
Le Parlement examine ce lundi un projet de loi sur les néonicotinoïdes. Interdits depuis 2018, car néfastes pour les abeilles, ces insecticides pourraient être réintroduits temporairement pour sauver la culture de la betterave, utilisée pour la fabrication du sucre. Les écologistes sont vent debout.
Respecter une promesse environnementale ou sauver l'emploi sur fond de crise économique ? C'est le casse-tête auquel vont se heurter les députés qui doivent examiner, le 5 octobre, un projet de loi qui permettraient de réintroduire les néonicotinoïdes. Cet insecticide puissant est interdit en France depuis 2018 "pour lutter contre le déclin massif des colonies d'abeilles et des pollinisateurs sauvages", comme l'avait annoncé, à l'époque, le ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation.
Avec son projet de loi permettant le "recours temporaire et encadré" à ces insecticides, le gouvernement est accusé de brouiller son message sur la transition écologique. D'un côté les agriculteurs plaident pour sa réintroduction pour sauver la filière de la betterave, utilisée pour la fabrication de sucre. De l'autre, les écologistes crient au scandale. Le point sur la polémique.
La jaunisse de la betterave
Si les députés examinent ce lundi la possibilité de réintroduire les néonicotinoïdes en France, c'est qu'il y a urgence, selon les producteurs de betteraves. Après un hiver et un printemps trop chauds, un puceron vert, vecteur d'une la maladie qui affaiblit les plantes, a proliféré. Et les betteraves – issues de semences non enrobées d'insecticide – sont atteintes de "jaunisse".
Une catastrophe pour les producteurs. Selon les données du 1er septembre 2020 d'Agreste, le site de statistiques du ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, la production de betteraves sucrières a reculé de 15,4 % en un an et de 16,2 % par rapport à la moyenne quinquennale 2015-2019. "En cause : la sécheresse et les attaques de pucerons qui ont favorisé la jaunisse", explique le site de statistiques.
Au moment des récoltes début septembre, les producteurs ont tiré la sonnette d'alarme. "Prélèvement dans ma parcelle de betteraves. Estimation à 32 tonnes par hectares. Si on retire celles trop petites pour être arrachées, ça tombe à 24 t/ha", paniquait notamment Maxime Buizard, agriculteur dans le Loiret et conseiller municipal à Pithiviers.
Prélèvement dans ma parcelle de betteraves. Estimation à 32 tonnes par hectares. Si on retire celles trop petites pour être arrachées, ça tombe à 24 t/ha.
24 t/ha !!! ???? pic.twitter.com/nFcbZfLlIk
Protéger le rendement sucrier
Quelque 46 000 emplois directs, dont 25 000 agriculteurs, sont aujourd'hui menacés, sans compter les emplois indirects. Car derrière la betterave que l'on veut soigner, c'est la filière du sucre que les députés de la majorité veulent protéger.
La France compte 21 usines sucrières, faisant d'elle le premier pays producteur de sucre en Europe. Mais le secteur est sous tensions depuis l'abolition du régime des quotas sucriers européens en 2017. Prévue pour développer les exportations, elle s'est en fait rapidement muée en baisse des prix du sucre de 50 %.
Le sucre du Brésil et de l'Inde exercent une forte concurrence, sept usines ont déjà fermé en Europe dont quatre en France. Or pour concurrencer ces exportateurs, la filière doit faire appel à la chimie. Et les néonicotinoïdes sont le seul produit qui permet de lutter contre le puceron vert.
Le gouvernement veut donc accorder une dérogation à la filière, en s'appuyant sur le règlement européen sur les phytosanitaires permettant de déroger à l'interdiction en l'absence d'alternative. "C'est une question de souveraineté", met en avant le ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie, alors que onze pays producteurs en Europe ont autorisé les dérogations pour les néonicotinoïdes.
"Nombre de planteurs, en ce moment même, hésitent à replanter des betteraves [et] si les sucreries ferment, c'est toute la filière de la betterave qui peut disparaître en une ou deux saisons", fait valoir le ministre.
"Un contresens historique"
Mais, à leur tour, ce sont les écologistes qui mettent en garde les parlementaires. La haute toxicité de cet insecticide a été prouvée par de nombreuses études et c'est pourquoi il a été interdit en France en 2018. Il attaque le système nerveux des abeilles et les désorientent, alors qu'elles permettent la pollinisation des cultures. Cet insecticide a conduit à la disparition des trois quarts des insectes volants depuis trente ans.
Les pro-environnement dénoncent un projet de loi qui ne ferait que prolonger un productivisme de toute façon condamné. Pourquoi dès lors ne pas y renoncer purement et simplement, tempêtent les opposants au projet gouvernemental ? Happening près du Palais Bourbon, tribunes, les pro-environnement et la gauche estiment que le projet de loi, conçu selon eux "sous la pression des lobbys de l'agriculture", est un "recul démocratique majeur" et un "contresens historique".
"Je demande aux députés de ne pas voter cette loi sur les néonicotinoïdes", a plaidé, lundi matin au micro d'Europe 1, l'eurodéputé EELV Yannick Jadot. "Je les appelle à ne pas subir la pression des lobbies des pesticides, je les appelle à être responsables devant l'ensemble des citoyens."
Selon eux, la voie de sortie serait le bio, la qualité, et l'indemnisation des producteurs le temps d'organiser la transition. Dimanche, l'ancien ministre de l'Écologie Nicolas Hulot a appelé dans le JDD "les députés à ne pas voter [le projet de loi]". "Ma fondation a estimé les pertes pour cette année à 77 millions d'euros pour les betteraviers. Indemnisons-les en échange de la mise en place de pratiques : allongement des rotations, réintroduction des haies…", propose-t-il.
"L'exposition humaine à des produits à la toxicité préoccupante"
L'ONG Générations futures met quant à elle le doigt sur les risques sanitaires de cet insecticide, dont elle a constaté des traces dans plus de 10 % d'échantillons d'aliments d'origine végétale contrôlés en 2017. "Cette question d'exposition humaine à des produits pas du tout anodins au niveau de leur toxicité est préoccupante," a estimé François Veillerette, directeur de l'ONG, rappelant que certains néonicotinoïdes sont suspectés d'être des perturbateurs endocriniens ou cancérogènes.
Exclusif???? : des #néonicotinoïdes dans nos assiettes ! il n’y a pas que les????qui en mangent : vous aussi ????!https://t.co/qp2MCoBcz4 @UNAFapiculture @greenpeacefr @coquelicots_ @fnab_bio @ConfPaysanne @FNEasso @FondationNH @Veillerette
— Générations Futures (@genefutures) October 2, 2020Il a en conséquence appelé les députés à rejeter le texte de loi dérogatoire, soulignant que l'Union européenne, qui a interdit plusieurs néonicotinoïdes, aurait toutefois la possibilité de retoquer le texte s'il était adopté. Entre enjeux économiques et enjeux sanitaires, le débat s'annonce donc plutôt rude à l'Assemblée.
Avec AFP