La banque BNP Paribas a été mise en examen le 11 mai pour "blanchiment de corruption et de détournement de fonds publics" dans l'enquête sur le patrimoine en France de la famille du défunt président gabonais Omar Bongo, a appris jeudi l'AFP de sources proche du dossier et judiciaire.
La longue enquête sur le luxueux patrimoine immobilier acquis en France par la famille du défunt président du Gabon Omar Bongo a passé un cap décisif avec la mise en examen de la banque BNP Paribas, soupçonnée d'avoir blanchi des dizaines de millions d'euros d'argent public gabonais.
La première banque française et européenne a été mise en examen le 11 mai pour "blanchiment de corruption et de détournement de fonds publics" dans l'affaire dite des "biens mal acquis", a appris l'AFP jeudi 20 mai de sources proche du dossier et judiciaire.
Aucun membre de la famille Bongo n'est mis en examen à ce jour dans cette information judiciaire, ouverte en 2010 et qui porte également sur la famille de Denis Sassou Nguesso, président du Congo-Brazzaville.
"C'est une première historique dans ce dossier", s'est félicité Me William Bourdon, l'avocat de l'association anticorruption Transparency International, partie civile, saluant une décision "extrêmement solide, à la hauteur des investigations du juge" Dominique Blanc et qui ouvre le "grand versant français du dossier".
"Il n'y a pas de grande opération de blanchiment de détournements d'argent public sans de grands ingénieurs du chiffre et du droit", deux notaires et un avocat étant également poursuivis, a-t-il ajouté.
"Nous ne commentons jamais une procédure judiciaire en cours", a réagi BNP Paribas auprès de l'AFP. Dans l'entourage de la banque, on affirme toutefois "contester toute responsabilité pénale pour ces faits antérieurs à 2009".
Selon les investigations, "la banque a manqué à ses obligations de vigilance en n'effectuant pas de déclaration de soupçon" entre 2002 et 2009 sur le "fonctionnement atypique du compte (de la société) Atelier 74".
Douze biens immobiliers acquis pour près de 32 millions d’euros
Cette entreprise française de décoration intérieure, chargée de dénicher les biens immobiliers pour la famille du président gabonais et de les rénover pour plusieurs millions d'euros, entretenait une "relation quasi exclusive" avec Omar Bongo, conclut une note de septembre 2020 de l'Office central de répression de la grande délinquance financière (OCRGDF).
Omar Bongo, président de 1967 à sa mort en 2009 et auquel a succédé son fils Ali, était pourtant considéré comme une "personne politiquement exposée" (PPE) au risque de blanchiment d'argent.
Le clan Bongo a acquis douze biens immobiliers à Paris et à Nice "pour un montant de près de 32 millions d'euros" à partir des années 1990, recensent les enquêteurs.
Parmi ce patrimoine : deux hôtels particuliers rue Dosnes et rue de la Baume dans les huppés VIIIe et XVIe arrondissements de Paris (acquis l'équivalent de 3,5 millions d'euros en 1997 et 18 millions d'euros en 2007), ainsi que la villa Saint-Ange à Nice (1,75 million d'euros en 1999).
Pour réaliser ces acquisitions par l'intermédiaire de sociétés civiles immobilières (SCI) – dont les SCI Emeraude et SCI de la Baume –, des espèces étaient versées à Libreville par des hommes de confiance du chef de l'État sur le compte de la filiale gabonaise d'Atelier 74.
Les sommes étaient ensuite transférées en France sur le compte d'Atelier 74 à la BNP. Au total, 52 millions ont circulé entre 1997 et 2009, selon un rapport d'enquête de 2017.
"L'utilisation systématique de chèques de banque" pour acheter ces biens "aurait dû alerter la banque", qui a joué un rôle "prépondérant" dans le système de blanchiment, soulignent les enquêteurs.
"Les défaillances dans la surveillance sont réelles"
"Il est difficile de croire que la banque à cette période n'a pas demandé des justificatifs de virement : origine des fonds, l'existence de contrat ou de convention passés entre ces deux entités", ajoute l'OCRGDF.
Aucun signalement à l'organisme de contrôle interne ou aux autorités n'a été réalisé. Même après l'émission d'un chèque de 19,35 millions d'euros, notent les policiers anticorruption.
"Aujourd'hui, un montant de ce niveau-là (...) justifierait des questions au client et, en cas de non-réponse, possiblement une déclaration de soupçon. Je ne sais pas pourquoi cela n'a pas été fait", a reconnu devant la police une responsable de la sécurité financière du groupe, arrivée en poste après les faits. "Les défaillances dans la surveillance (...) sont réelles", a-t-elle reconnu.
Ces manquements ont finalement été pointés par l'inspection générale de la BNP en 2017, six ans après les premières réquisitions judiciaires, s'étonne toutefois l'OCRGDF.
À l'époque, le premier volet du dossier, disjoint, venait de déboucher sur une première condamnation du riche fils du président de Guinée équatoriale, Teodorin Obiang.
Dès mars 2009, des responsables de la banque avaient estimé "souhaitable" une "rupture de relation avec M. Bongo" mais l'avait "différée" en raison des craintes de répercussions sur ses collaborateurs au Gabon.
Dans cette enquête, relancée en 2010 après une plainte de Transparency International, au moins treize personnes sont mises en examen, dont cinq membres de la famille Nguesso, l'ancien avocat d'Omar Bongo, et des professionnels français. Des membres de la famille Bongo ont été auditionnés, mais aucun n'est poursuivi à ce jour.
Avec AFP