La Chine a commencé à déployer un arsenal de mesures discriminatoires contre les Utsuls, une petite communauté musulmane du sud du pays, relate le South China Morning Post, lundi. Une politique qui illustre l’intensité de l’effort de sinisation menée par Pékin contre les minorités religieuses.
C’est une île chinoise à 12 000 km au sud-est du Xinjiang. À Hainan, loin du bruit médiatique qui entoure la politique répressive à l’égard de la minorité des Ouïghours, à majorité musulmane, Pékin a commencé à surveiller de très près et à imposer des restrictions religieuses à une autre communauté, beaucoup plus modeste en nombre et moins connue : les Utsuls.
Les femmes et jeunes filles de cette minorité à majorité musulmane, forte de 10 000 membres, n’ont plus le droit de porter le voile ou leurs tenues traditionnelles à l’école et dans les bâtiments publics depuis un mois, a constaté le South China Morning Post, lundi 28 septembre. Des documents officiels des autorités locales, obtenus par le quotidien hongkongais, révèlent, en outre, une série de mesures appelées à être mises en place qui “rappellent celles déployées au début dans la province du Xinjiang”, note le South Morning China Post.
Accroître la surveillance
Ainsi, la taille de certaines mosquées qui doivent être rénovées va devoir être réduite, et un membre du Parti communiste devra siéger au conseil de ces lieux de culte. Toutes les références à des mots “arabisants” - tels que le terme halal - devront, aussi, être effacés des devantures des magasins.
Les documents évoquent aussi la nécessité d’accroître la surveillance de cette communauté afin de maintenir “l’ordre public”. Les Utsuls membres du Parti communiste seront, ainsi, soumis à un interrogatoire afin de s’assurer qu’ils ne pratiquent pas activement leur religion.
Ces mesures visent spécifiquement cette communauté et pas les autres musulmans de l’île qui sont membres des Hui, la plus importante ethnie musulmane en Chine. Les documents consultés ne concernent, en effet, que les zones où habitent les Utsuls.
Cette décision de s’en prendre à cette toute petite minorité peut surprendre. Historiquement, les Utsuls comptent parmi les plus anciennes communautés à majorité musulmane encore présentes en Chine. “Les cimetières Utsuls sont, probablement, les plus anciens sites funéraires musulmans du pays et remontent au XIIe siècle”, rappelle Dru Gladney, anthropologue et président du Pacific Basin Institute en Californie, qui a étudié cette minorité, contacté par France 24.
Ils n’ont pas de velléité d’indépendance, n’ont jamais présenté de menace à l’ordre public et leur pratique religieuse est semblable à celle de l’ethnie Hui. “Leur foi est sunnite, et je n’ai jamais constaté d’influence des courants les plus conservateurs de l’islam comme le salafisme”, souligne Dru Gladney, qui s’est rendu sur place, dans les années 1980 et l’an passé. Leur seul particularisme est leur langue, le tsat, qui se rapproche du malais et n’est parlé nulle part ailleurs en Chine.
Ambiance de “soupçon généralisé”
Pékin peut difficilement, dans ces conditions, justifier sa politique discriminatoire à l’égard des Utsuls en prétextant d’une quelconque menace terroriste, comme cela avait été fait dans le cas des Ouïghours. Pour Dru Gladney, cela dissimule autre chose. Il en veut pour preuve l’interdiction de porter le voile qui “n’est pas, à proprement parler, un signe religieux pour les Utsuls, mais plutôt un vêtement traditionnel lié à leur culture”.
Mais pour Katja Drinhausen, spécialiste des questions de gouvernance en Chine au Mercator Institute for China Studies (Merics, un institut de recherche sur la Chine basé à Berlin), l’exemple des Utsuls est un “cas d’école de l’évolution de la politique du Parti communiste chinois à l’égard des minorités sous Xi Jinping”.
Les mesures imposées, ou en passe de l’être, à cette communauté de l’île Hainan sont, en réalité, “similaires à celles déployées au niveau national pour toutes les minorités religieuses, comme en Mongolie-intérieure ou dans la province de Gansu, au Tibet, où vivent un grand nombre de musulmans”, souligne cette spécialiste, contactée par France 24.
Étendre cette politique discriminatoire aux Utsuls “montre simplement à quel point les mentalités ont changé”, note Katja Drinhausen. Il règne une ambiance de “soupçon généralisé” à l’égard du fait religieux dans les cercles du pouvoir, même lorsqu’il s’agit d’une communauté aussi ancienne, faible en nombre et bien établie que celle de l’île d’Hainan. Une méfiance qui frappe toutes les minorités, y compris les Hui musulmans et les catholiques.
Cette politique de faire rentrer tout ce qui est religieux dans le rang vise à établir “une identité nationale unifiée” qui est le socle de la sacro-sainte stabilité sociale, “seule source de légitimité du pouvoir”, affirme la chercheuse allemande.
Risques de troubles sociaux et diplomatiques
Mais ce sacrifice de tout particularisme culturel et religieux sur l’autel de l’unité nationale n’est pas sans risque. Le pari de refaçonner les mentalités de toutes ces minorités, à grand renfort de centres de rééducation et de politiques discriminatoires, est loin d’être gagné. S’il échoue, cela “peut radicaliser des communautés qui auront l’impression de ne plus avoir leur place dans la société chinoise, entraînant un risque accru de tensions sociales à plus long terme”, estime Katja Drinhausen.
Dans le cas plus spécifique des Utsuls, les mesures discriminatoires peuvent aussi engendrer des tensions diplomatiques avec certains pays d’Asie du Sud-Est. La Malaisie, par exemple, a des liens très proches avec cette communauté. La grand-mère de l’ancien premier ministre malais, Abdullah Ahmad Badawi, appartenait à cette minorité. Cet homme politique “s’est d’ailleurs rendu plusieurs fois sur l’île d’Hainan” pour marquer son attachement à l’héritage familial, souligne Dru Gladney, l’anthropologue américain. Même l’Indonésie, le plus grand pays musulman du monde, a “cultivé des relations avec cette communauté”, souligne le South China Morning Post.
“À l’heure où la Chine essaie d’étendre sa sphère d’influence en Asie du Sud-Est, une telle politique religieuse discriminatoire peut se révéler très contre-productive et nourrir le sentiment anti-chinois dans ces pays”, craint Dru Gladney. Pour quelque 10 000 musulmans, Pékin semble prêt à mettre en péril ses grandes ambitions diplomatique sur la scène internationale.