Le tribunal administratif de Paris a reconnu mercredi l'État français coupable d'inaction climatique, mais a reporté de deux mois sa décision sur d'éventuelles injonctions. Les ONG saluent une victoire "historique". Sur le fond, les avancées juridiques restent toutefois minimes.
Les ONG à l'origine de "L'affaire du siècle" – une plainte contre l'État français pour inaction climatique déposée par Oxfam France, Greenpeace France, Notre affaire à tous et la Fondation pour la Nature et l'Homme – ont rapidement célébré, mercredi 3 février, la décision du tribunal administratif de Paris. "Décision historique", "victoire", "État coupable" : à les écouter, la justice française venait de rendre un verdict susceptible de changer le cours de l'histoire.
"C'est une décision historique. C'est la première fois que l'État est condamné pour son manque d'action climatique. C'est un jugement qui vient sanctionner tout ce que n'a pas fait Emmanuel Macron depuis son élection, alors même qu'il prétend être un défenseur de l'environnement. Nous le disons depuis longtemps, mais aujourd'hui c'est un juge qui le dit, donc c'est très important", affirme Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France, contacté par France 24.
"C'est la première fois qu'un tribunal administratif s'exprime sur la responsabilité de l'État en matière d'action climatique et la première fois qu'il est franchement condamné. Désormais, l'inaction climatique n'est plus tolérée par la justice", renchérit Marie Toussaint, cofondatrice de Notre affaire à tous et désormais eurodéputée Europe Écologie-Les Verts, également contactée par France 24.
???? #LAffaireDuSiècle est HISTORIQUE : l’inaction climatique de l’Etat est jugée ILLÉGALE !
Cette victoire, c’est grâce à vous ! ????
Restons mobilisé·e·s pour aller➕loin et obtenir de nouvelles victoires. Ensemble nous pouvons faire agir l’Etat concrètement pour le climat ! ???? pic.twitter.com/jmokn6nqBR
Concrètement, le tribunal administratif de Paris a condamné l'État à réparer le préjudice moral des associations ayant porté plainte à hauteur d'un euro, a reconnu le préjudice écologique tout en refusant une réparation et se donne deux mois de plus pour statuer sur la question de l'injonction à en faire davantage.
"C'est un jugement 'avant-dire droit', c'est-à-dire qu'il n'est pas définitif et qu'il faut désormais attendre deux mois pour réellement savoir s'il sera historique", analyse Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l'environnement, contacté par France 24. "En l'état, les avancées juridiques sont minimes, le gouvernement n'est pas en train de trembler", ajoute-t-il.
Une décision similaire à celle du Conseil d'État
De fait, si le préjudice écologique est reconnu, il n'en va pas de même de la responsabilité de l'État. Selon le jugement rendu mercredi matin, les carences de l'État en matière d'efficacité énergétique et d'énergies renouvelables n'ont pas "contribué directement à l'aggravation du préjudice écologique dont les associations requérantes demandent réparation". Toujours selon le juge, l'État n'a pas non plus commis de faute concernant l'insuffisance de l'objectif visant à limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C et n'a pas commis de faute en matière d'évaluation, de suivi et de mesures d'adaptation.
"Le seule faute de l'État reconnue par le juge est de ne pas avoir respecté la trajectoire qu'il s'était fixée dans le cadre de son budget carbone. En ce sens, il rejoint l'arrêt du Conseil d'État", souligne Me Gossement.
#affairedusiecle le tribunal administratif de Paris : condamne l'Etat à 1 euro symbolique en réparation du préjudice moral, rejette la demande de réparation du préjudice écologique, se donne 2 mois de + pour statuer sur l'aggravation du préjudice écologique pic.twitter.com/HhbCr8IclR
— Arnaud Gossement (@ArnaudGossement) February 3, 2021Dans une décision du 19 novembre 2020, la plus haute juridiction administrative française a en effet mis en demeure l'État de justifier dans un délai de trois mois sa politique climatique en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Le Conseil d'État avait été saisi en janvier 2019 par le maire écologiste de Grande-Synthe, Damien Carême – élu depuis député européen –, qui estimait que sa commune du littoral du Nord était menacée de submersion par "l'inaction climatique" du gouvernement.
Les juges administratifs ont notamment relevé que l'État s'était engagé, pour mettre en œuvre l'accord de Paris de 2015 visant à limiter le réchauffement, à atteindre une baisse de 40 % des émissions en 2030 par rapport à leur niveau de 1990.
"La justice française devient favorable à la justice climatique"
Pour Corinne Lepage, ancienne ministre de l'Environnement et avocate de la ville de Grande-Synthe dans cette affaire, le jugement rendu mercredi par le tribunal administratif de Paris "n'apporte pas grand chose de plus que celui du Conseil d'État du 19 novembre". "L'arrêt du Conseil d'État avait déjà reconnu l'illégalité de la situation sur la période 2016-2019", précise-t-elle.
Jugement en demi teinte du #TAParis Qui reconnaît la faute de l’État pour la période antérieure(Déjà jugé par le @Conseil_Etat ), refuse de réparer le préjudice écologique et sursoit à statuer pour le reste
— Corinne Lepage (@corinnelepage) February 3, 2021Pour l'heure, les ONG impliquées dans "L'Affaire du siècle" peuvent se réjouir que la faute de l'État, même partielle, soit reconnue. "Au-delà des avancées juridiques, il y a aussi l'enjeu médiatique, l'enjeu de la sensibilisation du public", note Me Gossement.
"Ce qui est important, c'est que le jugement affirme que des associations sont en capacité de saisir les tribunaux, estime Marie Toussaint. Les décisions du Conseil d'État en novembre et du tribunal administratif de Paris aujourd'hui confirment une chose : la justice française devient favorable à la justice climatique. C'est important."
Le gouvernement comme les ONG sont désormais suspendus à la prochaine décision du Conseil d'État, qui influera le jugement définitif du tribunal administratif de Paris. Le gouvernement a jusqu'au 19 février pour lui fournir les preuves de son action contre le réchauffement climatique.
Une fois ce délai expiré, le Conseil d'État dira s'il est satisfait des éléments apportés par le gouvernement ou si, au contraire, il enjoint l'État à en faire davantage, que ce soit d'une manière générale dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre ou en donnant des injonctions très spécifiques en ciblant particulièrement telle ou telle politique.