L’édition 2021 du Salon de l’agriculture a été annulée dans sa forme habituelle en raison du Covid-19. Un acte symbolique dans un secteur en crise, alors que plus de 310 salons ont subi le même sort en France depuis le début de la pandémie. Les professionnels mettent l’accent sur les pertes directes et indirectes pour les activités liées aux salons.
Dernière "victime" en date du Covid-19 : le Salon de l’agriculture. L’édition 2021, qui devait se tenir à Paris du 27 février au 7 mars, a été annulée "dans sa forme actuelle" en raison de l'épidémie . Le concours général des produits agricoles sera, en effet, maintenu mais pourrait se tenir "dans différentes villes de province". Les débats publics sur l'évolution de l'agriculture et de l'alimentation devraient également se tenir à Paris.
Mais les concours d’animaux, qui attirent chaque année des milliers de visiteurs curieux de voir les plus beaux bestiaux français, sont eux reportés à 2022. Une nouvelle déconvenue pour le salon qui s’était tenu in extremis début 2020, juste avant le début du confinement, et avait déjà vu le nombre de visiteurs baisser drastiquement (480 000 visiteurs contre 650 000 les années précédentes) lors d'une édition contrainte de fermer un jour pour tôt.
Reports et annulations en cascade
L’annulation du Salon de l’agriculture - le plus gros salon de France en terme de visiteurs - est symbolique pour le secteur de l’événementiel, le premier à pâtir de la crise sanitaire en France. Il a subi de plein fouet les limitations puis les interdictions de rassemblement imposées par les pouvoirs publics, conduisant les gestionnaires de sites à fermer leurs parcs d’expositions et les organisateurs d’événements à reporter ou annuler leurs manifestations.
En août, un décret interdisait les événements réunissant plus de 5 000 personnes, le 26 septembre, la préfecture de police de Paris mettait un coup d'arrêt aux événements de plus de 1000 personnes et le 5 octobre, la préfecture de Paris, c'était au tour des lieux d’exposition, foires et salons du 6 au 19 octobre. Et alors que le gouvernement serre la vis, les professionnels redoutent que ces mesures ne soient reconduites.
Le 12 octobre, 115 salons et foires avaient déjà été reportés et 310 annulés depuis mars, selon le décompte d’Unimev, l’Union française des métiers de l’événement. Parmi eux, le SIAL - le salon qui fédère les professionnels de l’alimentaire - ou le Salon du chocolat ont été reportés. Maison&Objet, salon de design et décoration, leader français du secteur - dont l’édition de septembre a déjà été annulée - a également de très forte chance de reporter son édition de janvier, selon ses organisateurs contactés par France 24. Un manque à gagner énorme.
"L’annulation de septembre représente la perte pure et simple de la moitié de notre chiffre d’affaires", souligne auprès de France 24 Philippe Brocart, directeur général de Maison&Objet. "Pour nous c’est la double peine : avec une annulation à la dernière minute, non seulement on ne rentre pas d’argent mais en plus, on perd nos investissements".
Pour le Salon de l'agriculture, "nous avons décidé de ne pas prendre de risques et de faire une année blanche avant d'engager trop de frais", explique à France 24 Valérie Le Roy, directrice du Salon International de l'agriculture. "L'impact est en revanche pour les exposants qui ne pourront pas vendre leurs produits".
Pertes directes et indirectes
Des pertes directes, donc, mais également indirectes. "Un salon de plusieurs milliers d’exposants annulé, c’est un manque à gagner pour les sites d’exposition et les activités directement liées au salon (gardiennage, sécurité, traiteurs, logistiques)", souligne Clément Laloux, ex-directeur du Tourisme du ministère des Affaires étrangères. "Mais ce sont aussi des pertes indirectes très importantes, notamment pour les acteurs touristiques : hébergement, restauration, transports, shopping… Ces pertes sont d’autant plus importantes quand le salon est international car les exposants comme les visiteurs étrangers dépensent 1,5 à 2 fois plus que les Français", ajoute ce spécialiste du secteur.
