Deux ans après un premier rejet, le Sénat argentin s'est prononcé mercredi en faveur de la légalisation de l'IVG. Réclamé depuis des années par les mouvements féministes, le texte prévoit la possibilité d'avorter jusqu'à la 14e semaine de grossesse.
L'Argentine a retenu son souffle. Après avoir débattu, les sénateurs ont autorisé mercredi 30 décembre, l'avortement dans le pays sud-américain très divisé sur la question. Avant la loi, l'avortement n'était permis qu'en cas de viol ou de danger pour la vie de la mère, selon une loi datant de 1921.
Déjà approuvé par les députés le 11 décembre, le texte, qui autorise l'interruption volontaire de grossesse jusqu'à 14 semaines de grossesse, a été adopté avec 38 voix pour, 29 contre et une abstention, tandis que des milliers de partisans du "oui" ont manifesté leur joie devant le Sénat à l'issue du vote.
La session parlementaire avait débuté mardi à 16 h locales (20 h à Paris). Quelques sénateurs étaient présents dans l'hémicycle, mais la plupart ont participé par visioconférence en raison de la pandémie de Covid-19.
Selon la présidente de la Chambre haute, l'ex-présidente (2008-2015) et actuelle vice-présidente Cristina Kirchner, 67 sénateurs sur 72 ont participé à la session. Le vote est intervenu mercredi après de longues heures de débat, 58 orateurs étant inscrits à l'ordre du jour.
#Argentine Scènes de joie à Buenos Aires après l'adoption de la loi légalisant l'avortement #AFP pic.twitter.com/zSZFq6gd3N
— Agence France-Presse (@afpfr) December 30, 2020Le Sénat plus conservateur
Alors que les députés ont adopté le texte par 131 voix pour, 117 contre et 6 abstentions, tous les regards étaient tournés vers le Sénat, réputé plus conservateur. En 2018, il avait rejeté par sept voix un texte similaire dans un pays encore très catholique et profondément divisé sur la question.
Car, comme le rappelle notre correspondante à Buenos Aires, Mathilde Guillaume, ce vote est "paradoxal", partagé entre le consensus de la mobilisation populaire sur l'IVG, engagée par la vague féministe, et la puissance de l'Église catholique et des évangéliques.
Le message du pape interprété
Le président de centre gauche, Alberto Fernandez, au pouvoir depuis fin 2018, avait promis pendant sa campagne de soumettre à nouveau la légalisation de l'IVG aux parlementaires.
"Je suis catholique, mais je dois légiférer pour tous, c'est un sujet de santé publique très sérieux", a fait valoir récemment le chef de l'État. Mais tous les sénateurs de sa majorité ne sont pas favorables au texte.
Le pape argentin François, jusque-là silencieux sur la question, a publié mardi un message sur Twitter dans lequel il souligne que "le Fils de Dieu est né rejeté pour nous dire que toute personne rejetée est un enfant de Dieu. Il est venu au monde comme un enfant vient au monde, faible et fragile, afin que nous puissions accepter nos faiblesses avec tendresse".
Avortement : le pape François s'exprime sur Twitter
The Son of God was born an outcast, in order to tell us that every outcast is a child of God. He came into the world as each child comes into the world, weak and vulnerable, so that we can learn to accept our weaknesses with tender love.
— Pope Francis (@Pontifex) December 29, 2020Bien que ne faisant pas référence explicitement au débat, le message a été interprété par la presse argentine comme un rejet de la loi.
Une vague verte à travers le pays
Malgré la pandémie, plusieurs milliers d'Argentins s'étaient rassemblés mardi à proximité du Parlement pour exprimer leur soutien ou leur rejet du texte, avec force banderoles, musique et des écrans géants transmettant les débats en direct.
"Sénateurs, c'est maintenant !" peut-on lire du côté des pro-IVG. "Nous sauvons deux vies", proclament les anti-IVG.
L'Église catholique et les protestants évangéliques, opposés au texte, ont lancé un appel à "s'unir pour implorer le respect et le soin de la vie à naître", avec une journée de jeûne et de prière.
Les pro-IVG, ralliés autour de la couleur verte, ont fait une intense campagne sur les réseaux sociaux. En particulier la Campagne pour un avortement légal, sûr et gratuit, qui regroupe plus de 300 organisations féministes, déjà très mobilisées en 2018.
Entrer dans l'histoire de l'Amérique latine
Selon le gouvernement, entre 370 000 et 520 000 avortements clandestins sont pratiqués chaque année dans le pays de 44 millions d'habitants, où 38 000 femmes sont hospitalisées pour complications lors d'avortements clandestins.
Pour tenter de convaincre les sénateurs de voter le texte, ce dernier inclut la possibilité pour les médecins de faire valoir leur "objection de conscience".
Parallèlement, un autre projet de loi créé une allocation des "1 000 jours" destinée à soutenir les mères de famille pendant leur grossesse et les premières années de l'enfant, de façon à réduire les avortements pour raisons économiques.
L'Argentine rejoint Cuba, l'Uruguay, le Guyana et la province de Mexico, les seuls à autoriser l'IVG sans condition en Amérique latine.
Avec AFP