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L'angoisse monte en Afghanistan, face à la progression éclair des Taliban dans plusieurs zones et le risque de voir le pays basculer dans une guerre civile. Pour autant, les ONG et institutions d'aide humanitaire maintiennent leur présence sur place. Certaines déplorent le départ de leurs employés afghans.

À un peu plus de deux mois du départ annoncé des troupes américaines d’Afghanistan, fixé au 11 septembre, les Taliban multiplient leurs offensives sur le terrain. Ils sont aujourd'hui présents dans presque toutes les provinces afghanes et encerclent plusieurs grandes villes, comme ils l'avaient fait dans les années 1990 pour s'emparer de la quasi-totalité du pays et installer un régime islamique autoritaire. Plus de 50 des 370 districts sont déjà tombés entre leurs mains depuis l'annonce par Joe Biden du retrait des troupes américaines en mai, selon l’ONU. Une offensive fulgurante qui fait monter l’angoisse chez les collaborateurs afghans des structures françaises dans le pays et de certaines ONG.

Afghanistan : les ONG poursuivent leurs activités malgré une situation sécuritaire "inquiétante"

D’autant qu’un nouveau cap a été franchi la semaine dernière, avec la progression éclair des Taliban dans le nord-est du pays et le siège de la ville stratégique de Kunduz, qui a fait plus de 5 000 déplacés depuis le 21 juin. "La plupart des districts qui ont été pris entourent les capitales provinciales, ce qui suggère que les Taliban se positionnent pour essayer de prendre ces capitales une fois que les forces étrangères seront complètement retirées", a alerté la représentante du Conseil de sécurité de l'ONU en Afghanistan, Deborah Lyons, au lendemain de l’assaut de Kunduz, jugeant "les récentes percées" militaires des Taliban "préoccupantes".

"La situation en Afghanistan est devenue extrêmement inquiétante", reconnaît Étienne Gille, vice-président de l’association Afrane, présente depuis plus de 40 ans en Afghanistan. En quelques semaines, cette ONG spécialisée dans l’éducation a perdu la quasi-totalité de ses 23 employés afghans, sur le point de s’exiler pour la France. "Le départ du personnel afghan d’Afrane est imminent", regrette Étienne Gille. Au total, quelque 80 collaborateurs, avec leur famille, vont profiter d’une vaste opération financée par le Quai d’Orsay, qui autorise depuis mai 600 Afghans ayant travaillé pour la France et leur famille à obtenir l’asile sur le sol français. 

Exil massif des collaborateurs afghans 

Cette mesure devrait conduire l’ambassade de France à Kaboul et ses satellites à fermer la plupart de leurs services, révélait le quotidien Le Monde à la mi-mai, faisant état de "l’embarras des partenaires européens" de la France en Afghanistan, dont l'ambassade allemande à Kaboul, "face à une décision jugée précipitée, non concertée" et "prise à l’insu des autorités afghanes". 

Cet élan de la France n’est pas non plus du goût de la Coordination des ONG françaises en Afghanistan (COFA), dont fait partie Afrane. La quinzaine d’ONG a été reçue par le cabinet du ministre des Affaires étrangères, début juin, après avoir adressé un courrier faisant part de ses inquiétudes.

Ce sont les craintes de voir l’aéroport de Kaboul hors d’usage, qui auraient notamment précipité le rapatriement de la centaine d’employés afghans. Mais entre-temps, Washington a promis de maintenir une force résiduelle de 650 soldats pour protéger l’aéroport, avec l’appui de l’armée turque. "La France a appliqué le principe de précaution et envisagé le pire scénario", estime Étienne Gille.

Afrane, qui a longtemps travaillé avec des expatriés, s’était constituée une équipe conséquente de professeurs afghans depuis 2002. L’ONG soutient 48 écoles, pour des interventions auprès de 96 000 jeunes afghans, réparties dans quatre provinces du pays. Les enseignants en mathématiques, en sciences et en langues (dari et pashto) étaient en passe de devenir formateurs à leur tour. Sur le terrain, l’exil massif de ces personnes met en péril l'activité de l’association. "C’est une situation inédite pour nous, qui révèle l’angoisse de la population. Nous comprenons que nos employés ont désiré profiter de cette opportunité présentée par la France comme une offre faite 'maintenant ou jamais'", explique Étienne Gille. Mais regrette-t-il, "ce sont des gens pacifistes et ouverts qui vont manquer à l’Afghanistan". "En ce moment, les personnes les plus éduquées cherchent à partir, c’est toute une partie de la substance intellectuelle du pays qui se vide et cela risque d’appauvrir l’Afghanistan."

