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Yémen : pourquoi les rebelles houthis refusent la main tendue par Riyad

À quoi jouent les Houthis ? Malgré des gestes significatifs et symboliques concédés ces derniers mois par la nouvelle administration américaine, et une offre de "cessez-le-feu global" au Yémen proposée lundi par l'Arabie saoudite, les insurgés chiites refusent toujours de faire taire leurs armes et de négocier. Décryptage.

A u risque de passer pour le camp qui  ne veut pas  la paix ,  alors que le  Yémen  est ravagé par une guerre qui entame sa septième anné e ,  le s  rebelles houthis  ont  rejeté le plan  de "cessez-le-feu global"  proposé unilatéralement , lundi,  par les Saoudiens .

A vant toute négociation, il s  exigent  que  Riyad ,  qui dirige la coalition militaire en guerre  contre eux  depuis  2015, annonce   d’abord  " la fin de l'agression et la  levée totale du blocus "  qui asphyxie le Yémen . Or le voisin saoudien n’a proposé que d'alléger partiellement ce blocus, qui complique l'acheminement de l'aide humanitaire à la population,  menacée d'une famine à grande échelle selon l'ONU.

Selon les experts, la main tendue par l’Arabie saoudite , qui a également proposé de relancer les pourparlers politiques entre le gouvernement yéménite, soutenu par Riyad, et les rebelles pro-iraniens,  repose sur une initiative de sortie de crise qui fait l'objet de discussions depuis plus d'un an . D 'abord sous l'égide des Nations unies, puis plus récemment avec  un   rôle accru des  États-Unis.

Il était notamment question d’ un cessez-le-feu s upervisé  par l 'ONU , accompagné de mesures visant à rouvrir l'aéroport de Sanaa et  la  lev ée   d es restrictions commerciales dans le port de  Hodeïda , et suivi de pourparlers politiques  interyéménites .

Les Houthis refusent de se plier au calendrier saoudien

" Le diable se cache dans les détails, explique, sur son compte Twitter, Peter Salisbury, analyste spécialiste du Yémen au sein de l'International Crisis Group. Les Saoudiens, le gouvernement yéménite et les Houthis disent tous qu'ils soutiennent cette initiative, mais ils n'ont cessé d'ergoter sur le calendrier et les détails de chaque question."

Sauf que  la dernière proposition saoudienne contient   une variante, notamment   sur  la très sen sible  question  du partage des revenus du transport de pétrole  et de ses dérivés  vers le port stratégique de  Hodeïda .

Or, selon Peter Salisbury,  cette variante   " semble confirmer l'idée que ce sont les Houthis qui doivent faire des concessions " .   Une idée qu i ne peut que   dé plaire aux  rebelles , "qui accusent les Saoudiens d'utiliser la crise humanitaire comme levier"   et  " exigent la levée   de toutes  les barrières aux mouvements sur  Hodeïda  et l'aéroport de  Sanaa ".

Les Saoudiens pensent qu'en cas d'échec de leur initiative diplomatique, ils pourront démontrer que ce sont les Houthis et l’Iran qui veulent que le combat continue, analyse, sur Twitter, Cinzia Bianco, chercheuse spécialiste du Golfe au sein du cercle de réflexion European Council on Foreign Relations. "En proposant la réouverture de l'aéroport de Sanaa et un accès aux revenus générés par le port de Hodeïda, deux souhaits de longue date des houthis, Riyad croit qu'il les place au pied du mur face aux États-Unis et à l'ONU pour montrer qu'ils ne veulent pas de la paix au Yémen."

#SaudiArabia is offering the reopening of the #Sanaa Airport and some access to the revenues generated by #Hodeida port. These are both long-standing #Houthis wishes. #Riyadh believes it is calling their bluff in front of the #US & #UN to show they don’t want peace in #Yemen.

