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Mort de Mahsa Amini : retour sur trois mois de manifestations et de répression en Iran

Depuis trois mois, le visage de Mahsa Amini, morte le 16 septembre en détention après avoir été arrêtée par la police des mœurs pour avoir enfreint le code vestimentaire strict de la République islamique, continue de porter la révolte de milliers d'Iraniens. Les manifestations se poursuivent aux quatre coins du pays malgré une répression de plus en plus forte. Retour sur trois mois de colère.

Mort de Mahsa Amini : retour sur trois mois de manifestations et de répression en Iran

En visite à Téhéran, Mahsa Amini, une jeune Kurde iranienne âgée de 22 ans, meurt en garde à vue, trois jours après son arrestation par la police des mœurs iranienne pour avoir porté une "tenue inappropriée".

Mort de Mahsa Amini : retour sur trois mois de manifestations et de répression en Iran

Selon la police, la jeune femme a été "prise subitement d'un problème cardiaque". L'ONG Amnesty International exhorte à traduire en justice les responsables de son décès jugé "suspect". Des militants assurent qu'elle a reçu un coup mortel à la tête.

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La police assure, elle, qu'il n'y a "pas eu de contact physique" avec la jeune femme. La télévision d'État diffuse des extraits d'une vidéo filmée au commissariat pour appuyer cette version.

Mais peu à peu, les manifestations se multiplient dans tout le pays. D’abord à Saqqez, au Kurdistan iranien, d’où est originaire Mahsa Amini, puis à Téhéran et dans une trentaine de villes. Des femmes brûlent leur voile en public, des affrontements ont lieu avec les forces de l’ordre, faisant plusieurs morts et entraînant de nombreuses arrestations.

Mort de Mahsa Amini : retour sur trois mois de manifestations et de répression en Iran
Mort de Mahsa Amini : retour sur trois mois de manifestations et de répression en Iran

De nombreuses personnalités en Iran et à l’étranger commencent à exprimer leur colère sur les réseaux sociaux. En réaction, les autorités bloquent l'accès à Instagram et à WhatsApp, applications très utilisées en Iran, et accusent les États-Unis et les ennemis de l’Iran de fomenter des troubles dans le pays. Mais les manifestants iraniens font preuve d’une audace nouvelle, comme en témoignent de nombreuses vidéos analysées par l'équipe des Observateurs de France 24.

Washington annonce des sanctions économiques visant la police des mœurs et plusieurs responsables de la sécurité. Les manifestations se poursuivent à un rythme quotidien. Pour Bahar Makooi, journaliste à France 24, "la répression de la police des mœurs s’est accrue avec l’arrivée au pouvoir de l’ultraconservateur Ebrahim Raïssi. Acculée par la crise économique, la population iranienne, prise en étau, exprime sa colère dans la rue."

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À l'appel des autorités, des milliers de personnes défilent le 23 septembre pour défendre le port du voile. À la télévision, le président Ebrahim Raïssi appelle les forces de l'ordre à agir "fermement" contre les manifestants et le chef du pouvoir judiciaire menace de ne faire preuve d'"aucune indulgence". "Comme en 2009, face au 'mouvement vert' contre la fraude électorale, ou lors des gigantesques manifestations antigouvernementales de 2017 et de 2019 (...), le pouvoir iranien semble déterminé à tuer dans l’œuf toute contestation qui le remet en question", écrit Marc Daou, journaliste à France 24.

Le 26, les autorités indiquent avoir interpellé plus de 1 200 personnes qualifiées d'"émeutières", dont des militants, des avocats et des journalistes, d'après des ONG. Les autorités annoncent l'arrestation de plusieurs étrangers en lien selon elles avec la contestation.

Le 27, ce sont les joueurs de l'équipe nationale de football qui manifestent leur solidarité avec les victimes des manifestations.

Le 28, la famille de Mahsa Amini porte plainte contre les "auteurs de son arrestation". La province du Kurdistan, dont la famille est originaire, se retrouve plus que jamais sous pression.

