Emmanuel Abayisenga s'est accusé, lundi, d'être responsable du meurtre du prêtre Olivier Maire en Vendée. Déjà connu pour avoir avoué être à l'origine de l'incendie de la cathédrale de Nantes en juillet 2020, ce rwandais semble en proie à de graves troubles psychologiques.
Lundi 9 août, Emmanuel Abayisenga se présente à la gendarmerie de Saint-Laurent-sur-Sèvre, en Vendée, pour s'accuser du meurtre du prêtre Olivier Maire. Cet homme, âgé de 40 ans et d'origine rwandaise, n'est pas inconnu de la justice : en juillet 2020, il avait déjà avoué être responsable de l'incendie de la cathédrale de Nantes.
Le suspect a été immédiatement placé en garde à vue avant que celle-ci ne soit levée, lundi soir, pour "incompatibilité avec son état de santé". Dans la foulée, il a été interné d'office en psychiatrie.
Alors qu'une enquête a été ouverte pour "homicide volontaire" et confiée au parquet de La Roche-sur-Yon, le profil du suspect se précise peu à peu. Les premiers éléments, issus de l'enquête sur l'incendie de la cathédrale de Nantes, laissent à voir un fervent catholique, marqué par le génocide au Rwanda et en proie à de graves troubles psychologiques.
Dans la communauté des Montfortains de Saint-Laurent-sur-Sèvre, en Vendée, où la mort du supérieur provincial Olivier Maire est vécue comme un "choc". Certains décrivent Emmanuel Abayisenga comme une personne discrète.
"Emmanuel ne faisait rien de particulier. Il mangeait et participait à l'eucharistie. Il entendait mal", en raison de problèmes d'audition, a expliqué à l'AFP le père Jean-Baptiste Dombélé. "Il n'y avait pas de problème. Il ne parlait pas de la cathédrale. C'est Olivier qui était le plus proche de lui, qui s'occupait de lui pour tout."
Marqué par le génocide au Rwanda
Emmanuel Abayisenga arrive en France en 2012. Selon le journal La Croix, qui lui a consacré une longue enquête publiée le 15 juillet, il est issu d'une famille hutu. Son père est mort exécuté sommairement lorsqu'il avait 15 ans. À 24 ans, alors qu'il est officier de la police judiciaire du Rwanda, il fuit le pays et se réfugie en France.
"Il avait 12 ou 13 ans au moment du génocide, il n'y a pas pris part mais c'est un premier traumatisme dans sa vie", explique sur BFMTV Héloïse de Neuville, journaliste à l'origine de cette enquête.
Une fervent catholique
Issu d'une fratrie de 12 enfants, dans une famille catholique très pieuse, Emmanuel Abayisenga trouve rapidement refuge auprès de la communauté catholique de Nantes. Depuis 2018, il est hébergé au sein du couvent franciscain où il tient une permanence téléphonique. En 2020, il est bénévole du diocèse de la ville, notamment chargé de la fermeture de la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul.
Le 18 juillet 2020 au matin, lorsque d'importantes flammes s'échappent de l'édifice, ravageant une partie des lieux, les soupçons se tournent rapidement vers lui. Une semaine plus tard, il passe aux aveux.
Devant les enquêteurs, Emmanuel Abayisenga justifie son geste par une grande détresse psychologique. Vivant sous la menace d'une expulsion, il avait peu avant adressé au diocèse de Nantes un "cri de détresse", où il expliquait se trouver "dans un cercle vicieux déplorable".
Des demandes d'asile refusées
Son parcours administratif, motivé par le souhait de devenir réfugié politique, a été en effet jalonné d'échecs. "Le ministère de l'Intérieur et l'Ofpra ont refusé sa demande d'asile", a confié Gérald Darmanin, venu lundi à Saint-Laurent-sur-Sèvre. "Cette personne a fait l'objet de trois arrêtés de reconduite à la frontière depuis son arrivée sur le territoire national illégalement en 2012", a expliqué le ministre de l'Intérieur.
À quelques amis nantais, Emmanuel Abayisenga s'était confié sur les raisons de son départ de son pays natal. Il avait expliqué avoir subi des actes de torture d’une violence inouïe en raison de son appartenance à l'ethnie hutu et en garder des séquelles.
En janvier 2015, l’Ofpra lui refuse la protection de la France, estimant qu’en cas de retour dans son pays, il n’est pas prouvé qu’il serait victime de persécutions. "Le fait que l’Ofpra ait remis en doute la véracité de son récit a créé chez lui un énorme désarroi", a expliqué l’une de ses amies nantaises à La Croix. Il fait appel de cette décision auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), qui le déboute à son tour.
Pourquoi n'a-t-il pas été expulsé ?
Le drame, lundi, a aussitôt fait l'objet de polémiques politiques, à huit mois de l'élection présidentielle. La présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, a notamment réagi immédiatement sur Twitter, voyant dans cet assassinat la "faillite complète de l'État et de Gérald Darmanin", dénonçant le fait que son auteur n'ait pas été expulsé après l'incendie de Nantes.
En France, on peut donc être clandestin, incendier la cathédrale de #Nantes, ne jamais être expulsé, et récidiver en assassinant un prêtre.
Ce qui se passe dans notre pays est d’une gravité sans précédent : c’est la faillite complète de l’Etat et de @GDarmanin. MLP #Vendée https://t.co/RDYXzEKLKl
Le ministre de l'Intérieur a répliqué sur Twitter : "Cet étranger n'était pas expulsable malgré son arrêté d'expulsion tant que son contrôle judiciaire n'était pas levé." Il a accusé Marine Le Pen de "polémiquer sans connaître les faits".
S'il faisait l'objet d'une nouvelle obligation de quitter le territoire depuis 2019, celle-ci a été suspendue dans le cadre de son contrôle judiciaire. Emmanuel Abayisenga avait ainsi interdiction de quitter le territoire, a expliqué le ministre de l'Intérieur. Un procès est par ailleurs prévu en 2022 pour l'incendie de la cathédrale de Nantes.
Un autre événement aurait profondément marqué le catholique. Le 31 décembre 2018, le sacristain est agressé, vraisemblablement par un marginal, devant la cathédrale de Nantes. Selon Héloïse de Neuville, il est alors tombé dans une forme de paranoïa.
Des troubles psychiatriques
Après ses aveux en juillet 2020, Emmanuel Abayisenga est placé en détention provisoire pour "destructions et dégradations par incendie". En prison, il effectue plusieurs séjours dans l'unité psychiatrique, détaille Héloïse de Neuville. Ses anciens compagnons de cellule le décrivent par ailleurs comme "hagard", "prostré", "très en retrait".
Il sort de prison le 31 mai 2021 et est placé sous contrôle judiciaire avec obligation de résidence à la communauté des missionnaires montfortains de Saint-Laurent-sur-Sèvre. Le 20 juin, le prêtre Olivier Maire appelle cependant les gendarmes pour les alerter : Emmanuel Abayisenga souhaite quitter son hébergement contraint. C'est dans ce contexte qu'il est placé en hôpital psychiatrique du 20 juin jusqu'au 29 juillet 2021, date à laquelle il réintègre la communauté.
Lundi, Mgr François Jacolin, évêque de Luçon, a demandé de ne pas polémiquer alors que le cas d'Emmanuel Abayisenga défraie la chronique sur les réseaux sociaux et est devenu un sujet inflammable politiquement à moins d'un an de la présidentielle.
"C'est difficilement concevable, mais c'était un homme dans une grande détresse psychologique", a expliqué Mgr Jacolin. "Nous prions pour tout le monde. Nous prions aussi pour celui qui a fait ce geste."