Des chercheurs britanniques ont mis au point un algorithme qui a identifié les mammifères les plus susceptibles d’être des réservoirs à coronavirus d'où pourrait émerger la prochaine menace virale. Leurs conclusions augmentent fortement le nombre d'espèces à surveiller, en intégrant notamment les chats domestiques.
Il y a bien plus d'hôtes à coronavirus dans le monde animal que ce qu'on croyait jusqu'à présent. C'est en tout cas la conclusion à laquelle arrive une intelligence artificielle (IA) qui a été chargée par une équipe de scientifiques de l'université de Liverpool de partir à la traque aux mammifères susceptibles de donner naissance au futur Sars, Sars-CoV-2 ou Mers-CoV.
Résultat de courses : "Il y a 40 fois plus d'espèces susceptibles d'avoir au moins quatre formes de coronavirus en eux que ce qui était déjà établi, et environ 30 fois plus de mammifères chez qui pourraient se produire une recombinaison du Sars-CoV-2 [pour donner naissance à un nouveau virus, NDLR]", écrivent ces chercheurs dans un article publié mardi 16 février par la revue Nature Communication.
Tous les mammifères sous la loupe de l'IA
Ils ont mis au point cet algorithme pour combler les lacunes "de notre connaissance limitée de quels mammifères sont de potentiels hôtes pour quels coronavirus, ce qui est nécessaire pour comprendre où peuvent se produire des recombinaisons de ces virus pour en former des nouveaux", explique Marcus Blagrove, virologue à l'université de Liverpool et l'un des coauteurs de l'article, contacté par France 24. La preuve : "Avant l'arrivée du Sars-CoV-2, on s'était très peu intéressé au pangolin", ajoute Maya Wardeh, auteure principale de l'étude, également contactée par France 24.
Il y a tout simplement trop de mammifères sur Terre pour que l'homme les étudie tous. Sans compter que "certains se trouvent dans des pays qui n'ont pas les budgets nécessaires pour faire ce genre de recherche", précise Maya Wardeh.
Un obstacle qui n'est pas de nature à effrayer un algorithme nourri au "big data". Les deux chercheurs ont fourni à leur IA maison une somme considérable de données sur tous les mammifères répertoriés – proximité biologique avec d'autres animaux connus pour être des porteurs de coronavirus, zone géographique où ils habitent, ou encore espérance de vie – et ont fait pareil avec les virus connus.
La machine a ensuite fourni la carte la plus complète à ce jour de tous les rongeurs, carnivores, chauve-souris, ou encore artiodactyles (bovins, hippopotames) qui peuvent être des réservoirs à plusieurs coronavirus. Plus précisément, "le modèle calcule la probabilité pour chaque espèce de mammifère d'être infectée par chacun de ces virus, ce qui nous permet, ensuite, de prédire celles qui peuvent être des hôtes pour plusieurs coronavirus à la fois", explique Maya Wardeh.
En moyenne, chaque coronavirus peut avoir 12,5 mammifères porteurs et chaque animal étudié peut être infecté par 5,5 virus différents, d'après ces calculs.
Un algorithme efficace
Pour le Sars-CoV-2, l'IA a estimé qu'il y a 126 hôtes potentiels dans la nature, soit… 122 de plus que ce qui était admis lorsque les chercheurs de Liverpool se sont mis au travail, à l'été 2020. La petite chauve-souris jaune asiatique, le hérisson ou encore le lapin de garenne devraient, par exemple, être rajoutés à la liste des porteurs potentiels du Sars-CoV-2.
Ce travail a aussi permis d'identifier les plus importantes "marmites" à coronavirus dans le règne animal. Les chauve-souris, bien sûr, figurent tout en haut de la liste. Certaines d'entre elles peuvent être infectées par 68 coronavirus différents. C'est le cas du grand rhinolophe, ou grand fer à cheval, la plus grande espèce de chauve-souris présente en Europe.
Plus surprenant, le chat domestique a aussi été identifié comme étant particulièrement perméable à ces virus par l'algorithme des chercheurs britanniques. Il est un hôte potentiel pour 65 coronavirus, dont le Sars-CoV-2. Ce félin fait, pour les auteurs de l'article, partie des principaux "risques sous-estimés" pour devenir le berceau d'un nouveau virus, résultat d'un mélange de ceux qui seraient présents dans son organisme.
Certes, ces résultats sont le fruit de calculs d'une machine et pas d'observations sur le terrain. "Évidemment que ces conclusions ne sont pas justes à 100 %", reconnaît d'ailleurs Maya Wardeh. Mais les deux chercheurs sont confiants dans la robustesse de leur modèle. Depuis qu'ils l'ont mis au point, la communauté scientifique a découvert plusieurs nouveaux hôtes du Sars-CoV-2, comme le vison, et "dans la plupart des cas, ils avaient été identifiés par l'algorithme", souligne Marcus Blagrove.
Pas de menace féline
"Ça ne veut pas dire qu'il faut arrêter de caresser son chat !", tient à souligner Maya Wardeh. Ce n'est pas parce que le matou est potentiellement très perméable à un grand nombre de coronavirus qu'il va forcément les attraper. Il faudrait, notamment, qu'il se retrouve à proximité d'un autre mammifère qui lui transmet le virus, et pour un animal de compagnie, qui mène souvent une vie casanière, de telles occasions sont rares.
En outre, ce modèle ne prédit pas la probabilité de voir apparaître des nouveaux coronavirus dans ces réservoirs sur pattes. "Tout ce qu'on fait c'est indiquer dans quels animaux cela peut se produire. Calculer le risque effectif est infiniment plus complexe", précise Marcus Blagrove.
Leur travail ne permet pas non plus de savoir si le résultat d'une éventuelle recombinaison sera un Sars-CoV-2 plus virulent ou l'un des nombreux coronavirus qui, au pire, provoque un rhume chez l'homme. "Il faudrait un bio-informaticien capable d'anticiper les caractéristiques du résultat de cet éventuel mélange", explique le virologue.
Les prédictions de l'algorithme peuvent donner l'impression d'un règne animal encore plus dangereux qu'il ne l'était pour notre santé. Mais tel n'est pas le but des efforts des chercheurs britanniques. "Nous ne faisons que décrire un phénomène qui existe déjà dans la nature – la recombinaison des coronavirus – et précisons quels sont, à notre avis, les espèces qui devraient faire l'objet d'une surveillance particulière", résume Marcus Blagrove. Et ainsi de ne pas être, comme avec le Sars-CoV-2, pris au dépourvu que le coronavirus fut venu.