Malgré ces déboires, Afrane compte rester en Afghanistan, recruter et former de nouveaux professeurs afin de reprendre au plus vite ses activités éducatives auprès des élèves afghans. "Nous sommes résolus à poursuivre nos actions tant que la situation le permet, car c’est notre essence même, en tant qu’humanitaires, d’agir quand les conditions sont difficiles et je dirais même 'surtout' quand les conditions sont difficiles", insiste le vice-président de l’ONG.

Réévaluation permanente de la situation

Pour de nombreuses ONG et institutions d'aide humanitaire présentes dans le pays, outre l’arrivée au pouvoir des Taliban, le risque aujourd’hui est surtout de voir l'Afghanistan replonger dans la guerre civile, et des groupes mafieux ou affiliés à l’organisation État islamique profiter de la situation d’instabilité pour enlever des étrangers.

Du côté de Médecins sans frontières (MSF), la situation sur place est "réévaluée au jour le jour, comme c’est le cas depuis nos 40 années de présence en Afghanistan", dit une responsable de la communication. L’ONG a payé un lourd tribut ces dernières années. En 2015, l’armée américaine bombarde son hôpital à Kunduz. L’attaque fait 42 morts, dont 14 membres de son personnel. L’an dernier, c’est une maternité MSF de Kaboul, Dasht-e-Barchi, qui est attaquée ; au moins 16 patientes sont tuées. La décision a été prise depuis de se retirer de ce projet, dernier point de présence de l’ONG dans la capitale afghane. "Ces événements tragiques montrent que la présence de MSF en Afghanistan comme acteur médical humanitaire au côté des populations n’est jamais évidente", juge Emmanuel Tronc, qui y a dirigé les missions de 1997 à 2016. "Avec le départ des Américains, on doit s’attendre à une période très difficile."

Depuis une semaine, au vu de la violence des combats entre l’armée afghane et les Taliban à l’entrée de la ville de Kunduz, MSF a dû opérer une réduction de son équipe sur place. "Après le bombardement de 2015, un hôpital est en cours de reconstruction à Kunduz, toute une partie a déjà été réhabilitée et ouverte à la prise en charge de patients", explique Sarah Chateau, la responsable du programme en Afghanistan. Mais une vingtaine d’expatriés et leurs collègues afghans ont été "placés en hibernation". "Nous avons été surpris par l’intensité des bombardements à Kunduz. Nous sommes en train de monter une équipe spécialisée dans les urgences, avec un chirurgien et un anesthésiste". Un peu partout, l’ONG médicale se prépare à des scénarios de réponse aux soins d’urgence en transformant ses équipes pour soigner les blessés.

Garantir l'accès aux zones de combat

"Nous sommes préoccupés par la situation en cours, pour les civils qui se trouvent pris entre les combats, et inquiets de la sécurité des travailleurs humanitaires potentiellement présents dans ces zones", affirme quant à lui Frédéric Joli, porte-parole du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). "La priorité est de garantir l’accès humanitaire, le respect de l’espace humanitaire par les combattants. C’est un droit fondamental". Sur place, l'institution d'aide humanitaire travaille avec près de 500 expatriés et 3 700 employés afghans. De même que MSF, le CICR maintient son activité en Afghanistan, l'ajustant en fonction des évolutions quotidiennes, et jusqu’ici aucun départ de collaborateurs afghans n’a été constaté.

Pour autant, les départs vers l’étranger se multiplient, notamment en direction de la frontière iranienne, selon Sarah Chateau. "Nos collègues de MSF en Iran ont été convoqués par les autorités iraniennes, qui ont constaté l’arrivée de 12 000 à 20 000 Afghans en quelques semaines en Iran. Elles s’attendent à un ‘afflux’ et parlent de 50 000 à 150 000 migrants qui pourraient arriver prochainement".