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À Téhéran, à l'université de technologie Sharif – l’équivalent de Polytechnique en France –, quelque 200 étudiants scandent des slogans hostiles au système religieux de la République islamique, ainsi que "Femme, vie, liberté" ou "Les étudiants préfèrent la mort à l'humiliation". La police antiémeute intervient violemment et ferme l’université.

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Malgré la répression, des rassemblements de protestation se poursuivent dans plusieurs universités iraniennes, notamment à Ispahan, à Mashhad et à Babol, rapporte Ershad Alijani, journaliste des Observateurs de France 24.

Despite yesterday's brutal crackdown on students at Sharif University by Basij forces, protests at universities in Iran continue in several cities.⬇️ Isfahan University
video:@mamlekate #MahsaAmini pic.twitter.com/gibHl2it1A

— ERSHAD ALIJANI (@ErshadAlijani) October 3, 2022
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D’Istanbul à Paris, un peu partout dans le monde, des manifestations se multiplient en soutien aux femmes iraniennes et contre la répression des manifestants.

En France, les féministes expriment leur soutien et critiquent la prudence du gouvernement français.

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À Téhéran, les autorités maintiennent leur version en publiant le 7 octobre un rapport médical officiel affirmant que la mort de Mahsa Amini est liée à une tumeur cérébrale et n'a pas été causée par des coups.

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Après un mois de manifestations et de répression, la contestation du régime des mollahs se poursuit. Si l’obligation de porter le voile est au cœur du mouvement, celui-ci rallie désormais des travailleurs du secteur industriel. Des vidéos partagées par des médias en persan basés à l'extérieur d'Iran montrent des ouvriers brûlant des pneus devant l'usine pétrochimique d'Asalouyeh, dans le sud-est du pays. D'autres grèves sont observées dans des usines à Abadan (ouest) et à Kengan (sud), selon l'organisation Iran Human Rights (IHR).

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Au moins 108 personnes ont été tuées en Iran dans la répression des manifestations déclenchées il y a près d'un mois par la mort de Mahsa Amini, a indiqué mercredi 12 octobre cette ONG. Le guide suprême de l'Iran, l'ayatollah Ali Khamenei, a réaffirmé de son côté que des "ennemis" étaient impliqués dans les émeutes, pointant à nouveau du doigt des "agents de l’étranger".

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Dans la nuit du 16 au 17 octobre, la grimpeuse Elnaz Rekabi, 33 ans, apparaît avec un simple foulard noué autour de la tête, et non avec le traditionnel hijab, au championnat d'Asie d'escalade, organisé en Corée du Sud. Une infraction claire aux règles vestimentaires de la République islamique d'Iran qui imposent le port du hijab à toutes les athlètes féminines, même à l'étranger. Immédiatement, l'image fait le tour du monde et, sur les réseaux sociaux, des dizaines de partisans du mouvement saluent une "héroïne". 

Dans les heures qui suivent, alors que l'athlète ne donne plus signe de vie, l'inquiétude grandit autour des conséquences de son geste. Elnaz Rekabi poste finalement un message sur Instagram dans lequel elle s'excuse pour les "préoccupations" causées et insiste sur le fait que son apparition tête nue n'était "pas intentionnelle".   

"Je suis membre de la Fédération iranienne d’escalade depuis vingt ans. Je m’excuse pour l’inquiétude que j’ai causée par rapport à la situation (en Iran). Durant la finale du championnat asiatique, il y a eu une erreur de programmation : ils m’ont appelée au dernier moment pour escalader le mur. Il y avait une erreur dans ma façon de m’habiller. Je rentre en Iran comme prévu", explique-t-elle. Depuis, le doute subsiste pour savoir si l'athlète a écrit ce texte de manière libre, voire si c'est bien elle qui l'a posté.