— Dr. Cinzia Bianco (@Cinzia_Bianco) March 22, 2021

L es Houthis s emblent estimer pour leur part qu’ils sont suffisamment en position de force pour refuser de se plier au calendrier et aux conditions des Saoudiens. La main tendue de Riyad intervient dans un contexte de multiplication des attaques menées par les  rebelles chiites  contre le royaume saoudien et ses installations pétrolières. Ces dernières semaines, les Houthis   ont également intensifié leur assaut sur  Marib , ville riche en pétrole et dernier bastion du gouvernement yéménite dans le nord du pays .

" Marib  est une question primordiale pour nous en raison du blocus qui prive les Yéménites d'acheter de l’essence et du gaz au prix du marché, avec l’appauvrissement de la population,  avait expliqué  Abdelmajid  al- Hanash , négociateur houthi basé à Sanaa, interrogé la semaine dernière par France 24.   T ant que ce blocus ne sera pas levé pour permettre aux régions du Nord d’avoir accès à ces produits vitaux, nous essaierons de le faire lever par la force. Ce n’est pas un fait nouveau et c’est légitime."

De son côté, l'Arabie saoudite mène régulièrement des raids aériens visant les Houthis   pour les empêcher d’avancer  et craint  toujours , même si elle  décidait de  se retire r  unilatéralement du conflit ,  d e  voir la  frontière qu’elle partage avec le Yémen  tomber sous l’influence  de   l ’Iran,  son ennemi régional chiite qui  soutient ses coreligionnaires houthis .

Les États-Unis, un intermédiaire neutre ?

Un scénario également redouté par l’administration Biden, qui  veut mettre un terme au conflit au Yémen  pour des raisons humanitaires  et qui a annoncé la fin du soutien américain à la coalition militaire sous commandement saoudien ainsi que   la suspension de certaines ventes d’armes à l’Arabie saoudite . Elle a   également  retiré les Houthis de la liste  américaine  des "organisations terroristes" , liste sur laquelle Donald Trump les avait inscrits juste avant de quitter ses fonctions .

Ces décisions ont irrité les Saoudiens, qui  estiment  que l'Iran utilise les Houthis pour faire pression sur les États-Unis ,  alors que Washington tente de relancer l'accord de 2015 sur le programme nucléaire iranien.

Si les Américains ont dépêché un émissaire dans la région à deux reprises en un mois, le secrétaire d’État Antony  Blinken a pressé les Houthis de cesser leur offensive et de "se joindre aux Saoudiens et au gouvernement du Yémen en agissant de manière constructive en faveur de la paix".

Abdelmajid  al- Hanash  a  indiqué  de son côté  que les gestes diplomatiques américains ne changeaient pas la donne pour les Houthis.   " Riyad et Washington essaient d’imposer par la négociation ce qu’ils n’ont pas réussi à obtenir par les armes, c’est inacceptable " , a accusé le négociateur.

" Il y a une certaine confusion qui règne au sein de l'administration Biden. Certains responsables appellent, au nom des intérêts américains, à mettre un terme à la guerre au Yémen. À croire que les États-Unis sont un intermédiaire  neutre et  innocent alors que Washington est un important acteur du conflit, puisqu’il est le principal soutien, et pas seulement logistique, de cette guerre, a-t-il ajouté. C ’est pourquoi nous restons sur nos gardes et attendons de voir ce qu’ils comptent réellement faire pour mettre un terme à l’agression qui nous vise. La négociation viendra après."

The good news: this means they are negotiating.
The bad news: a lot could go wrong. An errant air or missile strike could blow the whole process up.

— Peter Salisbury (@peterjsalisbury) March 22, 2021

Au final, "les parties sont en train d'utiliser tous les outils à leur disposition pour renforcer leur position à la table des négociations", décrypte Peter Salisbury .  Et de conclure :  " L a bonne nouvelle : cela signifie qu'ils négocient .  La mauvaise nouvelle : beaucoup de choses peuvent mal tourner, une frappe aérienne ou un missile pourraient faire exploser tout le processus."