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Le blindé Puma, symbole des ambitions contrariées de l'armée allemande

L’armée allemande se retrouve confrontée à une nouvelle déconvenue : le char de combat Puma, qui est censé faire sa fierté, ne serait toujours pas opérationnel plus de 20 ans après avoir été commandé. Pourtant, Berlin avait assuré pouvoir en fournir à l’Otan dès le 1er janvier 2023. 

Ce devait être un moment charnière pour une Allemagne plus confiante dans ses capacités militaires. Le 1er janvier 2023, Berlin succédera à la France à la tête de la Force de réaction rapide de l’Otan, une unité qui doit pouvoir intervenir sur n’importe quel théâtre d’opération en deux ou trois jours. Et l’Allemagne comptait en profiter pour faire étalage de son savoir-faire technologique en emmenant dans ses bagages le nec plus ultra des chars de combat : son véhicule blindé d’infanterie Puma.

Sauf qu’à quelques jours de cette passation de pouvoir, décision a été prise de laisser l’engin au garage. La ministre allemande de la Défense, Christine Lambrecht, a ainsi déclaré, lundi 19 décembre, qu’à la place des Puma, le contingent allemand comprendra des blindés Marder, utilisés depuis plus de 50 ans.

Dix-huit chars sur 18 défaillants

C’est que la Bundeswehr – l'armée allemande – venait de connaître un sérieux couac, révélé samedi par le magazine Der Spiegel. Les militaires avaient décidé, un peu plus tôt, de procéder à un exercice de tir pour 18 des chars Puma qui devaient être mis à disposition de l’Otan, et ils se sont aperçus que tous les véhicules étaient défaillants.

La nature du problème n’a pas été révélée par le ministère de la Défense, qui s’est contenté de préciser, lundi, avoir demandé une enquête approfondie pour connaître les tenants et aboutissants de cet épisode “particulièrement embarrassant pour l’Allemagne”, pour reprendre le titre d’un éditorial du quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung

Depuis le début de la guerre en Ukraine, Berlin s’est en effet engagé dans un vaste chantier de modernisation de son armée afin de prouver que le pays - longtemps abonné à un positionnement pacifiste - était à la hauteur des enjeux sécuritaires du moment. Pour y parvenir, le Parlement a approuvé, en juin, une enveloppe de 100 milliards d’euros, voyant dans le char Puma un exemple de la transformation de la Bundeswehr. “C’est un cauchemar. Si le Puma n’est pas opérationnel, c’est toute l’armée qui ne l’est pas car ce blindé est censé être notre arme principale”, a déploré Johann Wadephul, député de la CDU (l'Union chrétienne-démocrate, conservatrice), interrogé par la première chaîne allemande ARD.

La "Rolls" des véhicules blindés d'infanterie

Car, sur le papier, ce véhicule blindé d’infanterie est “la Rolls dans sa catégorie et je ne peux pas m’imaginer un seul pays qui n’en voudrait pas pour son armée”, assure Alexandre Vautravers, expert en sécurité et en armement, également rédacteur en chef de la Revue militaire suisse (RMS).

L’Allemagne a décidé, en 2002, d’intégrer le Puma à son arsenal, et c’est un véhicule qui “a une vingtaine d’années d’avance sur les alternatives dont disposent les autres pays”, résume l’expert suisse. Il est non seulement très rapide, doté d’une puissance et d’une cadence de feu importantes, mais c’est aussi un véhicule truffé d’électronique et d’informatique – des chenilles à la tourelle.

L’un de ses grands avantages sur d’autres véhicules blindés, rappelé à longueur d’articles dans la presse allemande, réside dans son système de communication embarqué qui lui permet d’être relié en permanence aux unités évoluant alentours pour leur transmettre, en temps réel, toutes les informations sur les positions des cibles ennemies. Un dispositif qui fait, en théorie, du Puma “l’élément central du concept d’infanterie du futur développé par l’armée allemande”, souligne l’émission d’information Tagesschau de l’ARD.

Mais ce futur n’en finit pas d’être repoussé à plus tard. Les récents déboires du Puma sont loin d’être les premières déconvenues de ce programme militaire. Il a subi tellement de retards, de couacs et de dépassements de budget que ce blindé a gagné le surnom de “Pannen-Panzer” en Allemagne (le "panzer à pannes").

Ce n’est qu’en 2021, soit 19 ans après la première et unique commande de 350 Puma passée par l’armée aux industriels Rheinmetall et Krauss-Maffei Wegmann, que ce char a été déclaré opérationnel. Entre-temps, Berlin a dû reconnaître au fil des années des soucis avec : le système informatique, les logiciels embarqués, la visibilité, le poids… et l’étanchéité. En effet, en 2015, lors de la livraison des premiers prototypes à l’armée, les militaires se rendent rapidement compte que la pluie traverse la trappe fermée. Loin d’être idéal pour un véhicule qui repose autant sur l’électronique embarquée.

Le Panthère ? Le Hérisson ou le Puma ?

Pour le quotidien Süddeutsche Zeitung, l’accouchement en douleur de ce Puma se révèle “symptomatique des dysfonctionnements du système d’acquisition des armements”. Les programmes de développement se perdent dans des procédures administratives et politiques interminables et compliquées”, précise Alexandre Vautravers.  

Un projet comme le Puma peut ainsi être retoqué et modifié un nombre incalculable de fois. Et le diable se niche parfois dans les détails les plus inattendus. Ainsi, en 2002, le futur char devait s’appeler "Panthère"… avant que le ministère de la Défense ne se rende compte que ce nom avait déjà été utilisé par les nazis pour l’un de leurs blindés. Il avait alors proposé le nom de "Hérisson", abandonné lui aussi après de longs débats car Berlin ne trouvait pas judicieux de donner à un véhicule de combat le nom d’un animal “qui passe une partie de l’année à hiberner”, raconte la Süddeutsche Zeitung.

À l’issue de cette longue procédure, il n’y a peut-être qu’une poignée d’ingénieurs qui savent comment assembler correctement le véhicule. "Aujourd’hui, seul un petit nombre de ces blindés sont produits, de manière artisanale. Sur le plan logistique, les ateliers et les stocks de pièces de rechange ainsi que le personnel technique sont en nombre insuffisant et il est difficile de maintenir ces véhicules en état de fonctionner. Contrairement à des systèmes plus anciens [comme le Marder, NDLR] développés et achetés en grand nombre durant la guerre froide et pour lesquels il reste encore des stocks de pièces importants, ainsi qu’une réserve de savoir-faire", souligne Alexandre Vautravers.

Jusqu’à présent, ces dysfonctionnements demeuraient des problèmes germano-germains. Mais cette fois-ci, ce nouveau couac risque aussi de desservir l'Ukraine. Kiev avait en effet demandé à Berlin de lui livrer quelques-uns de ses anciens chars Marder, puisque le Puma était officiellement opérationnel depuis 2021. Mais dorénavant, l’Allemagne “va probablement préférer garder ses Marder”, assure la Süddeutsche Zeitung. Histoire de ne pas se retrouver avec de très impressionnants Puma de papier.