Mort de Mahsa Amini : retour sur trois mois de manifestations et de répression en Iran

Quarante jours après la mort de Mahsa Amini, moment qui marque traditionnellement la fin de la période de deuil en Iran, des milliers de personnes se rassemblent sur la tombe de la jeune femme, dans le cimetière de la ville de Saqqez, au Kurdistan – sa province d'origine. Pourtant, les autorités iraniennes ont tenté d'éviter toute cérémonie, allant jusqu'à menacer les parents de Mahsa Amini s'ils organisaient une commémoration, selon des militants. 

Quelques heures avant ce rassemblement, la justice iranienne avait aussi annoncé avoir officiellement inculpé plus de 300 personnes, portant alors à plus de 1 000 le nombre d'individus poursuivis pour avoir participé à des manifestations dans le pays. 

Mort de Mahsa Amini : retour sur trois mois de manifestations et de répression en Iran
Mort de Mahsa Amini : retour sur trois mois de manifestations et de répression en Iran

Au fil des semaines, de nombreuses célébrités s'engagent aux côtés des manifestants. Parmi elles, la célèbre actrice Taraneh Alidoosti, connue notamment pour son rôle dans "The Salesman" – Oscar du meilleur film en langue étrangère, en 2017.

Forte de 8 millions d'abonnés sur Instagram, elle publie un portrait d'elle affichant sa longue chevelure brune à l'air libre et tenant une pancarte sur laquelle on peut lire ""femme, vie, liberté", le slogan des protestataires, en langue kurde – la langue maternelle de Mahsa Amini.

Ce n'est pas la première fois que Taraneh Alidoosti défie ouvertement le régime iranien. Dès le jour de la mort de Mahsa Amini, le 16 septembre, elle avait indiqué que la jeune femme était morte "sans avoir fait quoi que ce soit". L’actrice a aussi publié un court poème, toujours en kurde : "Votre dernière absence, la migration des oiseaux chanteurs, n’est pas la fin de cette rébellion."

Mort de Mahsa Amini : retour sur trois mois de manifestations et de répression en Iran

Pour la première fois, une personne accusée d'avoir participé aux "émeutes" est condamnée à mort par un tribunal de Téhéran, annoncent les autorités judiciaires iraniennes. Ce dernier est présenté comme "un ennemi de Dieu" et coupable de "corruption sur Terre". "Deux concepts très vagues qui laissent une très grande marge de manœuvre aux juges. Considérés comme des lois d'exception, ils permettent de condamner à mort dans des procès expéditifs à huis clos, en privant les accusés d'avocat ou de témoins", expliquait récemment à France 24 l'avocat franco-iranien, Hirbod Dehghani-Azar.

Quelques jours avant cette condamnation, le 7 novembre, 227 des 290 députés qui composent le Parlement iranien avaient réclamé que la justice applique une sévère répression aux mouvements de contestation en usant de la loi du talion contre ces "ennemis de Dieu".

Mort de Mahsa Amini : retour sur trois mois de manifestations et de répression en Iran

Lors de leur premier match de la Coupe du monde de football, face à l'Angleterre, tous les yeux sont rivés sur les joueurs de la Tim-e-Melli, avec une question : vont-ils afficher leur soutien aux manifestations ? La sélection nationale exprime finalement un soutien tacite aux protestations dans son pays. Peu avant le coup d'envoi, les onze joueurs iraniens présents sur la pelouse du stade Khalifa s'abstiennent de chanter leur hymne national, le visage totalement impassible. Au même moment, dans les tribunes, des supporters iraniens brandissent des pancartes "femmes, vie, liberté". Celle-ci sont rapidement retirées. La sélection entonnera finalement l'hymne national dès son deuxième match, quatre jours plus tard, contre le Pays de Galles. 

Mort de Mahsa Amini : retour sur trois mois de manifestations et de répression en Iran

Jusqu'à l'élimination du pays de la compétition, le mouvement de contestation qui secoue l'Iran provoque par ailleurs de vives tensions entre supporters, constate à Doha notre envoyé spécial Romain Houeix. Alors que certains veulent utiliser le Mondial-2022 pour protester, d'autres – pro-régime – assurent que ces manifestations n'ont pas leur place au Qatar. 