Pour l'Ile-de-France, l'une des principales places de salons en France et en Europe, les pertes sont colossales. En août, la Chambre de commerce et d'industrie de Paris estimait que l’annulation des salons et congrès représentait une perte de 5,4 millions de visiteurs et congressistes, 58 000 entreprises exposantes soit 3,2 milliards d'euros de retombées économiques en moins pour le territoire et 12,9 milliards d'euros de ventes non réalisées pour les exposants.
Pour le seul salon Maison&Objet, l’annulation de septembre est un manque à gagner de 145 millions d’euros de retombées directes et indirectes. "Un chiffre qui ne compte pas l’impact sur nos 3000 exposants - dont 65 % viennent de l’étranger - qui génèrent un chiffre de 1,6 milliard par salon", précise Philippe Brocart. Pour le Salon de l’agriculture, ce sont un millier d’exposants et près de 38 000 professionnels qui sont touchés.
"C’est tout un écosystème qui commence à devenir nerveux", alerte Philippe Brocart. "Les gros organisateurs, tels que Comexposium (Salon de l’agriculture, la Foire de Paris, etc... NDLR ) - ou Reed Expositions (Maison&Objet, Paris Photos ou Salon du Livre de Paris) sont des entreprises solides, mais il y a déjà des fournisseurs qui mettent la clé sous la porte".
Manque de visibilité
Les professionnels du secteur craignent qu'il n'y ait pas de retour à la normale avant plusieurs mois et dénoncent le manque de visibilité. "L’organisation d’un salon ne peut s’envisager que dans la longue durée. La commercialisation, l’organisation, la communication ne peut pas se faire en quinze jours", explique Raphaële Neveux, directrice des Relations institutionnelles d’Unimev.
L’organisation d’un gros salon prend en moyenne 10 mois, mais il peut prendre un an et demi pour un premier événement, 6 mois pour un salon bien rôdé, et trois mois minimum en période de crise et d’adaptation. "En moins de trois mois, on ne peut rien faire. Notre plus grosse problématique, c’est donc le manque de cadre et de stabilité", ajoute Raphaële Neveux.
Un avis partagé par Philippe Brocart. "Les décisions sont prises au fil de l’eau, de semaine en semaine, sans adaptation et ajustement alors que nous, nous faisons preuve de souplesse et d’adaptabilité. On a l’habitude de gérer des contraintes, nous l’avions déjà fait après les attentats terroristes : nous savons gérer des flux, mettre en place des protocoles rapidement."
Dès le début de la crise, la filière a préparé les conditions de la reprise d’activité. Des recommandations sanitaires ont été rédigées par les professionnels pour la gestion des flux de participants, le respect strict des gestes barrières, l’organisation des mesures de distanciation, la fourniture de gel hydroalcoolique, le port du masque, le développement de format hybride en physique et digital. "Mais nos dirigeants semblent avoir oublié que nous savions nous adapter", regrette Philippe Brocart.
Perte de rayonnement pour la France
Un "oubli" d’autant plus difficile à digérer que des salons ont recommencé à se tenir ailleurs, en Europe, comme en Allemagne, en Suisse ou en Italie. Si le Yachting festival - Salon nautique qui devait avoir lieu en septembre à Cannes a par exemple été annulé - son équivalent italien, le Genoa Boat Show a été maintenu à Gênes.
Pour ce secteur soumis à une compétitivité internationale très forte, ce sont autant de marchés perdus pour la France. Sans parler de la perte de rayonnement pour l’Hexagone. "Les salons professionnels sont une vitrine du savoir-faire et des entreprises françaises", rappelle Clément Laloux.
Maison&Objet avait pour sa part envisagé d’organiser sa prochaine édition en Suisse, où les salons ne sont pas considérés comme une manifestation comme les autres. "Il n’y pas de jauge, ni de quarantaine pour les visiteurs de salons professionnels là-bas. La Suisse a su faire des ajustements que la France ne fait pas", insiste Philippe Brocart. Si pour des raisons de délais, cette option n’a pas été retenue pour la prochaine édition, l’option de délocaliser le Salon reste dans les tuyaux. Un marché de plus à perdre pour la France.