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Protection des professeurs face aux menaces : “La loi existe déjà, il faut mieux l’appliquer”

Parmi les mesures du projet de loi "confortant les principes républicains" présenté mercredi, le gouvernement souhaite renforcer la protection des agents de la fonction publique. Une mesure symbolique décidée à la suite de l’assassinat du professeur Samuel Paty mais dont l’efficacité fait débat.  

“Nous les soutiendrons, nous les protégerons autant qu'il le faudra”, avait déclaré Emmanuel Macron à propos des enseignants, le 21 octobre, lors de son discours d’hommage à Samuel Paty. Deux mois après l’assassinat du professeur, décapité devant son collège de Conflans-Sainte-Honorine pour avoir montré des caricatures de Mahomet, lors d’un cours sur la liberté d’expression, le gouvernement a dévoilé un article de loi, mercredi 9 décembre, pour renforcer la protection des agents de la fonction publique, notamment contre les menaces et attaques.    

Ce texte, qui fait partie d’un ensemble de mesures visant à lutter contre le “séparatisme”, fait pourtant débat au sein du corps enseignant. Car non seulement une législation existe déjà mais son application est jugée défaillante.   

Lorsqu'un agent de la fonction publique est face à une situation conflictuelle, il peut bénéficier d’un appui juridique de l’institution appelé “protection fonctionnelle”. L’agent demande l’assistance auprès de la hiérarchie, qui décide ensuite de prendre en charge les frais de la procédure. L’institution peut également déclencher cette mesure automatiquement si elle a connaissance des faits.

“Nous orientons des collègues vers cette demande pour différentes raisons : lorsqu’ils ont été victime de menaces de la part d’élèves ou de parents d’élèves par exemple. Nous avons eu également le cas d’un syndicaliste, visé lui par des militants d’extrême droite” explique Patrick Désiré, secrétaire général du syndicat CGT Educ’ation, contacté par France 24. “Enfin, cette mesure peut être demandée dans le cadre d’un conflit avec la hiérarchie, pour des affaires de harcèlement notamment” conclut-il.  

Pas systématiquement appliqué dans l'Éducation

La protection fonctionnelle est un principe de base propre à toutes les administrations publiques. Cette règle a été appliquée récemment par le préfet de police de Paris Didier Lallement aux policiers accusés d’avoir frappé le producteur de musique Michel Zecler. Si l’enquête établit une faute avérée, les agents doivent rembourser les frais de procédure. Mais pour Jean-Michel Harvier, responsable juridique au Syndicat national des enseignements de second degré (Snes-fsu), ce principe n’est pas systématiquement appliqué au sein de l’Éducation nationale. “Nous constatons régulièrement que la moindre suspicion de culpabilité peut occasionner un refus. Dans certains cas, l’établissement enclenche sa propre enquête en faisant venir un inspecteur et en faisant témoigner les élèves, alors que la priorité devrait être de mettre en place la protection de l’agent. Face aux difficultés et à ce climat de méfiance, beaucoup de professeurs baissent les bras et les incivilités et outrages, devenus légion, restent impunis.” 

En théorie l’administration peut refuser d’assister un agent mais elle doit motiver son refus, ce qui est loin d’être systématiquement le cas selon Patrick Désiré. “Trop souvent nous avons des refus du recteur avec une justification floue et expéditive du type : ‘Les faits reprochés ne rentrent pas dans le cadre de la procédure d’assistance’. Certains établissements préfèrent éviter les poursuites pour ne pas ébruiter des affaires qui pourraient entacher leur réputation. Il est vrai qu’il vaut parfois mieux faire preuve de pédagogie et privilégier un accord à l'amiable. Mais parfois la réponse judiciaire est nécessaire et des institutions font barrage pour ne pas grossir les statiques des établissements à problèmes du rectorat.” 

Une loi symbolique  

Parue sous forme de circulaire le 2 novembre 2020, puis inclue au projet de loi "confortant les principes républicains", le texte appelle les institutions à procurer un soutien renforcé et systématique aux agents et à élargir les signalements à toutes les atteintes visant leur intégrité physique qu’il s’agisse de faits de violence, de discrimination, de har­cè­le­ment moral ou sexuel ou bien encore d’agiss­e­ments sexistes.   

Le gouvernement n’en fait pas mystère, cette mesure fait écho au choc provoqué par l’assassinat de Samuel Paty. Pourtant, si certains collègues s’étaient désolidarisés du professeur après la polémique suscitée par le cours sur les caricatures, le rapport de l'inspection générale conclut que l’enseignant a bénéficié du soutien sans faille de la directrice d’établissement et souligne la réactivité de l’institution. 

“Je comprends que le gouvernement veuille montrer sa volonté d’agir après l’affaire Samuel Paty, mais qui peut croire que cet article aurait pu éviter un tel drame ?” s’interroge Patrick Désiré. “La loi existe déjà, il faut mieux l’appliquer. Par ailleurs, la protection des professeurs est un sujet bien plus large et il me semble curieux d’ajouter cet article à un projet visant à combattre l’Islam radical.”  

Jean Michel Harvier, lui aussi, affiche son scepticisme quant à la loi du gouvernement. “L’inflation législative ne résoudra pas le problème. L’Éducation nationale doit appliquer la loi avec plus de bienveillance et d’empathie vis-à-vis de ses agents.”   

Si le nouvel article sur la protection des agents ne change pas la donne, la France et en particulier l’Éducation Nationale ont été profondément marquées par l’assassinat de Samuel Paty. “Je suis moi-même professeur d’histoire-géographie et d’éducation civique, jamais je n’aurais imaginé risquer ma vie dans l’exercice de mes fonctions” s’indigne Jean-Michel Harvier. “Le meurtre de Samuel Paty est un choc psychologique énorme qui change la manière dont on aborde le risque lié au métier. Aujourd’hui, c’est sûr, les menaces visant les professeurs vont être prises beaucoup plus au sérieux.”