Le 30 novembre, des échauffourées éclatent entre supporters iraniens après la défaite du pays face aux États-Unis. Plusieurs d'entre eux arborant des t-shirts faisant référence à la liberté des femmes affirment avoir été agressés par des militants pro-gouvernement, et certains ont été blessés. 

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L'annonce provoque la surprise. Le 3 décembre, le procureur général iranien Mohammad Jafar Montazeri assure, via l'agence de presse officielle Isna, que la police des mœurs, à l'origine de l'arrestation de Mahsa Amini, est abolie.

Si la déclaration est d'abord perçue comme un recul du régime face aux manifestations, les spécialistes de l'Iran appellent à la prudence, y voyant plutôt une tentative de diversion de la part du pouvoir à la veille d'un appel à une nouvelle grève nationale de trois jours.

"La police des mœurs n’a pas été abolie en Iran", note alors l’historien spécialiste de l’Iran Jonathan Piron. "Les propos du procureur général étaient ambigus, ils ont été mal interprétés. L’obligation de porter le voile en Iran n’est pas remise en question par les autorités et le pouvoir ne fait aucune concession à ce sujet, il poursuit sa logique répressive."

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Certaines organisations de jeunes avaient appelé à la transformer en une "Journée de terreur pour l'État". Le 7 décembre, à l'occasion de la Journée de l'étudiant, qui commémore la mort de trois étudiants tués par les forces de sécurité du chah d'Iran, en 1983, des étudiants descendent de nouveau dans les rues pour protester après la mort de Mahsa Amini. Toute la journée, ils défilent et scandent des slogans contre le régime dans plusieurs villes du pays, parfois malgré une forte présence des forces de sécurité. "Tremblez, tremblez, nous sommes tous ensemble", clament par exemple des manifestants à l’Université de technologie Amirkabir de Téhéran, dans une vidéo publiée par le média en ligne 1500tasvir. 

À cette occasion, le président ultraconservateur Ebrahim Raïssi se rend sur un campus à Téhéran. Devant une foule visiblement triée sur le volet, il salue l'attitude des "étudiants perspicaces qui n'ont pas permis qu'il y ait à l'université une atmosphère d'émeute". 

Cette journée de mobilisation intervient en pleine grève nationale de trois jours. En parallèle de la mobilisation estudiantine, des magasins restent portes closes dans une cinquantaine de villes aux quatre coins du pays. 

Mort de Mahsa Amini : retour sur trois mois de manifestations et de répression en Iran

La répression franchit un nouveau cap en Iran. À l'aube, Mohsen Shekari, un manifestant de 23 ans, est pendu dans une prison de Téhéran dans le plus grand secret. Il est le premier condamné exécuté depuis le début du mouvement de contestation, accusé d'avoir poignardé et blessé un paramilitaire. 

Les ONG de défense des droits humains tirent immédiatement la sonnette d'alarme, craignant des exécutions de masse alors que l'Iran exécute davantage de condamnés que n'importe quel autre pays – excepté la Chine –, selon Amnesty International. Plus de 500 personnes y ont été exécutées en 2022, d'après l'ONG Iran Human Rights, basée en Norvège.

Quatre jours plus tard, le 12 décembre, les autorités judiciaires annoncent une deuxième exécution, cette fois-ci publiquement. Majid Reza Rahnavard, 23 ans, est pendu à l'aube, 23 jours seulement après son arrestation. D'après les médias officiels, il était accusé d'avoir tué à l'arme blanche deux membres des forces de sécurité et d'avoir blessé quatre autres personnes. 

"Cette mise à mort se veut une illustration brutale que le régime est prêt à tuer et il veut le faire savoir", réagit alors auprès de France 24 Mahmood Amiry-Moghaddam, directeur de l'ONG Iran Human Rights (IHR).

Au total, 27 individus se trouvent dans le couloir de la mort en lien avec les manifestations, selon un décompte effectué par Amnesty international. Au moins 458 personnes ont, par ailleurs, été tuées dans la répression des manifestations, selon un bilan établi par IHR, et au moins 14 000 ont été arrêtées d'après l'ONU.