me vois pas faire ça aussi longtemps. On a beaucoup de choses à gérer, on est tout le temps en train d'y penser… Les corrections, la gestion des élèves difficiles, les rendez-vous avec les parents… Il y a énormément de choses à faire. Ça ne peut pas être notre vie jusqu'à 64 ans. C'est énorme comme temps de travail, et même si on dit souvent "qu'on a les vacances", ce n'est pas suffisant.

Je ne veux pas non plus que les autres métiers cotisent pendant 43 ans. Le gouvernement dit que la réforme va aider les femmes aux carrières fractionnées, mais ils disent aussi que cela va nous pénaliser, et non, pour toutes les femmes, ce n'est pas possible. S'ils amélioraient la réforme pour nous aligner, pour une fois, sur les hommes, ce serait une bonne chose, mais cela ne suffirait pas. La réforme restera injuste. Je ne vais quasiment jamais manifester, c'est la troisième manifestation de toute ma vie, mais je vais continuer, la semaine prochaine, celle d'après… Jusqu'à ce que cela plie. On va tout essayer, j'espère que cela va marcher."

Comme pour tout, c'est plus compliqué pour les femmes
  • Sarah*, 34 ans, aide-soignante aux urgences de l'AP-HP

Réforme des retraites : à Paris, des manifestantes révoltées et déterminées

"Je suis là parce qu'on ne pourra pas travailler jusqu'à la fin des temps. Mon métier est épuisant, je travaille de 19 heures à 7 heures du matin, on traite 180 patients en une nuit pour une vingtaine de soignants. Je n'envisage pas de travailler jusqu'à 64 ans. Cela me paraît lointain, mais surtout, ça me paraît impossible que cela continue comme ça.

À lire : Réforme des retraites : qui sont les gagnants et les perdants ?

Je veux aussi défendre les droits de mon fils, qui n'a que 12 ans. J'aimerais bien qu'il puisse avoir une retraite un jour, lui aussi. Je suis inquiète pour mon enfant. Et en tant que mère, je m'arrête quand il est malade, quand il y a un problème. Comme pour tout, c'est plus compliqué pour les femmes. On sera payées un peu moins, on devra travailler un peu plus… Tout est à refaire. Concrètement, pour les femmes, tout est à refaire."

* Le prénom a été modifiée à la demande de l'intéressée

Je ne me vois pas travailler à 64 ans sous des canicules
  • Manon, 26 ans, urbaniste dans un bureau d'études pour l'environnement

Réforme des retraites : à Paris, des manifestantes révoltées et déterminées

"Je suis là aujourd'hui parce que je ne me vois pas travailler à 64 ans sous des canicules. La retraite, ça me semble très loin, par contre mon avenir, je le vois en termes de confort de vie. Et travailler de plus en plus tard, alors qu'on sait déjà que cela va être très dur de vivre sous des températures élevées, même pour des personnes de trente ou quarante ans, cela me paraît injustifiable. On a déjà des milliers de morts pendant les canicules, et ce sont des personnes âgées. Plus on vieillit, plus on est vulnérables aux fortes chaleurs. Alors, nous faire travailler plus tard, sans adapter les conditions de vie ou de travail… 

Dans mon métier, je vois comment la ville va être touchée par la chaleur l'été, et ce n'est pas vivable. Le gouvernement ne fait pas assez pour limiter la hausse des températures, il ne fait pas assez non plus pour adapter les villes. On voit déjà que les logements ne sont pas adaptés, que les hôpitaux n'ont plus d'argent pour recevoir des personnes en difficulté… Le système n'est pas capable d'être résilient face à cette menace. C'est une réforme injuste, qui va avec tout ce que fait Macron depuis le début, et qui ne va pas dans le bon sens pour que la société avance."

Le gouvernement fait plein de cadeaux aux riches, et continue à taper sur les mêmes 
  • Anne-Julie, 43 ans, fonctionnaire

Réforme des retraites : à Paris, des manifestantes révoltées et déterminées

"Cette réforme est injustifiée et injustifiable. Le déficit ne la justifie pas, il y a d'autres façons de récupérer de l'argent. Surtout que ce seront les précaires et les femmes qui seront plus particulièrement touchés, alors que ce sont déjà ces personnes-là qui galèrent, en fait, au quotidien et pendant toute leur vie. Je ne comprends pas. Le gouvernement fait plein de cadeaux aux riches et continue à taper sur les mêmes. Moi, j'ai la chance de ne pas avoir de parcours coupé, mais je pense à toutes les personnes qui sont dans ce cas-là, et qui vont avoir des retraites ridicules. C'est aussi pour ça que je suis là.

C'est tout bénef pour le gouvernement d'avoir des retraitées mortes, puisque la personne aura cotisé toute sa vie et qu'elle ne touchera rien : 23 % des travailleurs pauvres ne vivent pas au-delà de 64 ans, contre uniquement 5 % chez les plus riches. L'inégalité est déjà là, et on va l'accentuer encore plus. C'est scandaleux. Il faut le retrait pur et simple de cette réforme."

« Il faut faire pression sur les députés de la majorité, écrire et aller les voir dans leurs circonscriptions pour leur expliquer à quel point cette réforme est triste et à quel point nous y sommes opposés »
Manu et Joanna pic.twitter.com/BP66QlT4EV

— Lou Roméo (@RomoLou1) January 31, 2023